Le rapport des peuples autochtones à la nature, source inépuisable de savoirs

Les savoirs et pratiques des peuples autochtones qui vivent en harmonie avec la nature pourraient s'avérer cruciaux pour nous permettre de continuer à vivre dans un monde habitable.

De GLEB RAYGORODETSKY
Photographies de Kiliii Yüyan, National Geographic
Publication 16 juil. 2024, 15:13 CEST
Mikile Kristiansen est guetteur lors d’une chasse au large de l’île Herbert. Les Inughuits utilisent les ...

Mikile Kristiansen est guetteur lors d’une chasse au large de l’île Herbert. Les Inughuits utilisent les kayaks depuis des générations pour éviter de déranger les narvals dans leur zone de reproduction

PHOTOGRAPHIE DE Kiliii Yüyan, National Geographic

Retrouvez cet article dans le numéro 298 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Qillaq Kristiansen éloigne son kayak du bord de la glace et se dirige vers l’eau libre. Nous sommes au printemps 2023, et le chasseur inughuit de trente-cinq ans a fait le chemin jusqu’à la lisière de la banquise avec ses compagnons – à une demi-journée de traîneau à chiens de Qaanaaq, au Groenland. Située à environ 1 200 km au nord du cercle polaire arctique, c’est l’une des localités les plus septentrionales du monde. Près de l’extrémité occidentale de Qeqertarsuaq, aussi appelée île Herbert, la mer d’huile laisse échapper le souffle étouffé d’un cétacé. Le narval marque une pause à la surface, comme s’il s’offrait au chasseur, diraient certains Inughuits.

D’un grand geste, Qillaq Kristiansen décroche son harpon et le plante dans le dos du narval. L’animal plonge, mais le harpon, dont la pointe s’est fermement enchâssée dans la chair, est accroché à une bouée en peau de phoque, entravant sa fuite. Qillaq brandit sa pagaie au-dessus de sa tête en signe de victoire.

Ses compagnons le rejoignent rapidement en kayak et rattrapent la créature blessée, qu’ils harponnent une seconde fois avant de l’achever d’un coup de fusil. Ils la traînent ensuite jusqu’à un coin dégagé près de leur campement, la hissent sur la glace et sortent leurs couteaux. Et les voilà qui savourent le mattak, au délicieux goût de noisette : c’est ainsi que les Inughuits appellent la peau du narval et la couche de graisse située sous celle-ci, riches en vitamines et en minéraux. « La nourriture européenne ne m’intéresse pas. Je veux me nourrir de la mer, comme le faisaient mes ancêtres », explique Qillaq Kristiansen.

Les narvals sont présents au large de Qaanaaq du printemps à la fin de l’été. Les Inughuits se déplacent en traîneau et chassent en kayak. Ulannaq Ingemann (à droite), Explorateur pour National Geographic, et Qumangaapik Kvist secourent un chien tombé à l’eau.

PHOTOGRAPHIE DE Kiliii Yüyan, National Geographic

Pour les Inughuits, la chasse au narval est une activité essentielle. Ils la pratiquent sur leur territoire ancestral autour de Pikialasorsuaq, une région au nord du cercle polaire arctique libre de glaces, qui peut couvrir une superficie de plus de 80 000 km2 en plein été. La polynie des eaux du Nord, telle qu’on l’appelle aussi, constitue un site d’hivernage pour les narvals, les bélugas, les morses et les baleines boréales. Ses eaux regorgent de flétans du Groenland et de morues arctiques, entre autres poissons, et ses côtes rocheuses accueillent les nids de dizaines de millions de mergules nains. L’endroit représente une source irremplaçable de nourriture tant physique que spirituelle pour les Inughuits, qui, pendant des siècles, ont dépendu de cette vie sauvage.

« De nombreux rites existaient au sein de mon peuple », témoigne Hivshu R. E. Peary, un gardien du patrimoine inughuit. Interdits par les missionnaires, ils ont été perdus, pour la plupart. « Chaque animal était considéré comme notre ancêtre venant nous nourrir de sa propre chair. C’est pour ça que, dans notre langue, la nourriture se dit inumineq, ou “être humain ancestral”. »

Les méthodes de chasse au narval des Inughuits sont ancrées dans des traditions qui veillent à prendre soin des animaux dont ils dépendent. Pour ne pas harceler inutilement les femelles dans le fjord où elles mettent bas et allaitent leurs petits durant l’été, les chasseurs restreignent l’usage des bateaux à moteur au profit des kayaks, plus discrets. Pour éviter de perdre des narvals qui coulent vite une fois abattus, ils les harponnent d’abord. Et pour s’assurer que rien ne soit perdu, les chasseurs inughuits respectés partagent leurs prises avec ceux qui ont pris part à la chasse et, le cas échéant, avec toute la communauté.

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    Une fois tué, un narval est tiré hors de l’eau par la queue. Il sera amené vers une aire dégagée près du campement des chasseurs. L’animal sera ensuite découpé et réparti en fonction du rôle de chacun au cours de la chasse.

    PHOTOGRAPHIE DE Kiliii Yüyan, National Geographic

    Pourtant, d’après nombre d’entre eux, ces traditions sont menacées. « La culture de la chasse au narval disparaît […] à cause du système des quotas, explique Aleqatsiaq, le fils de Hivshu R. E. Peary, chasseur et musicien de Qaanaaq. Ils sont si bas que les chasseurs doivent tout garder pour eux au lieu de partager, car ils ont besoin de gagner de l’argent. »

    Les Inughuits parlent l’inuktun et, bien qu’ils soient inuits, ils se considèrent comme culturellement distincts de la population majoritaire du Groenland, qui s’exprime en kalaallisut. En dépit de leurs différences linguistiques, historiques et culturelles, ils ne sont reconnus comme peuple autochtone souverain ni par le Danemark ni par le Groenland. Quelque 700 Inughuits vivent à Qaanaaq et de petits groupes occupent des hameaux autour du fjord Inglefield, aussi appelé Kangerlussuaq.

    Qaanaaq a été habitée de façon permanente dès 1953, quand le gouvernement colonial danois a réinstallé des familles inughuits à une centaine de kilomètres au nord du village d’Uummannaq qu’elles occupaient de longue date, afin d’agrandir la nouvelle base aérienne américaine de Thulé – aujourd’hui base spatiale de Pituffik. Ce déplacement forcé a éloigné la population d’une partie de ses terres de chasse traditionnelles. Mais, du printemps à la fin de l’été, la région abondait en narvals, ou qilalukkat. L’énigmatique Monodon monoceros est reconnaissable à sa longue défense torsadée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, une dent qui sort de son maxillaire supérieur gauche et peut faire plus de 2 m. Ces cétacés pèsent jusqu’à 1,6 t et peuvent mesurer plus de 5 m de long sans leur défense.

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