Terre de Feu : comment les castors sont devenus une espèce invasive

Arrivés en 1946 sur la Grande île de la Terre de Feu, les castors y sont devenus une espèce invasive, qui met en danger cet écosystème fragile. Les gouvernements chilien et argentin tentent de réagir.

De Florent Lacaille-Albiges
Il y aurait 100 000 castors canadiens en Terre de Feu. Un problème pour l'environnement de ...
Il y aurait 100 000 castors canadiens en Terre de Feu. Un problème pour l'environnement de l'archipel.
PHOTOGRAPHIE DE Makedocreative, Creative Commons CC-BY-SA-3.0

Chaque année, la Terre de Feu attire de nombreux touristes en quête de nature et de faune sauvage. Sur la Grande île, la plus étendue de l’archipel situé à l’extrémité sud de l’Argentine et du Chili, ceux-ci croisent des otaries, des pingouins et surtout… beaucoup de castors !

Pourtant, jusqu’à la moitié du 20e siècle, l’espèce était encore parfaitement inconnue dans cette région de l’Amérique latine. En 1946, le gouvernement argentin a importé vingt-cinq couples de castors canadiens afin de développer le commerce de la fourrure. Aujourd’hui, les chercheurs estiment qu’il y a au moins 100 000 individus sur l’archipel, soit plus de cinq colonies au kilomètre carré. Avec une telle concentration, quatre fois supérieure à celle observée en Amérique du Nord, l’animal est devenu une espèce invasive. Un phénomène préoccupant.

Les îles de la Terre de Feu constituent un écosystème particulier. À cause du climat froid et humide, et de sa situation isolée, relativement peu d’espèces végétales s’y sont développées. Une étude menée par des chercheurs des universités de Géorgie (États-Unis) et de Magallanes (Chili) dans les forêts de l’île Navarino comptabilise seulement cinquante-sept espèces autochtones de plantes. De plus, sur la plupart des îles, aucun prédateur terrestre n’est présent pour réguler le nombre de castors.

Dans son milieu d’origine, le rongeur est essentiel à la biodiversité. Castor canadensis est une espèce « ingénieur ». En construisant des barrages, il modifie le paysage  et crée un nouvel habitat, des zones humides installées au cœur des forêts où de nombreuses plantes peuvent se développer. Son action permet en général de diversifier la flore.

La construction chez le castor américain

Mais, dans la région argentino-chilienne, des marais et tourbières existaient déjà naturellement avant l’arrivée du castor, notent les auteurs de l'étude américano-chilienne. Loin de diversifier l’écosystème, l’activité de l’animal grignote peu à peu les zones forestières, en les transformant en étangs. Or les forêts fuégiennes sont essentiellement composées de trois espèces d’arbres, toutes du genre Nothofagus, cousines du hêtre. Une seule d’entre elles se développe véritablement dans les zones humides.

Ces trois espèces d’arbres, contrairement aux espèces nord-américaines, n’ont pas évolué avec la présence des castors. Elles n’ont donc pas adopté de stratégie pour se replanter quand la colonie de castors abandonne le barrage. Les anciennes retenues deviennent alors des prairies quasiment vierges, propices à la prolifération d’espèces végétales invasives. Le passage du rongeur favorise ainsi la transformation de portions entières de cet écosystème fragile en corridors envahis par des espèces exotiques. Une menace pour la biodiversité. 

Devant un tel fléau, gouvernements et écologues recherchent la meilleure façon d’encadrer et, si possible, de réduire la population des indésirables. Les plans d’éradications se succèdent, mais les castors sont maintenant répandus sur toutes les îles de l’archipel et sur la partie la plus australe du continent. L’invasion progresse de près de 8 km par an vers le Nord.

Inquiets, des biologistes de l’université Duke (États-Unis) ont publié en 2017 un article testant les différentes options d’une zone tampon. Ils ont modélisé par informatique le déplacement des jeunes castors partant à la recherche d’une nouvelle zone à habiter et d’un compagnon avec qui fonder une colonie. En intégrant les données géographiques et le comportement du rongeur, ils ont ainsi obtenu plusieurs scénarios de dispersion.

Leur conclusion n’est pas rassurante. Par exemple, l’installation d’une zone tampon de 100 km où l’on abattrait au moins 60 % des individus pendant 10 ans, soit un total de près de 2000 bêtes, n’offrirait que 5 à 10 % de chances que l’espèce reste au sud de la ligne. Or, rappellent les chercheurs, il n’a suffi que de quelques couples pour envahir toute la Terre de Feu. S’il reste des survivants, même peu nombreux, ils seront à nouveau capables de faire de gros dégâts.

 

Retrouvez dans le magazine National Geographic de juillet 2019 un reportage sur l'écosystème marin de la Terre de Feu.

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