Sécheresse : des chèvres déployées pour empêcher les feux de forêt en Californie

La pire sécheresse depuis au moins 1 200 ans pourrait causer cette année des incendies catastrophiques en Californie. Une solution a donc été mise en place pour limiter les dégâts : déployer des armées de chèvres sur les terrains à risque de la région.

De Chris Iovenko
Publication 15 juin 2022, 16:45 CEST
Des chèvres louées par le Sage Environmental Group grignotent de la végétation à Glendale, en Californie, ...

Des chèvres louées par le Sage Environmental Group grignotent de la végétation à Glendale, en Californie, en juillet 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Robyn Beck, AFP via Getty Images

WHITTIER, CALIFORNIE - Depuis un sommet ensoleillé de la réserve de Puente Hills, le panorama s’étend des gratte-ciel du centre-ville de Los Angeles jusqu’au bord de l’océan Pacifique. Entre les deux, les collines vertes et brunes sont tachetées de jaune par la moutarde noire en fleur, une plante envahissante qui représente une menace croissante en Californie.

Originaire d’Europe et d’Asie, la moutarde noire supplante la végétation indigène parce qu’elle pousse à profusion et que ses racines produisent des substances biochimiques qui empêchent les graines des autres plantes de germer. Mais c’est sa période de croissance qui en fait une menace toute particulière : elle se développe au printemps et peut atteindre les 2,5 mètres de haut, pour ensuite mourir et se transformer en un dangereux amadou au début de l’été.

L’accumulation de végétation morte dans les parcs et les zones sauvages, ainsi que les effets du changement climatique, ont accéléré la récurrence des feux de forêt dévastateurs en Californie. En 2021, l’État a perdu plus de 800 000 hectares de nature sauvage à cause des feux de forêt, et les incendies de grande ampleur, qui brûlent plus de 40 000 hectares, sont de plus en plus fréquents. Selon les météorologues, l’association entre l’hiver sec de cette année et la poursuite de la pire sécheresse depuis au moins 1 200 ans impliquent que la saison des incendies de 2022 pourrait être catastrophique.

Par le passé, avant les saisons des incendies, les gestionnaires des terres comptaient traditionnellement sur les herbicides et le travail humain pour désépaissir les plantes et les broussailles afin de réduire la charge de combustible, c’est-à-dire la quantité de matériaux inflammables qui peuvent brûler lors d’un incendie. Mais l’accès aux terrains montagneux du sud de la Californie peut être difficile, et ces pratiques traditionnelles de défrichage sont susceptibles de laisser derrière elles des graines qui peuvent germer l’année suivante.

C’est pourquoi, en Californie, de plus en plus de personnes se tournent vers une solution à quatre pattes : les chèvres. Le déploiement de chèvres pour débarrasser les terres de la végétation est une pratique ancestrale, mais dans une période dans laquelle les incendies de forêt s’aggravent dans le monde entier, des endroits aussi divers que la Grèce, l’Australie et d’autres régions des États-Unis, comme l’Arizona et le Colorado, se tournent vers ces herbivores pour aider à prévenir des incendies.

Depuis six ans, l’entreprise californienne d’Alissa Cope loue des troupeaux de chèvres à divers clients qui ont besoin de ces animaux pour manger la végétation indésirable et les plantes envahissantes.

« Quand nous avons commencé, c’était pour restaurer des habitats, et j’en avais assez de déverser des litres d’herbicides sur tout », explique Cope, propriétaire du Sage Environmental Group, une société spécialisée dans la planification environnementale axée sur les ressources naturelles.

« Lorsque les chèvres mangent les graines, elles passent par leur tube digestif et deviennent non viables. Elles ne poussent plus lorsqu’elles sont sorties par l’autre bout, ce qui est vraiment étonnant. »

Par une claire matinée de printemps, dans la réserve de Puente Hills, un parc de 1 500 hectares situé dans les Transverse Ranges, une centaine de chèvres de couleurs et de tailles différentes s’affairent dans un grand enclos. Lorsque le portail s’ouvre, les animaux sortent au trot et dévorent immédiatement les mauvaises herbes et la moutarde noire environnantes, que les missionnaires franciscains espagnols auraient apportées avec eux au 18e siècle.

Des plantes de moutarde noire, une espèce non indigène, fleurissent dans le Griffith Park de Los Angeles, en Californie. ...

