Dawn, la sonde de la NASA qui a dépassé la science-fiction
Les créateurs de la série à succès The Expanse rendent hommage à la sonde spatiale contre laquelle ils ont « perdu ».
Cet essai fait partie d’une série dans laquelle des écrivains, des scientifiques et des passionnés d’astronomie nous confient pourquoi ils ont une relation si spéciale vis-à-vis de sondes ou de robots spatiaux.
Chère Dawn,
Qu’avons-nous fait pour t’énerver ? Pour te dire la vérité, tes attaques envers nos livres nous paraissaient bien personnelles.
En 2011, nous avons publié un roman de science-fiction intitulé L’Éveil du Léviathan, dont l’intrigue a pour cadre la planète naine Cérès, le plus grand objet de la ceinture d’astéroïdes. Nous l’avions notamment imaginé comme un lieu sec, riche en nickel-fer et peuplée de millions d’êtres assoiffés, buvant l’eau récupérée des anneaux de Saturne. Cette histoire a plu : elle a été nominée au prix Hugo et l’éditeur a acheté certains des tomes suivants.
Quatre ans plus tard, nous lancions une série télévisée adaptée du livre, mettant en scène l’équipage d’un cargo de glace spatial assiégé qui tente de continuer de fournir en eau la Station Cérès. C’était en 2015, l'année où tu es devenue le premier vaisseau spatial à orbiter autour d’une planète naine. Alors que nous nous rassemblions dans le bureau du scénariste et sur le plateau, que nous as-tu appris ? Qu’il y avait de l’eau sur Cérès. Et en quantité. Comme si cela ne suffisait pas, tu as découvert de grands dépôts de carbonate de sodium à la surface de la planète naine. Cela pouvait paraître inintéressant, jusqu’à ce que tu comprennes qu’il s’agissait de la preuve de la présence de volcans de glace. Sans rire, des volcans de glace.
Nous n’étions qu’au début de la série et, en plus d’être déjà dépassés, nous étions éclipsés.
Tu n’es pas le premier à avoir cet effet sur un écrivain et son travail, loin de là.
Dans Une princesse de Mars, Edgar Rice Burroughs attribua à la planète rouge des canaux en se basant sur les idées de l’astronome Percival Lowell. Tous deux avaient tort. Dans De la Terre à la Lune, Jules Verne émit l’hypothèse de la présence d’« éther » qui infiltrait l’Univers et était traversé par la lumière et la chaleur. Une idée enterrée quelques décennies plus tard par Einstein. Enfin, l’image du cyberespace faite par William Gibson dans les années 1980 dans Neuromancien ne ressemble en rien à Google.
Écrire de la science-fiction s’apparente à une course entre l’imagination de l’auteur et le progrès de la science et de l’histoire. La fiction perd toujours ; la seule question est de savoir avec quelle rapidité. Et toi ? Eh bien, tu nous rappelais à la réalité.
Le plus étrange, c’est que nous te soutenions, nous tous qui avions créé les mondes de cette histoire que toi et des partenaires avaient fini par rendre désuets. Nous puisions notre inspiration dans les missions Apollo et le programme Voyager. En grandissant, nous avions lu des livres comme How Do You Go To The Bathroom in Space? (Comment aller aux toilettes quand vous êtes dans l’espace ? en français) de William Pogue et Guide to Earth and Space (Guide de la Terre et de l’Espace) d’Asimov. Nous nous sommes interrogés sur les images de Saturne que Cassini a fait parvenir. Pendant que nous travaillions sur notre série, nous nous sommes rassemblés autour des écrans d’ordinateur et nous avons eu une drôle de sensation lorsque New Horizons a dévoilé un Pluton encore plus beau qu’aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer.
Et oui, nous nous sommes interrogés sur la tache claire présente sur Cérès que tu as dévoilé. Nous étions surexcités. Nous le sommes toujours.
