Un combat à la croisée des cultures : quand les natifs protègent la nature
Des mesures aussi radicales qu’inventives ont été mises en place par les Cofáns, peuple amérindien de l'ouest du bassin amazonien, pour faire face aux menaces qui pesaient sur eux et leurs terres.
Un Cofán parcourt en pirogue les marais entourant la rivière Zábalo, en Équateur. L’État a désigné des zones allant de la plaine amazonienne au pied des Andes comme étant des territoires cofáns.
Retrouvez cet article dans le numéro 298 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Quand des membres de notre peuple, les Cofáns équatoriens, ont commencé à travailler comme gardiens de nos forêts reconnus par l’État, ils n’avaient pas d’armes. Des machettes, oui, mais juste pour dégager les broussailles. Ils portaient des traceurs GPS et de lourds sacs à dos, chargés de nourriture et de trousses de premiers secours, pour les longues marches de nuit en pleine nature. Chaque équipe de cinq Cofáns partait pour un mois à tour de rôle, après avoir été formée à la gestion des intrus clandestins : bûcherons, braconniers, chercheurs d’or, passeurs de drogue. En tant que peuple, nous nous appelons nous-mêmes les A’i et parlons a’ingae.
Nous sommes environ 1 500 en Équateur, et plusieurs centaines de l’autre côté de la frontière, en Colombie. Beaucoup de nos gardes ont dû apprendre des rudiments d’espagnol pour pouvoir lancer leurs avertissements : « C’est la terre des Cofáns, disaient-ils. La nôtre, pas la vôtre. » Il n’était pas question d’aller à la confrontation ; les gardes étaient habilités à appeler l’armée en renfort si les rencontres tournaient mal. Mais ce n’était en général pas nécessaire. Leur seule présence suffisait à convaincre la plupart des envahisseurs de quitter les forêts que le gouvernement équatorien – sous la pression des chefs a’i de la génération de mon père – avait officiellement désignées comme territoires gérés par les Cofáns.
Ces terres, qu’ils occupaient déjà avant la colonisation européenne des Amériques, couvrent à peu près 5 000 km2 en Équateur, de la plaine amazonienne au pied des Andes. À son apogée, de 2003 à 2013, notre programme de surveillance a incontestablement été un succès. Des images satellitaires prises durant cette période ont montré que nos forêts étaient restées intactes, alors que le reste du pays connaissait l’un des taux de déforestation les plus élevés du continent. Les équipes ont aussi réuni des Cofáns venus d’endroits très éloignés les uns des autres. J’y vois l’unification d’une nation : les A’i des montagnes et les A’i des plaines, tous échangeant et développant leur expertise.
À 10 ans, Hugo Lucitante a été envoyé aux États- Unis, à Seattle, pour y suivre sa scolarité. De retour au pays, à 37 ans, il construit un laboratoire où chercheurs et Cofáns travailleront ensemble.
Les Cofáns créent des bijoux avec des élytres et d’autres parties de scarabée.
Si j’avais pu, je serais sûrement moi-même devenu un gardien de la forêt. Mais ma communauté a pris une décision radicale concernant mon éducation.
Tout au long de notre histoire, comme tant d’autres nations indigènes, nous avons dû nous adapter pour survivre. Le petit village isolé où j’ai passé mes premières années n’existe que parce que, dans les années 1980, une dizaine de familles, dont mes parents, ont commencé à quitter leur ville, en amont de la rivière, polluée par le pétrole. Leur nouveau campement a été baptisé Zábalo, du nom du cours d’eau voisin, plus petit (et plus propre). Mon père et d’autres anciens se sont alors mis à élaborer des stratégies pour protéger nos forêts, notre eau et notre mode de vie dans les décennies à venir.
C’est ainsi que, lorsque j’ai eu 10 ans, ils ont décidé de m’envoyer aux États-Unis. Moi qui ne parlais qu’a’ingae, n’avais jamais vu de trottoir et encore moins d’avion, j’ai été confié aux bons soins d’un Américain qui avait fait des études à Zábalo, j’ai quitté mon village pour Seattle. Je suis allé à l’école [ndlr : dans l’équivalent du CM1] et devais faire toutes mes études aux États-Unis.