L'Inde a lancé sa mission historique vers le pôle sud lunaire

L'objectif de la mission Chandrayaan-2 : être les premiers à alunir en douceur au niveau du pôle sud lunaire.

De Michael Greshko
Publication 24 juil. 2019, 09:59 CEST
Des scientifiques et des employés s'affairent autour de Vikram, le module lunaire de Chandrayaan-2, dans un ...
Des scientifiques et des employés s'affairent autour de Vikram, le module lunaire de Chandrayaan-2, dans un centre de test situé au siège de l'Organisation indienne pour la recherche spatiale, à Bengaluru. Avec le succès du lancement de Chandrayaan-2, l'Inde a la ferme intention de devenir le quatrième pays à réussir un alunissage contrôlé.
PHOTOGRAPHIE DE Karen Dias, Bloomberg via Getty Images

Lundi à 11h13 heure de Paris, un vaisseau spatial aux reflets dorés tenu en équilibre sur une gigantesque colonne de flammes s'élançait vers le ciel dans un rugissement assourdissant. Baptisé Chandrayaan-2, cette fusée indienne est aujourd'hui quelque part entre la Terre le pôle sud lunaire. Si tout se passe comme prévu, son module touchera le sol poussiéreux de la Lune début septembre.

Avec cette mission, l'ambition de l'Inde est de devenir le premier pays à réussir un alunissage maîtrisé à proximité du pôle sud lunaire, et le quatrième à se poser délicatement sur la surface de notre satellite naturel après la Russie, les États-Unis et la Chine.

Les instruments scientifiques embarqués par le vaisseau permettront de faire la lumière sur les secrets intérieurs de la Lune et sa mince exosphère. Ils apporteront également des données essentielles sur la chimie du pôle sud lunaire, l'une des destinations les plus attrayantes pour l'atterrissage des futurs astronautes en mission sur la Lune.

Vous souhaitez en savoir plus sur cette mission historique vers un territoire lunaire encore vierge ? Voici ce que nous savons.

 

Chandrayaan-2 c'est quoi et en quoi cette mission est-elle importante ?

La mission Chandrayaan-2 est le tout dernier engin spatial envoyé sur la Lune par l'agence spatiale indienne, l'Organisation indienne pour la recherche spatiale, ou ISRO. L'objectif de cette mission est de faire suite aux observations réalisées par Chandrayaan-1, la première sonde spatiale lunaire indienne lancée en 2008. Bien que cet orbiteur ait connu une fin prématurée (10 mois au lieu des 2 ans prévus) ses données ont été cruciales dans la détection d'eau glacée sous la surface de la Lune. Il a par ailleurs insufflé un espoir certain à l'ensemble de la communauté scientifique indienne.

« Ces dix dernières années, Chandrayaan-1 a été une source d'inspiration pour de nombreuses personnes en Inde, et j'en fais partie ; j'ai commencé mon doctorat en 2009 après le lancement de la mission et j'ai rejoint les équipes de chercheurs de l'ISRO pendant les sept années qui on suivi, » déclare Sriram Bhiravarasu, chercheur postdoctoral au Lunar and Planetary Institute de Houston, au Texas, et ex-membre de l'équipe radar pour la mission Chandrayaan-2. « Pour moi, c'est une mission qui revêt une importance toute particulière. »

L'alunissage en douceur de Chandrayaan-2 viendra s'ajouter à la remarquable série de succès enregistrée par le programme des sciences planétaires de l'ISRO. Lorsqu'en mars 2014, l'orbiteur Mangalyaan atteignait Mars, il faisait de l'Inde le premier pays à réussir sa visite de la planète rouge au premier essai. Les missions scientifiques de l'ISRO se démarquent également par leur coût relativement faible. Les missions complexes vers d'autres mondes se chiffrent habituellement en milliards d'euros mais avec un budget d'environ 130 millions d'euros, Chandrayaan-2 aura coûté moins cher que le film Interstellar.

Cette nouvelle mission lunaire est également pionnière sur un tout autre plan. Pour la première fois dans l'histoire de l'ISRO, les deux postes décisionnels sont occupés par des femmes. Muthayya Vanitha, la directrice de projet qui travaillait auparavant sur Mangalyaan et Ritu Karidhal, la directrice de mission pour Chandrayaan-2, dont la contribution à Mangalyaan a permis d'assurer la mise en orbite de la sonde spatiale autour de la planète rouge.

 

Où et comment se déroulera l'alunissage de Chandrayaan-2 ?

Trois missions précédentes, dont Chandrayaan-1, ont envoyé des sondes s'écraser sur le pôle sud lunaire afin de projeter des débris pouvant être analysés chimiquement dans les airs par les orbiteurs. En 2009, les opérateurs de l'orbiteur japonais Kaguya (SELENE) ont volontairement provoqué le crash de cette sonde en fin de vie à proximité du cratère austral de Gill. L'engin spatial Chandrayaan-2 est quant à lui conçu pour effectuer une descente contrôlée afin d'être utilisé en surface. Contrairement à Chandrayaan-1, qui ne comptait qu'un orbiteur, Chandrayaan-2 se compose d'un orbiteur, d'un atterrisseur et d'un véhicule d'exploration spatiale (rover).

