Quelles seront les villes encore habitables à la fin du siècle ?
Ces villes ne seront peut-être pas complètement immunisées dans un monde en réchauffement, mais elles sont bien placées pour répondre aux besoins d’un afflux de réfugiés climatiques.
Cleveland, dans l’Ohio, n’est pas étrangère aux hivers rigoureux, mais le risque de sécheresse, de feux de forêt et d’ouragans (autant de catastrophes naturelles qui devraient s’aggraver à mesure que le globe se réchauffe) est faible.
Avant septembre 2017, Dianiz Roman et Wilfredo Gonzalez n’avaient jamais envisagé un seul instant quitter Aguadilla, villa d’origine du couple, dans l’ouest de Porto Rico. Mais après le passage de l’ouragan Maria le même mois, tout a changé.
Leurs deux lieux de travail, une maison funéraire et une station-service, ont été détruits dans une tempête qui a fait près de 3 000 morts et bouleversé la vie sur l’île.
« Nous étions en difficulté ; à essayer d’obtenir des provisions, de l’eau et de la nourriture », se souvient Wilfredo Gonzalez à propos des mois qui ont suivi le passage de l’ouragan. Selon eux, il ne restait rien d’autre à faire que de tenter leur chance à des milliers de kilomètres plus au nord, à Buffalo, dans l’État de New York, où la sœur de Wilfredo Gonzalez avait emménagé un an auparavant.
Dianiz Roman et Wilfredo Gonzalez n’étaient pas les seuls dans ce cas. Après le passage de l’ouragan Maria, plusieurs milliers de personnes ont fui cette île des Antilles pour l’ouest de l’État de New York où vit déjà une vaste diaspora portoricaine.
Les personnes qui migrent ont tendance à s’installer dans des quartiers qui répondent à leurs besoins culturels et linguistiques, mais cet exode climatique vers Buffalo n’était pas seulement dû à la présence de cette diaspora bien ancrée. Quelques mois avant le passage de Maria, le maire de la ville avait déclaré Buffalo « ville-refuge climatique », faisant observer que sa municipalité était au-devant d’« une aubaine formidable alors que notre climat est en train de changer ».
Depuis, la ville a lancé un guide d’emménagement vantant les avantages de la vie à Buffalo, et notamment le fait que sa température au mois de juillet reste douce, avec 21°C en moyenne. Anticipant une possible hausse de la population, la ville a révisé son règlement de zonage en 2017 afin d’encourager le développement de corridors urbains existants et a commencé à moderniser son système de traitement des eaux usées qui était obsolète.
Et Buffalo n’est pas la seule ville américaine dans ce cas. Les urbanistes de villes comme Cleveland, dans l’Ohio, Ann Arbor, dans le Michigan ou Duluth, dans le Minnesota, pour ne citer qu’elles, commencent à élaborer des plans pour imaginer ce à quoi pourrait et devrait ressembler un avenir avec des milliers d’habitants de plus.
QU’EST-CE QUI PROTÈGE UNE VILLE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
La question des « refuges climatiques », ces endroits où les phénomènes météorologiques extrêmes sont rares et qui ont tendance à se situer dans les régions septentrionales, près d’étendues d’eau douce, a pris de l’ampleur ces dernières années, alors que des feux de forêt meurtriers, des vagues de chaleur inédites et ouragans destructeurs affectent de manière croissante la vie quotidienne dans les régions du sud.
Selon le Centre de surveillance du déplacement interne (IDMC), 675 000 personnes ont dû quitter leur domicile l’an dernier aux États-Unis en raison de catastrophes ; sur les trente-cinq pays du continent américains, les États-Unis se classent ainsi au deuxième rang des pays comptant le plus de déplacés, juste derrière la Colombie.
Un universitaire est même allé jusqu’à qualifier Buffalo et Duluth de communautés « immunisées face au changement climatique ».
Bon nombre de ces communautés dépendaient autrefois économiquement de leur industrie et sont potentiellement bien positionnées pour répondre aux besoins d’un afflux de migrants climatiques : quand les usines ont commencé à fermer dans les années 1970 et que les habitants sont partis ailleurs pour chercher du travail, ils ont abandonné leur domicile et des espaces urbains qui peuvent aujourd’hui être repensés.