Des plantes de moutarde noire, une espèce non indigène, fleurissent dans le Griffith Park de Los Angeles, en Californie. Les plantes meurent en été, créant un combustible dangereux qui peut entraîner des feux de forêt.

PHOTOGRAPHIE DE Mario Tama, Getty Images

Récemment, la réserve a obtenu une subvention du département des forêts et de la protection contre les incendies de l’État, connu sous le nom de CAL FIRE, pour utiliser des chèvres afin de réduire la charge de combustible et de plantes envahissantes. Ce projet pilote vise à déterminer si ces herbivores peuvent réduire le risque d’incendie dans la réserve.

Trevor Moore, ingénieur pré-incendies qui aide à organiser et à coordonner les subventions de CAL FIRE dans le comté de Los Angeles, espère que ce programme servira de modèle pour de futures initiatives.

« Nous aimerions avoir un programme de réduction des combustibles qui soit efficace et qui ait un faible impact environnemental, afin de pouvoir le montrer aux autres communautés comme un bon exemple à suivre », déclare Moore. « Cela pourrait vraiment nous aider à protéger la vie, les propriétés et l’environnement. »

 

AU TRAVAIL

La chèvre, qui est l’un des plus anciens animaux domestiqués, est une mangeuse curieuse et aventureuse à l’estomac de fer. Elles peuvent manger des plantes qui sont toxiques pour d’autres types de bétail. Elles sont également robustes et peuvent gravir des pentes abruptes et des terrains inaccessibles aux autres animaux.

Les près de 300 chèvres de Cope sont déployées sur divers sites de Los Angeles et du comté d’Orange, principalement au printemps, pour limiter la croissance et la propagation des plantes envahissantes avant la saison des incendies. Son entreprise exige un minimum de 4 hectares et ne travaille pas sur les propriétés résidentielles.

Depuis le centre d’opérations de l’entreprise, situé dans le centre-sud de Los Angeles, où elles sont logées, les chèvres sont transportées sur un site de travail, généralement pour une durée d’environ un mois. Avant leur arrivée, le site est entouré d’une clôture électrique temporaire qui est régulièrement déplacée pour permettre aux chèvres de couvrir et de traiter progressivement une très large zone.

Une dizaine de sociétés fournissent des chèvres de pâturage en Californie du Sud. En général, une centaine de chèvres peuvent paître un demi-hectare par jour ; les tarifs commerciaux des entreprises varient généralement entre 1 600 et 3 000 dollars par hectare, soit entre 1 500 et 2 900 euros. La ville de Yorba Linda a fait appel à Sage pour un projet pilote similaire, pour un coût d’environ 13 000 dollars (soit environ 12 500 euros).

De nombreuses entreprises suivent également la pratique traditionnelle consistant à embaucher une personne, appelée un chevrier, pour vivre de manière nomade avec les chèvres.

Pour surveiller les chèvres et les protéger des prédateurs, tels que les coyotes et les lions des montagnes, Cope entraîne des chiens, tels que des chiens de montagne des Pyrénées et komondors, deux races utilisées depuis des centaines d’années pour la gestion du bétail.

Les chèvres de Puente Hills paissent sous le regard protecteur de deux komondors. Quiconque s’approche trop près de la clôture électrique est accueilli par les aboiements d’un chien de 50 kilogrammes, ce qui explique pourquoi même les pumas ne veulent pas s’approcher du troupeau.

Une fois le travail terminé, les chèvres sont ramenées au centre d’opérations, où leurs sabots et leur pelage sont nettoyés afin d’éviter que des graines de plantes envahissantes ne soient accidentellement transportées sur le site suivant.

 

PROTÉGER LES PLANTES INDIGÈNES

De nombreuses plantes indigènes poussent lentement, dépendent de conditions environnementales spécifiques et sont vulnérables aux conditions extrêmes, telles que les sécheresses prolongées. Mais les plantes envahissantes se développent souvent dans des conditions sèches et se reproduisent rapidement. Le changement climatique exacerbe donc leur propagation, explique Jutta C. Burger, directrice du programme scientifique du California Invasive Plant Council, un organisme à but non lucratif qui cherche à protéger l’environnement et l’économie de la Californie des plantes envahissantes.

« Elles supplantent d’autres types de plantes et peuvent créer des monocultures. Ça peut devenir un cycle auto-entretenu », explique Burger.

