Quelle est votre empreinte carbone et comment la mesurer ?

Déterminer quelle est son empreinte carbone est plus facile à dire qu’à faire...

De Kieran Mulvaney
Publication 28 juin 2022, 16:06 CEST
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Le fait de passer à une voiture électrique a plus d’impact dans le Vermont, où la moitié de l’électricité de l’État américain est d’origine hydraulique, qu’en Virginie-Occidentale, où elle est presque entièrement générée par le charbon.

PHOTOGRAPHIE DE Jackal Pan, Getty Images

Alors que de plus en plus de personnes sont sensibilisées au changement climatique, l’envie d’agir grandit. Pourtant, l’ampleur des problèmes qu’il suscite (feux de forêt, fonte des glaciers, sécheresses…) peut sembler des plus accablantes. Il peut être difficile de faire le lien entre notre vie quotidienne et la survie des ours polaires, ou de se dire que nous, en tant que personnes, pouvons agir pour renverser la situation.

Un outil remarquable permet de se faire une idée chiffrée de l’impact de nos gestes, qu’ils soient positifs ou négatifs : l’empreinte carbone. Quoique ce concept soit en train de prendre de l’ampleur (en tapant « Comment réduire son empreinte carbone ? » sur Google on obtient près de 10 millions de résultats), il n’est pas toujours très bien compris.

 

QU'EST-CE QU'UNE EMPREINTE CARBONE ?

Mais qu’est-ce qu’une empreinte carbone au juste ? D’après Mike Berners-Lee, professeur de l’Université de Lancaster au Royaume-Uni et auteur de The Carbon Footprint of Everything, il s’agit de « la somme de tous les gaz à effet de serre qui ont dû être émis afin qu’un produit puisse être produit ou qu’une activité puisse être réalisée ».

Pour la majorité des consommateurs des pays développés, ces produits et ces activités se répartissent en général en quatre catégories principales : consommation d’énergie domestique, transports, alimentation, et puis le reste, qui concerne principalement les produits que nous achetons, qu’il s’agisse d’ustensiles, de vêtements, de voitures ou encore de télévisions.

Chacune de ces activités, chacun de ces produits, possède sa propre empreinte carbone ; l’empreinte carbone d’une personne est le total des produits qu’elle achète et utilise, des activités qu’elle entreprend, etc. Une personne consommant régulièrement du bœuf aura une empreinte carbone plus élevée que sa voisine végétalienne. Mais cette dernière aura peut-être une empreinte carbone plus élevée si elle fait un trajet aller-retour quotidien dans un SUV pour aller au travail et que notre consommatrice de viande préfère s’y rendre à vélo. À leur tour, leurs deux empreintes carbone pourront sembler faibles comparées à celle de la femme d’affaires qui vit de l’autre côté de la rue et qui traverse le pays en première classe deux fois par mois.

Sans surprise, de manière générale, la taille de l’empreinte carbone d’une personne a tendance à augmenter avec son niveau de richesse. Dans son livre, Mike Berners-Lee écrit que l’empreinte carbone du citoyen moyen, quel que soit son pays d’origine, équivaut à l’émission de sept tonnes de dioxyde de carbone par an. Ce chiffre est d’environ 13 tonnes pour le Britannique moyen et d’environ 21 tonnes par personne aux États-Unis. L’« Américain moyen ne met que quelques jours à atteindre l’empreinte carbone annuelle du Nigérian ou du Malien moyen », écrit-il.

Carbon 2

L’empreinte carbone des passagers de première classe et de classe affaires est plus élevée, car ils occupent davantage d’espace et parce que c’est le coût plus élevé de ces places qui motive les compagnies aériennes à faire décoller l’avion.

PHOTOGRAPHIE DE Yaorusheng, Getty Images

COMMENT CALCULE-T-ON UNE EMPREINTE CARBONE ?

Il n’est pas facile de calculer une empreinte carbone. Mike Berners-Lee la surnomme d’ailleurs la mesure « essentielle mais impossible ».