À Cleveland, sur la rive méridionale du lac Érié, on dénombre 30 000 lots vacants environ. Détroit, qui a perdu près des deux tiers de sa population depuis son âge d’or industriel des années 1950, compte plus de 75 km2 de terrains inoccupés à l’intérieur de son périmètre urbain. Duluth possède déjà les infrastructures pour accueillir des dizaines de milliers d’habitants supplémentaires.
« Nous devons modéliser divers scénarios d’utilisation des sols et de développement selon la croissance de la population à l’échelle du quartier, de la ville, du comté et de la région », explique Terry Schwarz, directeur de l’Initiative de design urbain de Cleveland. « Mais à ce stade, nous ne faisons que commencer. »
Si le fait d’avoir des terrains à disposition peut constituer un avantage pour certaines villes, d’autres sont en train d’étudier comment moderniser des lots d’habitations existants en les isolant du froid l’hiver et de la chaleur l’été.
« Le fait de réfléchir à des façons de revigorer le cœur urbain va être central pour avoir une région davantage résiliente face au climat », indique Nicholas Rajkovich de l’École d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Buffalo.
UN VRAI REFUGE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
Selon certains, si plusieurs villes des Grands Lacs jouissent d’un climat tempéré et d’une abondance spatiale, cela ne signifie pas qu’elles vont avoir un statut de refuge climatique à court terme.
Hormis les rescapés portoricains de l’ouragan qui ont migré vers Buffalo, rien ne montre que les migrants climatiques des États-Unis soient déjà en train de se déplacer en masse vers le nord. Les populations de Cleveland, Duluth et Buffalo ont en grande partie stagné au cours de la décennie passée.
« Nous avons appris grâce à nos recherches que la résilience communautaire est tout aussi importante que l’infrastructure ou que les ressources naturelles pour prédire la capacité d’une ville à s’adapter au changement climatique ou à des niveaux de migration accrus », révèle Monica Haynes, directrice du Bureau de recherche économique et commerciale de Duluth à l’Université du Minnesota.
En outre, ces communautés ne sont pas non plus à l’abri du changement climatique. « Nous avons connu plusieurs journées cet été où la qualité de l’air était très mauvaise à cause des feux de forêts canadiens. Donc, l’idée que Duluth serait "immunisée face au changement climatique" n’est pas exacte, ajoute-t-elle. Notre ville, comme partout ailleurs, sera confrontée aux effets négatifs du changement climatique. »
Malgré tout, au vu de l’incessant cycle de drames nourris par le changement climatique, on ne peut s’empêcher de se demander quelles régions du monde seront vivables dans les décennies à venir.
Selon la communauté scientifique, les ouragans plus intenses et plus longs et la montée du niveau de la mer sont susceptibles de changer la vie dans les régions côtières et ailleurs : dans le sud-est des États-Unis seulement, 13 millions de personnes pourraient devenir réfugiées d’ici à la fin du siècle. Selon certains chercheurs, les tornades se déplacent vers l’est et vers des régions plus densément peuplées du Sud, possiblement à cause de tendances climatiques changeantes. Les feux de forêt deviennent partie intégrante de la vie dans l’Ouest américain, et la récente dévastation de l’île hawaïenne de Maui illustre la nature imprévisible du changement climatique.
En septembre 2022, une autre tempête dévastatrice, l’ouragan Fiona, a balayé Porto Rico, fait trente-deux victimes, privé des millions d’habitants d’électricité et détruit des cultures.
Mais cette fois-ci, Dianiz Roman et Wilfredo Gonzalez se trouvaient à plus de 3 000 kilomètres au nord de l’itinéraire destructeur de l’ouragan.
Passé le choc initial infligé par l’hiver rigoureux de Buffalo, ils disent s’être bien habitués à leur nouvelle vie. Tous deux travaillent pour le système scolaire de la ville et font partie d’une communauté portoricaine florissante massée dans l’ouest de Buffalo.
« Quand vous entrez dans un magasin, vous entendez des gens parler espagnol, et vous dire bonjour. C’est sympa », se réjouit Dianiz Roman.
« Ici, il n’y a pas la chaleur extrême de Porto Rico, observe Wilfredo Gonzalez. Il a fallu un moment, mais j’ai appris à aimer la neige. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.