S'entraîner à explorer l'espace sous la Méditerranée

L’homme retournera-t-il sur la Lune ? Va-t-il explorer Mars ou tenter de s’arrimer sur des astéroïdes ? À Marseille, on réfléchit déjà à améliorer l’entraînement des spationautes… sous la Méditerranée.

De Céline Lison
Publication 9 nov. 2017, 01:55 CET

Par moments, il faut se pincer pour y croire : là, sous nos yeux, une sortie extravéhiculaire a débuté quelques minutes plus tôt. Sur les écrans de contrôle, on distingue très nettement le spationaute en apesanteur qui tente de maintenir sa position, arrimé à une roche. Lentement, il se saisit d’une grande pince pour prélever un échantillon.

Tout a l’air de bien se dérouler quand, tout à coup, le système de survie fixé au dos de son scaphandre s’ouvre en grand. En situation réelle, le scénario conduirait à la mort rapide de l’astronaute. Mais c’est la voix très calme d’une technicienne qui informe le poste de contrôle : « Gandolfi va remonter pour que nous puissions refermer le clapet. »

D’un soupir, Bernard Gardette, directeur scientifique de la Compagnie maritime d’expertises (Comex), confirme qu’il a bien entendu. Ce revers n’entame en rien son flegme. Après tout, l’homme qui porte « Gandolfi » – le nom du scaphandre – n’évolue qu’à 10 m de… profondeur et respire grâce à des bouteilles de plongée classiques. Aucun risque pour lui.

Pour la Comex, société marseillaise pionnière dans l’ingénierie sous-marine, cette mission consiste à tester, en pleine mer, le comportement du scaphandre. Une première. Gandolfi est pourtant né… quelque vingt-cinq ans plus tôt.

À l’époque, la station Mir vient d’être mise en orbite et de nombreuses sorties extravéhiculaires sont prévues. Côté européen surtout, le lancement du programme de la navette Hermès réclame l’entraînement des spationautes.

La Comex propose bientôt Gandolfi, un scaphandre immergeable capable, grâce au système de ressorts de ses articulations, de reproduire les spécificités d’encombrement et les contraintes de rigidité d’un vrai scaphandre dans l’espace. Pendant cinq ans, le bassin de l’entreprise va ainsi accueillir plusieurs spationautes, dont l’Allemande Heike Walpot et les Français Michel Tognini et Jean-François Clervoy.

Le scaphandre Gandolfi est le seul capable de placer son utilisateur en flottabilité neutre, comme dans l’espace. « Et ce, contrairement aux combinaisons spatiales utilisées sous l’eau, dans lesquelles le corps est soumis à la gravité, précise Jean-François Clervoy. En outre, il est facile à revêtir et dévêtir. » Mais, en 1992, l’abandon du programme Hermès met un terme au projet de la société. Gandolfi est rangé au placard.

V

ingt ans plus tard, l’idée refait surface. La Comex, passée d’une holding à une petite PME, cherche de nouveaux partenaires. En 2014, l’Europe devrait lancer un appel d’offres pour reproduire des interventions spatiales humaines en milieu naturel.

Mais, pour l’heure, aucune agence spatiale n’a lancé de programme pour envoyer l’homme sur Mars. Même la Lune semble trop lointaine à brève échéance… sauf peut-être aux taïkonautes qui, a priori, ne viendront pas goûter aux joies de la Méditerranée.

Reste les astéroïdes. Une mission de la Nasa, baptisée Neowise, a établi, en mai dernier, qu’environ 4 700 de ces corps métallo-rocheux de plus de 100 m de diamètre graviteraient dans le système solaire. La menace de collision avec la Terre est très faible à l’échelle humaine, mais certaine à l’échelle géologique.

Sans compter que même un astéroïde plus petit (supérieur à 10 m de diamètre) pourrait détruire une ville ou déclencher un raz-de-marée. D’ores et déjà, les nations réfléchissent à une stratégie pour pallier ce risque. Un homme sera-t-il un jour envoyé sur l’un de ces petits corps célestes ?

Sur cette illustration, un astronaute tente de s’arrimer à un astéroïde. Le scaphandre Gandolfi permet de ...
Sur cette illustration, un astronaute tente de s’arrimer à un astéroïde. Le scaphandre Gandolfi permet de tester ce scénario en mer, en conditions proches de celles de l’espace.
PHOTOGRAPHIE DE Antoine Levesque

« Aujourd’hui, personne ne sait comment agir pour éviter pareil choc, avoue Peter Weiss, responsable du projet Gandolfi. Mais, avec notre scaphandre, nous pouvons simuler des scénarios, tester des outils d’arrimage et de forage… »

Et si ce n’est pas pour sauver le monde, certains programmes envisagent la possibilité de « visiter » un jour les astéroïdes afin d’y récolter des éléments rarissimes sur Terre, voire en apprendre davantage sur le système solaire.

Pour l’heure, les spationautes de l’Agence spatiale européenne et ceux de la Nasa s’entraînent essentiellement en piscine. Et quand les Américains le font en mer, comme en 2011 avec la mission Neemo, ils utilisent une combinaison de plongée qui ne reproduit pas les effets de gravité réduits de l’espace.

« Or, les astronautes des missions Apollo qui ont travaillé sur la Lune mettaient jusqu’à deux fois plus de temps à exécuter une tâche que lors de leur entraînement sur Terre », insiste Bernard Gardette.

Pour lui, la gestion du stress en milieu hostile fait également partie des « avantages » de la mer par rapport à la piscine. Sans compter la configuration des opérations en mer, plus proche de celle de l’espace, avec un bateau en guise de base, un robot sous-marin (ROV) pour la sécurité et le retour vidéo, et un Zodiac en surface faisant office de navette lunaire.

« Outre un scaphandre d’entraînement, nous voulons proposer aux agences spatiales une variété de sites sous-marins sur lesquels elles pourraient s’entraîner, détaille Peter Weiss. Travailler en milieu naturel permet d’utiliser des outils sur différents substrats, semblables à ceux de la Lune, d’un astéroïde ou de Mars. C’est important non seulement pour les spationautes, mais aussi pour les scientifiques et les ingénieurs qui ont besoin de tester ces problématiques pour mieux les appréhender. »

Le scaphandre Gandolfi est le seul capable de placer son utilisateur en flottabilité neutre, comme dans l’espace. Géologue au CNRS (université de Provence) et fin connaisseur des milieux subaquatiques de la zone, Jacques Collina-Girard a déjà identifié des analogues possibles :

« J’ai respecté plusieurs critères : l’aspect cahotique des paysages, la facilité d’accès et la sécurité des sites par rapport à la météo. Autour de Marseille, la région est plutôt calcaire : cela correspond peu au substrat martien. En revanche, cela donne des sols avec du relief, des falaises, des dolines sous-marines… »

Une dizaine de sites ont ainsi été répertoriés autour de la cité phocéenne. Au large des calanques, on n’attend plus que l’arrivée des spationautes sous-marins. De là à ce qu’ils bouchent le port de Marseille.

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