Étudions par exemple le coût carbone personnel d’un vol à bord d’une ligne commerciale. D’un côté, le calcul est fort simple : il suffit de prendre la quantité de kérosène que l’avion consomme, d’en déduire la quantité de gaz à effet de serre émise durant le vol, puis de diviser celle-ci par le nombre de passagers. Mais l’empreinte carbone des passagers de première classe et de classe affaires est plus élevée, car ils occupent davantage d’espace et parce que c’est le coût plus élevé de ces places qui motive les compagnies aériennes à faire décoller l’avion. On pourrait également prendre en compte la cargaison transportée par l’avion et son altitude de croisière.

Malgré tout, il s’agit là d’un calcul relativement simple par rapport à celui qui consisterait à évaluer les émissions produites à chaque étape de la fabrication d’une voiture : les émissions produites dans l’usine d’assemblage, par la génération d’électricité pour alimenter cette usine, par le transport de tous les composants, par les usines dans lesquelles ces composants ont été fabriqués, par la production des machines utilisées dans ces usines et dans l’usine d’assemblage, et ainsi de suite jusqu’à arriver à l’extraction des minéraux constituant les briques élémentaires de la voiture.

À cause de la complexité inhérente à de tels calculs, Mike Berners-Lee concède que dans ce genre de cas, il n’est « jamais possible d’être totalement précis ». Selon lui, la bonne nouvelle est que pour la plupart des individus, cela n’a pas d’importance. « Généralement, cela suffit à se faire une idée approximative », assure-t-il.

Les mesures que chacun peut prendre pour réduire au maximum son empreinte personnelle dépendent bien sûr du type de vie que l’on mène. Les mêmes gestes n’ont pas le même impact selon les personnes. On a par exemple bien plus d’impact en passant à la voiture électrique dans le Vermont, où plus de la moitié de l’électricité est d’origine hydraulique, qu’en Virginie-Occidentale, où l’électricité est presque totalement générée par le charbon. Mike Berners-Lee fait remarquer que « pour certaines personnes, le fait de prendre l’avion peut représenter 10 % de leur empreinte carbone, pour certaines c’est zéro, et pour d’autres cela est si élevé qu’elles ne devraient penser qu’à cela ».

 

LES OUTILS DE CALCUL NE MANQUENT PAS

À cette fin, ces dernières années, une véritable pléthore de calculateurs d’empreinte carbone personnelle ont émergé sur Internet. En entrant des informations concernant par exemple votre consommation d’énergie domestique, votre consommation alimentaire et vos habitudes de voyage, ceux-ci vous donnent une approximation de la quantité de gaz à effet de serre émise pour soutenir votre mode de vie. Celui de The Nature Conservancy s’intéresse surtout à la consommation d’énergie domestique, aux modes de transport, au régime alimentaire et à vos habitudes d’achat. Celui de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis prend lui aussi en compte les transports et la consommation d’énergie mais y ajoute les déchets et plus particulièrement votre propension au recyclage. Il vous permet également de savoir à quel point votre empreinte carbone pourrait être réduite en isolant votre domicile, en prenant moins la voiture ou en acquérant un véhicule plus économe en carburant. Celui-ci montre quelle proportion d’un budget carbone personnel imaginaire représentent la dégustation de deux gros cheeseburgers par mois ou bien de deux nuits à l’hôtel.

 

L’EMPREINTE CARBONE SERAIT-ELLE EN FAIT DE LA PROPAGANDE POUR LES ÉNERGIES FOSSILES ?

Selon certaines affirmations, le tout premier calculateur de ce type aurait vu le jour en 2004 dans le cadre de la campagne « Beyond Petroleum » (« Au-delà du pétrole ») du géant pétrolier BP ; chose qui pousse certains observateurs à considérer l’injonction à réduire son empreinte carbone personnelle comme une « imposture » visant à « promouvoir l’idée selon laquelle le changement climatique n’est pas du fait d’un géant pétrolier mais de celui des individus ».

