Vagues de froid et canicules prolongées : le réchauffement de l’Arctique pointé du doigt
Le réchauffement accru de l’Arctique, aussi appelé « amplification arctique », a comme conséquence la réduction de l’écart de température entre l’Arctique et les régions de moyenne latitude, qui alimente le courant-jet.
Charles Andrews, âgé de 57 ans, traverse à pied son quartier de la ville de Waco, au Texas, pour rentrer chez lui le 17 février 2021. La semaine dernière, une vague de froid intense a provoqué des pannes de courant dans cet État américain.
Le débat reste ouvert concernant la responsabilité du réchauffement climatique dans la soudaine vague de froid, accompagnée de neige et de verglas, qui a frappé le Texas la semaine dernière. Des millions d’habitants se sont alors retrouvés sans électricité ni eau, les canalisations ayant cédé avec le gel et les réserves d’eau étant contaminées. Alors que les scientifiques essaient d’établir un lien entre ce phénomène météorologique et le réchauffement de l’Arctique responsable du déplacement vers le sud du courant-jet, ce même réchauffement pourrait donner lieu à des canicules prolongées dans le sud des États-Unis.
C’est en tout cas ce qu’affirme une étude publiée le mois dernier dans la revue Geophysical Research Letters, qui cherchait à déterminer la responsabilité du réchauffement accru de l’Arctique, aussi appelé « amplification arctique », dans l’allongement de la durée des épisodes caniculaires qui touchent les régions de basse latitude. À l’aide d’une nouvelle approche de suivi des systèmes météorologiques permettant de déterminer la vitesse à laquelle ces derniers se déplacent, les chercheurs ont mis en corrélation les régimes climatiques estivaux persistants avec un écart de température plus faible entre l’Équateur et l’Arctique, causé par un réchauffement plus rapide de ce dernier.
Si cette tendance venait à se poursuivre, les canicules pourraient durer bien plus longtemps d’ici les 70 prochaines années. Alors qu’à l’avenir, les canicules devraient gagner en intensité, l’étude conclut qu’elles seront aussi plus longues. Un double coup dur pour nos sociétés et leur capacité à faire face à ces phénomènes.
« Cette étude conforte l’hypothèse selon laquelle le réchauffement rapide de l’Arctique favorisera la persistance des régimes climatiques estivaux. Cette situation débouche souvent aux extrêmes qui font les gros titres ces dernières années, à savoir des canicules et des épisodes de sécheresse plus longs, et des précipitations plus importantes », souligne Jennifer Francis, scientifique principale au Centre de recherche climatique Woodwell qui n’a pas pris part à l’étude.
Si les canicules prolongées sont aux antipodes de la météo qui s’est abattue sur le sud des États-Unis et l'Europe la semaine dernière, les mécanismes impliqués seraient similaires. En outre, les défis que posent ces deux phénomènes au réseau électrique et au bien-être des Hommes sont tout aussi conséquents.
UN LIEN ENTRE L’ARCTIQUE ET LES RÉGIONS DE MOYENNE LATITUDE
L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Ce phénomène s’explique en partie par les boucles de réaction causées par la fonte des neiges et de la banquise : les eaux plus sombres des océans et les terres ainsi exposées absorbent davantage d’énergie solaire, ce qui accélère un peu plus encore la fonte. L’amplification arctique a comme conséquence la réduction de l’écart de température entre l’Arctique et les régions de moyenne latitude, qui alimente le courant-jet. Ce flux d’air rapide, qui envoie des systèmes météorologiques serpenter en direction de l’est dans l’hémisphère Nord, serait déjà ralenti et ondulerait davantage à cause du réchauffement de l’Arctique, nous apprend une étude majeure de Jennifer Francis.
Une telle influence de l’amplification arctique sur le courant-jet pourrait avoir d’importantes répercussions sur la météo d’une grande partie de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie. Dans ce contexte, de nombreuses études ont récemment tenté de déterminer si un courant-jet plus faible et plus ondulé pourrait résulter en une augmentation des intrusions d’air arctique dans les régions de basse latitude, à l’image de la vague de froid glacial qui a frappé une partie des États-Unis la semaine dernière.
Mais ces corrélations sont discutables. Si la plupart des scientifiques conviennent que le réchauffement de l’Arctique peut avoir une influence sur le courant-jet, le débat reste ouvert concernant les importants changements qu’il aurait déjà subis ou non à cause du réchauffement climatique, la gravité des futurs changements dont il pourrait faire l’objet ou les répercussions que ces changements auront sur la météo dans les régions de moyenne latitude.
Pour compliquer les choses, cette influence pourrait être à double sens. Selon une étude parue l’année dernière, les fluctuations aléatoires du courant-jet pourraient accroître le réchauffement de l’Arctique en transportant vers le nord la chaleur et l’humidité des régions de moyenne latitude.
« La causalité du phénomène pourrait aller dans un sens ou dans l’autre : soit les régions de moyenne latitude auront un impact sur l’Arctique, soit l’Arctique aura un impact sur ces régions », explique par e-mail James Screen, climatologue à l’université d’Exeter et coauteur de l’étude publiée en 2020. « Le débat actuel qui entoure cette incertitude repose principalement sur l’ampleur relative de ces deux répercussions ».
