Biomatériaux : comment inventer la mode de demain ?

Le textile est l’un des secteurs les plus polluants du monde. La recherche de nouveaux matériaux d’origine naturelle permet d’imaginer des produits et schémas de consommation plus respectueux tant sur le plan social qu’environnemental.

De Marie Zekri
Publication 28 avr. 2024, 10:37 CEST
Détails de la texture du cuir de mycélium (champignon).

Détails de la texture du cuir de mycélium (champignon).

PHOTOGRAPHIE DE Antoni Gandia

Chaque année, près de 130 milliards de vêtements neufs sont vendus dans le monde. Selon les estimations de l’Agence de la Transition écologique, ce chiffre a augmenté de 40 % en quinze ans. Face à toujours plus de choix et de quantité, les consommateurs se sont habitués à suivre le rythme des nouvelles tendances et collections des grandes enseignes de la fast fashion

Aujourd’hui plus polluante que les vols internationaux et le trafic maritime réunis, l’industrie du textile rejette 4 milliards de tonnes de gaz à effets de serre par an, soit près de 10 % de l'ensemble des émissions mondiales de CO2. Le choix de matières premières très gourmandes en eau comme le coton ou encore dérivées du pétrole comme le polyester, mais également les méthodes de fabrication des vêtements, parfois hautement toxiques, ont des conséquences désastreuses sur les écosystèmes. Le secteur cumule à lui seul 20 % des rejets en eaux usées de la planète. Les conditions de travail des populations exploitées, dont une grande majorité de femmes, sont également particulièrement alarmantes d’autant plus que 80 % des flux de produits finis proviennent des pays en développement

Cependant, depuis quelques années, des start-ups, entreprises, designers et ingénieurs des matériaux se sont mis en quête de nouvelles solutions innovantes, plus éthiques et respectueuses de l’environnement. Certains se sont tournés vers des réponses au plus proche de la nature en développant des produits dits « biosourcés » : des étoffes en soie d'écorce d’orange, des rembourrages en mousse d’algue, du cuir de champignon ou encore de cactus, les possibilités sont infinies. 

 

À LA (RE)DÉCOUVERTE DES MATIÈRES PREMIÈRES 

Face à l’urgence climatique, un certain nombre d'initiatives comme le Green Deal lancé par la Commission Européenne, qui vise à mettre l’Europe sur la voie de la neutralité climatique d’ici à 2050, encourage l’innovation dans la recherche de ces nouveaux matériaux. « Entièrement ou partiellement fabriqués à partir de ressources biologiques, en comparaison aux matières premières d’origine fossile », ces biomatériaux sont de plus en plus recherchés dans l’industrie de la mode. 

Par exemple, l’entreprise sicilienne Orange Fiber, créée par Adriana Santonocito et Enrica Arena s’est spécialisée dans la fabrication d’une soie obtenue par extraction de la cellulose d'écorces et de pépins d’orange. La conception de ce produit permet de recycler les déchets de l’industrie du jus de fruits dans la région, et propose une alternative à la soie animale. Cette soie a su séduire de grandes maisons de couture comme Salvatore Ferragamo qui a lancé en 2017 une collection de foulards en fibre d’orange, mais également de grandes enseignes comme H&M.

La soie n’est pas le seul biomatériau à attirer l’attention. « Il y a quelques années, certaines entreprises américaines comme MycoWorks, se sont mises à développer de nouvelles techniques de production à partir de champignons », explique Alexander Bismarck, professeur à l’Institut de chimie des matériaux de l’université de Vienne et directeur de son propre laboratoire d'Ingénierie des Polymères et des Composites (PaCe)

Boîte de pétri contenant des spores de champignons du genre Ganoderme.
Le travail de cette « peau de champignon » permet d'obtenir une texture étonnement proche de ...
Gauche: Supérieur:

Boîte de pétri contenant des spores de champignons du genre Ganoderme.

Droite: Fond:

Le travail de cette « peau de champignon » permet d'obtenir une texture étonnement proche de celle du cuir classique avec ces petite ridules si reconnaissables. 