Dawn, le but de la science-fiction a toujours été d’émerveiller, mais toi et les tiens, vous avez tout sabordé. Il y a quarante ans, nous n’étions tous deux que des enfants qui ne se rencontreraient jamais, qui lisaient sur les astronautes et les sondes spatiales, sur les découvertes qui avaient déjà été faites, et sur les interrogations entourant ce que nous découvririons par la suite.
L’idée que la lune de Saturne, Phoebé, se soit formée en marge de notre système solaire, voire peut-être dans un autre système stellaire, a nourri notre imaginaire. Le champ magnétique unique qui protège la lune de Jupiter, Ganymède, a donné forme à nos histories. L’atmosphère sur Titan, le satellite brumeux de Saturne, a été inclus dans nos intrigues parce que le même grand projet intellectuel d’exploration de l’univers et de compréhension de notre place en son sein qui t’a donné naissance, Dawn, nous en a parlé. Les livres que nous écrivons et les séries que nous réalisons ont un lien avec les moments de découverte.
Nous ne doutons pas qu’un enfant regardait les images que tu avais envoyé avec la même excitation et la même joie que nous en grandissant. Malgré ta vendetta à notre égard, Dawn, nous ne pouvons pas t’en vouloir.
Et ce que nous faisons, eh bien cela t’aide aussi. Nous le savons. Nous avons suffisamment côtoyé ceux qui travaillent au Jet Propulsion Laboratory, à la NASA et à Virgin Galactic pour savoir que les rêves que nous inventons servent d’inspiration à ceux que tu réalises. La Barsoom d’Edgar Rice Burroughs possédait peut-être des canaux qui n’existent pas, mais enfant, Carl Sagan a lu Une princesse de Mars et le désir de trouver de la vie sur un autre monde ne l’a jamais quitté. Si nous sommes chanceux, peut-être que la prochaine génération de lecteurs de Sagan lira quelques-unes des histoires que nous avons écrites et s’intéressera à la véritable science qui se cache derrière elles.
Divertir les gens, voilà ce que nous faisons. Ta mission consiste à explorer et mieux comprendre l’Univers dans lequel nous vivons. Toutefois, nous partageons un but commun : inspirer la prochaine génération de scientifiques, ingénieurs et artistes. Sur le long-terme, ton projet l’emportera toujours sur le nôtre, parce que le tien se fonde sur la réalité. Ce que tu découvres est souvent plus incroyable et prestigieux que ce que nous pouvons inventer.
Heureusement, l’imagination nous laisse toujours une marge de manœuvre. Nous avons trouvé la raison pour laquelle notre Cérès imaginaire est si sèche. Nous sommes donc réconciliés, pour le moment. Car tôt ou tard, l’un de tes frères ou sœurs va finir par partir pour l’espace et découvrir quelque chose que nous ne pouvons pas faire disparaître. Ou bien quelqu’un mettra au point un système de propulsion spatiale qui ne fonctionne pas comme nous l’avions imaginé. Ou encore le peuplement de la Lune et de Mars prendra un tournant inattendu qui conféra un charme désuet à notre futur fictionnel, tel un guerrier cyberpunk qui se hâte de trouver une cabine téléphonique avec un modem. Les choses sont ainsi.
Le travail que nous faisons résistera à l’épreuve du temps, ou il tombera et sera oublié. Le travail que tu as fait est là pour rester et alors que de futures sondes poursuivront ce bel effort technique et intellectuel difficile, nous connaîtrons mieux l’Univers. Les intrigues de la prochaine vague d’écrivains, de poètes et de réalisateurs peuvent se dérouler sur le Cérès que tu as trouvé. Nous serons seulement un peu jaloux qu’ils puissent avoir les volcans de glace.
À la prochaine,
JSAC (Daniel et Ty)
James S. A. Corey est le pseudonyme utilisé par Daniel Abraham et Ty Franck, auteurs des romans The Expanse et producteurs exécutifs de la série télévisée du même nom.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.