DES CANICULES PLUS PERSISTANTES
Si le lien entre le réchauffement de l’Arctique et les poussées d’air froid n’est pas avéré, une autre question reste encore plus mystérieuse aux yeux des scientifiques : un courant-jet qui ondule davantage peut-il avoir une influence sur les régimes climatiques estivaux, comme les canicules ? Ce sujet mérite pourtant notre attention, alors que les vagues de chaleur devraient gagner en intensité à l’avenir à cause du réchauffement de l’atmosphère. Les épisodes de froid devraient eux être moins importants avec le changement climatique.
« Les canicules sont vraiment dangereuses », confie Kai Kornhuber, chercheur postdoctoral à l’Institut de la Terre de l’université de Columbia. « Elles ne sont pas perçues ainsi, car de nombreuses personnes les associent avec le beau temps et les vacances, mais il s’agit d’un des phénomènes naturels les plus mortels ».
Afin d’établir un lien entre les conditions météorologiques estivales dangereuses et le réchauffement rapide de l’Arctique, Kai Kornhuber et sa collègue Talia Tamarin-Brodsky de l’université de Reading, au Royaume-Uni, ont utilisé un algorithme de suivi météorologique. Celui-ci a permis d’évaluer la vitesse de déplacement des régimes climatiques estivaux et des anomalies de température dans l’hémisphère nord, et de déterminer si cela était lié au gradient de température entre l’Équateur et les pôles. Les chercheurs ont ainsi mis en corrélation la persistance de conditions météorologiques estivales dans une zone avec un faible écart de température entre les régions de moyenne latitude et l’Arctique.
Cette étude laisse à penser que les conséquences de ce phénomène s’aggraveront à l’avenir. Conformément au scénario RCP 8.5 relatif aux quantités émises de carbone (selon lequel les pays ne sont pas parvenus à contenir leurs émissions de CO²), certains modèles climatiques prévoient une réduction accrue de l’écart de température entre l’Arctique et les régions de moyenne latitude. Si ce scénario venait à se réaliser, Kai Konhuber et Talia Tamarin-Brodsky estiment que le déplacement des régimes climatiques estivaux ralentirait de respectivement 11 % et 33 % en Europe et en Russie d’ici la fin du siècle. Dans le sud de l’Amérique du Nord, ce ralentissement pourrait atteindre 58 % ; les vagues de chaleur dureraient alors plus longtemps dans une région donnée.
Cette étude n’est pas la première à suggérer que l’amplification arctique est susceptible de provoquer des vagues de chaleur plus persistantes, mais « il s’agit d’un domaine de recherche assez nouveau », explique Judah Cohen, responsable du service des prévisions saisonnières pour la société de conseils météorologiques Atmospheric and Environmental Research. Selon Jennifer Francis, l’étude « aide à y voir plus clair dans ce domaine de recherche flou » en employant une « approche nouvelle » pour le suivi du mouvement des régimes climatiques estivaux.
UN LIEN DE CAUSALITÉ À PROUVER
Les résultats de ces études livrent d’importantes mises en garde. Même si les chercheurs ont établi un lien entre le réchauffement de l’Arctique et le déplacement plus lent des régimes climatiques estivaux, leurs conclusions ne prouvent pas que le premier soit responsable du second, à l’image de la plupart des études portant sur l’amplification arctique et les poussées d’air froid en hiver. Des études complémentaires sont requises pour prouver tout lien de causalité entre le réchauffement de l’Arctique et le courant-jet.
Cependant, le réchauffement rapide de l’Arctique ne sera sans doute pas le seul facteur dans le déplacement plus lent des régimes climatiques estivaux au sud. « De nombreux autres facteurs ont une influence sur la persistance [météorologique] et le gradient de température n’est peut-être pas le principal », indique James Sreen.
Comme l’ont indiqué Kai Kornhuber et Talia Tamarin-Brodsky dans leur étude, les modèles climatiques ne prévoient pas tous l’intensification des répercussions de l’amplification arctique pendant l’été. En outre, pour ce qui est des scénarios prédisant une hausse de l’écart de température entre l’Équateur et l’Arctique, un phénomène qui implique une réduction des conséquences de l’amplification arctique, les modèles des auteurs continuent de prévoir un ralentissement du déplacement des régimes climatiques estivaux en Amérique du Nord.
Selon Kai Kornhuber, l’explication la plus plausible à cela est une autre conséquence du changement climatique, sans lien avec la situation dans l’Arctique : le réchauffement de la planète provoquerait un décalage vers le nord des trajectoires des tempêtes dans les régions de moyenne latitude. À l’avenir, « ces vents forts ne devraient plus toucher » le sud-ouest de l’Amérique du Nord, « mais passer au-dessus de la région, ce qui accroît également la persistance météorologique », précise le scientifique, puisque les tempêtes échapperaient aux vents qui les déplacent.
Dans l’ensemble, et même si les mécanismes à l’œuvre ne sont pas encore identifiés avec certitude, la nouvelle étude suggère que les canicules persistantes seront plus fréquentes dans les régions de moyenne latitude. Les conditions climatiques de la semaine dernière nous rappellent que les importantes vagues de froid ne vont pas disparaître et que la meilleure préparation au changement climatique consiste sans doute à renforcer conjointement les systèmes de chauffage et de refroidissement. La préparation du réseau électrique s’avère également nécessaire pour qu’il résiste aux températures extrêmes, qu’elles soient glaciales ou étouffantes.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.