Photographies de Antoni Gandia

« L’utilisation de champignons comme substitut au cuir conventionnel est une pratique millénaire qui remonte à l’âge du bronze. Elle est d’ailleurs encore pratiquée dans l’artisanat traditionnel roumain », explique Mitchell Jones, ingénieur des matériaux, membre du PaCe et co-auteur d’une étude sur la biofabrication du cuir de champignon parue  fin 2020 dans la revue scientifique Nature Sustainability. « Ce type de cuir, poursuit-il, peut être obtenu en cultivant les champignons par fermentation liquide », ce qui offre des surfaces plutôt étendues de matière première. « Il peut également être produit entre des couches de déchets organiques notamment issus de l’agriculture ».

Bien qu’il soit pour l’instant difficile d’imaginer un schéma de production de masse pour la grande distribution, ce cuir de champignon séduit, à l'image des autres biomatériaux, par sa neutralité carbone, la valorisation de l’utilisation des agro-déchets ainsi que les circuits courts. « Le cuir de champignon est [également] attractif dans l’industrie de la mode car il permet de proposer toute une variété d'épaisseurs, de textures et de couleurs », ajoute Alexander Bismarck. « On peut même créer du cuir transparent ». 

D’autres cuirs végans comme le cuir de pomme, ou bien le cuir en feuilles d'ananas ont également commencé à faire leur entrée sur le marché des biomatériaux. On les retrouve notamment dans le domaine automobile avec les sièges en Apple Peel Skin proposés par Tesla. La conception des matériaux biosourcés, bien qu’elle comporte encore quelques aspérités notamment sur le plan de la production à grande échelle, valorise la durabilité mais aussi la biodégradabilité des textiles.

 

LE CHOIX DE CONSOMMER MOINS MAIS MIEUX

« Ces alternatives ne sont intéressantes [sur le plan environnemental] qu’à partir du moment où l’ensemble du mode de consommation change, et ce, pas seulement dans le domaine du textile », estime Mitchell Jones. Le cuir végétal représente un cas d'espèce. En France, l'élevage bovin est responsable de 12 % des émissions de gaz à effet de serre émis par le pays. 

« Or, l’industrie du cuir animal est directement liée à la production de viande », reprend l’ingénieur. La transition vers le cuir végétal n'a de sens que si l'on agit aussi sur le volet alimentaire. « Diminuer la production de cuir animal sans diminuer la consommation de viande, reviendrait à jeter la peau des animaux ». Faire le choix de privilégier ce type de matériaux doit alors s’inscrire dans un changement plus global des habitudes de consommation, lesquelles permettent à leur tour d’en favoriser la production. 

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    Vêtements en lin faits main. La fibre de cette matière naturelle végétale est réputée pour sa solidité. Sa production ne nécessite pratiquement pas d'intrants chimiques ou d'apports en eau. 

    PHOTOGRAPHIE DE mindful_living / Alamy banque d'images

    En préférant par exemple l'achat de vêtements en lin, ou en chanvre plutôt qu'en coton, particulièrement gourmand en eau et produits chimiques, on réduit non seulement son impact environnemental, mais on favorise également un mode de consommation basé sur la circularité des biens. Faire le choix de matières plus nobles, en fibres longues, garantit une meilleure tenue du tissu et une plus grande durée de vie. Cette tenue des vêtements permet de soutenir l’essor de l’économie circulaire en revendant les vêtements plutôt qu'en les jetant avec la pile des quelques quatre millions de tonnes de textiles mis au rebus chaque année sur le seul continent européen selon les chiffres de l’ADEME. 

    Dernière initiative en date, la mise en place d’une « Ecobalyse », un outil de notation des produits textiles équivalent au nutriscore pour les produits alimentaires, a été annoncée par le gouvernement français le 3 avril dernier. Il attribue un score d’impact aux vêtements à partir de 0 (produit totalement neutre). Ce score a pour but d’informer le consommateur de l’impact environnemental et social des habits qu’il achète, mais également de son potentiel de durabilité dans le temps. Le système qui devrait être testé dès l’automne prochain pour les marques volontaires, pourrait devenir obligatoire courant 2025. 

    Retrouvez nos reportages sur le monde merveilleux des champignons et sur le cimetière de la mode au Chili dans le numéro 295 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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