« Il y a quelques années, Shell a sponsorisé un tweet qui est apparu dans mon fil d’actualité et qui demandait : "Que faites-vous pour réduire votre empreinte carbone ?" », se souvient Katharine Hayhoe, directrice scientifique de The Nature Conservancy et professeure de l’Université Texas Tech. « Donc, j’ai répondu quelque chose comme : "Vous êtes responsables de 2 % des émissions mondiales, soit l’équivalent de l’ensemble du Canada ; quand vous prévoirez de vous en débarrasser, je vous parlerai de mon empreinte carbone personnelle avec plaisir." Et ils ont caché ma réponse. »

« Il est réellement important que chacun d’entre nous réfléchisse à ce que nous consommons, qu’il s’agisse de poisson, de meubles, de climatiseurs : à leur origine, à leur impact », prévient Kert Davies, directeur du Climate Investigations Center. « Mais le secteur a ensuite retourné cela et nous a dit : "Ce n’est pas de notre faute, vous utilisez nos produits. À vous de vous débrouiller." »

C’est selon lui d’autant plus scandaleux que le secteur des énergies fossiles a directement lutté pour restreindre certaines des mesures dont on entend souvent parler et qui permettraient aux gens de réduire leur empreinte carbone personnelle : des standards de production de véhicules plus économes en carburant ou des sources d’énergie propres par exemple.

« S’il n’y avait pas les entreprises pétrolières, vous seriez déjà en train de conduire un véhicule électrique. Votre maison consommerait moins si le secteur n’avait pas fait entrave à certaines solutions et caché la vérité sur l’urgence qu’il y avait à s’occuper du changement climatique », ajoute Kert Davies.

 

LES CALCULATEURS D’EMPREINTE CARBONE SERVENT-ILS À QUELQUE CHOSE ?

Selon Katharine Hayhoe, le concept d’empreinte carbone personnelle pose d’autres problèmes comme le fait que bon nombre des outils proposés pour réduire son empreinte sont inaccessibles à ceux qui, par exemple, n’ont pas accès aux transports en commun ou qui ne peuvent pas se permettre de payer d’un seul coup le prix d’une voiture électrique ou d’une pompe à chaleur, ou qui vivent dans des déserts alimentaires où les aliments sains ayant un moindre impact sur l’environnement (légumes, graines…) sont plus difficiles à trouver.

« L’empreinte carbone personnelle est un concept utile dans les pays à hauts revenus, chez les personnes aux revenus moyens à élevés, explique-t-elle. Elle est très utile pour les personnes les plus riches de la planète. Mais nous devons prendre conscience du fait que c’est un concept qui a ses limites, il ne s’applique pas à tout le monde. »

En outre, selon elle, le fait d’agir seul ne représente qu’une petite fraction de ce qu’il faudrait faire pour qu’il y ait un changement dans un système qui, malgré les meilleurs efforts de chacun, reste dominé par la production et le recours aux combustibles fossiles.

« Je dirais que les calculateurs d’empreinte carbone personnelle sont des outils efficaces pour évaluer l’impact de vos gestes immédiats : l’endroit où vous vivez, où vous partez en voyage, ce que vous mangez, précise-t-elle. Mais ce qui est encore plus important que votre empreinte carbone personnelle, c’est votre ombre climatique. Où placez-vous votre argent ? Comment votez-vous ? Que dire des entreprises avec lesquelles vous travaillez ou de l’université dont vous faites partie ou du club de bienfaisance dont vous êtes membre ? Que font-ils et de quelle manière pourriez-vous militer pour que ça change ? »

« Donc, en somme, quand des gens me demandent ce qu’il faudrait faire, je réponds : "Faites quelque chose, n’importe quoi, mais ensuite, parlez-en." La seule façon de faire baisser l’empreinte carbone de chacun dans les pays riches au niveau auquel elle doit se trouver pour que la planète soit vivable est de changer le système et pour changer le système, nous devons nous faire entendre. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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