Burger reconnaît que les chèvres peuvent être efficaces pour nettoyer les zones touchées par les plantes envahissantes et donner aux espèces indigènes une chance de s’épanouir. Mais elle prévient que les chèvres doivent également être surveillées et contrôlées avec soin.

« Les chèvres sont comme des débroussailleuses qui ne font aucune différence ; elles rongent toute la végétation qui leur plaît », ajoute-t-elle. « Donc, si vous avez un habitat que vous aimeriez conserver, il vous faudra le défendre ou être très vigilant sur la durée pendant laquelle vous gardez les chèvres sur ce site. »

 

LES CHÈVRES SONT-ELLES UN VÉRITABLE ATOUT ?

Les études visant à déterminer si le broutage des chèvres peut réduire la gravité ou l’impact des incendies de forêt sont rares, en particulier en Californie. Mais certaines recherches suggèrent qu’elles sont bénéfiques.

En Arizona, certains scientifiques ont observé que les terres qui sont débarrassées de l’excès de végétation par les chèvres agissent comme des coupe-feu et peuvent arrêter les incendies de forêt.

Une étude récente publiée dans la revue Forest Ecology and Management a révélé qu’en Australie, les chèvres sont particulièrement efficaces pour réduire les charges de combustible légers, c’est-à-dire la végétation inflammable de moins d’un centimètre, comme les aiguilles de pin ou l’herbe. Ces combustibles légers sont les plus susceptibles de former un lit de feu continu : il est donc essentiel de les contrôler et de les contenir pour limiter la propagation des incendies de forêt.

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    Des chèvres du ranch Indacochea Sheep mangent de l'herbe près d'une maison à Laguna Beach, en Californie, dans le cadre de la stratégie de la ville visant à réduire le risque d'incendie de forêt.

    PHOTOGRAPHIE DE Mindy Schauer, Digital First Media, Orange County Register via Getty Images

    Et en Grèce, où le climat méditerranéen est similaire à celui de la Californie, le broutage des chèvres et des moutons semble permettre un environnement moins sujet aux incendies.

    « Le broutage est la méthode de gestion de la végétation la plus répandue que nous ayons en Californie », explique Lynn Huntsinger, professeure d’écologie et de gestion des pâturages à l’université de Californie, à Berkeley.

    « Nous devons vraiment réfléchir à la manière de l’utiliser mieux et plus stratégiquement. Nous avons cet outil à disposition et nous serions fous de ne pas l’utiliser autant que possible. »

    De manière plus anecdotique, Cope a observé que ses chèvres ont des effets positifs et durables sur les zones qu’elles broutent.

    « Nous avons constaté qu’après deux ans de broutage, nous modifions l’écologie » d’un site, dit-elle. « On passe d’herbes nuisibles incontrôlables à des herbes à faible croissance. »

     

    UNE APPROCHE PLUS COMPLÈTE

    Cependant, certains gestionnaires de terres soutiennent que les chèvres ne sont pas si utiles pour réduire la charge de combustible, et que leur application à plus grande échelle est coûteuse et peu pratique.

    « En termes de gestion de la charge combustible, la tonte est probablement tout aussi efficace que le broutage, sauf sur les terrains escarpés ou rocheux », explique dans un e-mail Robert Freese, responsable de programme pour le conservatoire Irvine Ranch, une organisation à but non lucratif établie à Irvine, en Californie. « La tonte est également moins coûteuse que le pâturage, sauf lorsqu’elle est menée à très grande échelle. »

    C’est notamment pour cette raison que Freese et d’autres estiment que la meilleure approche pour réduire la charge en combustible n’est pas unique : il faut mélanger le broutage des chèvres, le débroussaillage manuel, les brûlages dirigés et les herbicides.

    De retour à Puente Hills, les chèvres ont descendu le flanc d’une colline abrupte et sont désormais dans une rigole, grignotant un dense fourré de fleurs de moutarde. Au-dessus d’elles, une buse à queue rousse, noire sur un fond de ciel bleu pâle, dérive dans la brise chaude.

    En retournant au camion, Cope montre du doigt un mince panache de fumée qui s’élève des contreforts à des kilomètres de là.

    « C’est peut-être un feu de structure », dis-je, presque avec espoir.

    « Non », dit Cope. « Ce serait de la fumée noire. Ça, c’est blanc. Un feu de forêt. »

    Un triste rappel que la saison des incendies en Californie, qui commence plus tôt et devient plus intense chaque année, est déjà arrivée.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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