Pollution : quand les pieuvres s'approprient nos déchets

Au fond des mers, nos détritus deviennent des abris de fortune pour les poulpes. Des scientifiques se sont appuyés sur des clichés pris dans le monde entier pour mieux appréhender ce phénomène.

De Marie-Amélie Carpio, National Geographic
Publication 24 juin 2022, 17:16 CEST
Interactions entre des espèces de pieuvres benthiques (ici un Amphioctopus burryi) et des déchets marins, observés ...

Interactions entre des espèces de pieuvres benthiques (ici un Amphioctopus burryi) et des déchets marins, observés sur des images sous-marines.

PHOTOGRAPHIE DE Claudio Sampaio

Pour vivre longtemps, vivons cachés. Telle pourrait être la devise de nombre d'espèces de poulpes qui évoluent sur les fonds marins sablonneux. Dans cet environnement pauvre en roches et en coraux, les pieuvres se protègent des prédateurs grâce à des refuges improvisés, tels les coquilles de mollusques. Las, ces matières naturelles sont peu à peu remplacées par de bien tristes ersatz : les détritus générés par l'homme, qui finissent échoués au fond des océans. Si le phénomène a commencé à être observé il y a quelques décennies, il n'avait jamais été décrit avec précision. Une étude italo-brésilienne vient d'apporter un premier éclairage sur la nature de ces interactions entre pieuvres et déchets, en misant sur la photo.

Publiée dans le Marine Pollution Bulletin, elle s'appuie sur 261 images réalisées par des plongeurs et compilées à partir d'Instagram et Facebook, de banques de données photographiques et de programmes internationaux de sciences participatives, tel le groupe Observations de céphalopodes en France. « Cette méthodologie basée sur la collaboration des citoyens ou sur les photographies disponibles sur les réseaux sociaux nous a permis pour la première fois d’évaluer et de caractériser de façon systématique l’usage des déchets par les pieuvres à travers le monde et sur une durée assez longue, explique Tatiana Leite, spécialiste des céphalopodes à l’Université fédérale de Santa Catarina, à Florianópolis, au Brésil.

Paroctopus cthulu trouvé à l'intérieur d’une canette de boisson.

Paroctopus cthulu trouvé à l'intérieur d’une canette de boisson.

PHOTOGRAPHIE DE Edmar Bastos

Ces images sous-marines nous renseignent aussi sur les espèces concernées et le type de matériaux choisis. Même si cette approche basée sur la science participative ne nous permet pas une étude approfondie du phénomène, comme l’éventuelle ingestion des déchets, c’est une méthode précieuse et bon marché pour combler nos connaissances lacunaires sur le sujet. »

La plupart des clichés, qui datent de 2018 à 2021, ont été pris dans des eaux peu profondes, à l'exception de quelques photographies réalisées par des ROV, des véhicules sous-marins téléguidés, entre 100 et 400 m. Leur étude a permis d'identifier 24 espèces de poulpes recourant à des déchets. Les bouteilles en verre constituaient les objets les plus fréquemment utilisés, suivis de détritus en plastique et de cannettes en métal. Les animaux privilégient sans doute le verre car il est plus abondant que le plastique au fond des océans. Plus dense que celui-ci, il coule plus aisément que ce dernier, qui tend plutôt à flotter et à se fragmenter avec l'abrasion de l'eau. 

L'usage massif de ces déchets serait lié à une crise du logement. Les coquillages sont moins nombreux dans les écosystèmes marins, en raison des prélèvements auxquels se livrent les touristes et les locaux pour fabriquer des souvenirs, mais aussi de l'acidification des océans, qui réduit la taille des coquillages. Selon les chercheurs, leur raréfaction pourrait avoir conduit les pieuvres à se tourner vers les détritus qui, eux, n'ont cessé d'augmenter ces dernières décennies. Les poulpes se sont adaptés à cette évolution au point que la disponibilité des déchets influe désormais sur les aires de répartition de certaines espèces, comme la pieuvre commune (Octopus vulgaris) et la pieuvre géante du Pacifique (Enteroctopus dofleini). 

Pour une espèce, l’expédient ne relève même plus du pis-aller mais d'un recours systématique : un nouveau poulpe pygmée, Paroctopus cthulu, décrit récemment à Ilha Grande, au Brésil, a été observé exclusivement dans des habitats constitués de détritus, en particulier des cannettes de bière, jetées en abondance depuis les bateaux de touristes.

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    Octopus americanus trouvé à l'abri dans une batterie.

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    PHOTOGRAPHIE DE Caio Salles

    L'étude vient alimenter un corpus récent de travaux montrant les interactions croissantes entre des organismes marins et nos détritus. À l’image des pieuvres, d’autres espèces de céphalopodes, ainsi que des crabes ermites et des oursins les utilisent désormais comme abris. Certains animaux les ont aussi mis à contribution dans leurs stratégies de camouflage. L’oursin Lytechinus variegatus ne se couvre plus simplement de traditionnels joncs de mer mais aussi de débris plastiques et métalliques pour passer inaperçu sur les fonds marins. Certaines images montrent du reste l’existence d’une compétition pour ces matériaux artificiels entre les habitants des profondeurs.

    Mais la récupération de nos ordures par ces animaux marins pourrait être lourde de conséquences pour leur santé. « De prime abord, les céphalopodes tirent profit des détritus devenus abondants dans la mer. Mais ces interactions demandent à être étudiées plus avant. À long terme, leurs avantages pourraient s’avérer nuisibles », note la chercheuse.

    Outre l’ingestion de déchets, se pose la question de l’exposition des pieuvres aux composés chimiques toxiques contenus dans le plastique et d'autres déchets tels les pneus ou les batteries automobiles, où elles ont aussi été repérées. De plus, leur dépendance aux déchets risque de se heurter aux programmes de nettoyages des fonds marins. Les campagnes de ramassage des détritus devront tenir compte des nouvelles mœurs des pieuvres et autres animaux qui les utilisent, insistent les scientifiques, avec des protocoles incluant la vérification de la présence d’éventuels locataires. Car retirer brutalement ces déchets de l'environnement risque de menacer la survie de nombre de leurs occupants.

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