Afin de garantir un alunissage en douceur, Chandrayaan-2 n'a pas été directement propulsé vers la Lune. Il commencera son voyage par quelques orbites autour de la Terre et ses propulseurs embarqués l'éloigneront de celle-ci peu à peu, orbite après orbite, jusqu'à ce qu'il mette le cap sur la Lune. Une fois arrivé à proximité de cette dernière, Chandrayaan-2 allumera ses propulseurs pour entrer en orbite circulaire à environ 100 km de la surface.

À ce stade, l'orbiteur se séparera de sa précieuse cargaison : l'atterrisseur Vikram de 1 400 kg. Baptisé ainsi en hommage au physicien et premier président de l'ISRO, Vikram Sarabhai, ce module lunaire freinera ensuite automatiquement avant de scanner la surface de la Lune dans le but de détecter les cratères et les obstacles potentiels.

S'il ne rencontre pas de problème, Vikram touchera le sol lunaire le 6 septembre après avoir choisi l'un des deux sites potentiels d'alunissage situés entre les cratères Manzinus C et Sempelius N, à une latitude d'environ 70 ° sud. Vikram n'atterrira donc pas à proprement parler sur le pôle sud lunaire mais cet atterrissage sera, de loin, le plus au sud jamais réalisé sur la Lune.

Peu de temps après l'alunissage, Vikram déploiera une rampe et Pragyaan fera son entrée sur notre satellite. Ce rover de 27 kg, dont le nom signifie en sanscrit « sagesse », est conçu pour couvrir une distance de 500 m à l'aide d'une batterie solaire de 50 W. La durée de vie prévue de Vikram et Pragyaan est d'une journée lunaire, soit environ deux semaines terrestres. Bien que leur résistance aux températures glaciales de la nuit lunaire soit incertaine, leur compagnon aérien poursuivra son orbite pendant un an.

 

Quels sont les instruments embarqués pour cette mission et quelles analyses scientifiques seront réalisées ?

La charge utile de Chandrayaan-2 comporte 13 instruments scientifiques dont 8 sur l'orbiteur, 3 sur l'atterrisseur Vikram et 2 sur le rover Pragyaan.

L'orbiteur, une version améliorée de celui qui équipait Chandrayaan-1, transporte un appareil photo capable de scanner la surface de la lune avec une résolution de 5 m. Il peut également cartographier la présence en surface de certains éléments comme le magnésium et il pourra détecter la composition de l'infime exosphère de la Lune.

En particulier, un appareil photo transmettra des images haute-résolution de leurs sites d'alunissage à Vikram et Pragyaan. Le système radar de l'orbiteur sera en mesure de sonder les zones constamment plongées dans l'obscurité à l'intérieur des cratères polaires. Si à ces endroits sombres se cache de la « glace souillée » (mélangée à la poussière lunaire), alors Chandrayaan-2 pourra la détecter.

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    Il y a plus d'eau sur la Lune qu'on ne le pensait

    La charge utile du module Vikram comprend un sismomètre conçu pour détecter les tremblements de Lune, il transportera également une sonde pour mesurer la densité des électrons et d'autres particules chargées à proximité de la surface lunaire. Le rover Pragyaan embarque lui aussi son lot d'instruments scientifiques : il tractera un bloc de Curium 244 duquel jailliront des rayons X et des particules à haute énergie. À mesure que ce rayonnement inondera les roches voisines, les éléments qu'elles contiennent deviendront fluorescents et Pragyaan pourra alors analyser leur composition chimique.

    L'objectif premier de la mission est de mieux comprendre la distribution de la glace d'eau et d'autres composés conservés près des pôles lunaires ainsi que la structure intérieure de la Lune. De telles recherches permettront aux scientifiques d'approfondir leurs connaissances des origines de ce satellite et du système solaire. Elles aideront par ailleurs les futurs astronautes à mieux localiser les potentielles sources d'eau.

    Bien que l'alunissage y soit délicat, le pôle sud lunaire est sans aucun doute la meilleure option possible pour l'Homme. En plus de l'eau sous forme de glace et d'autres matériaux importants, on y trouve également à proximité du cratère de Shackleton des pics où la lumière du soleil ne faiblit pas pendant 200 jours lunaires consécutifs : une réelle source d'énergie solaire quasi-illimitée pour les futurs explorateurs. (À lire : Le pôle sud lunaire, nouvel eldorado céleste)

    Il n'est toutefois pas facile de déterminer la provenance et l'activité actuelle de cette eau lunaire. La Lune dispose vraisemblablement de trois types d'eau : les restes primaires de sa naissance, la glace d'eau déposée par les impacts de comètes et l'eau ionisée formée en surface, peut-être par les particules chargées en provenance du soleil. À ce jour, personne ne peut expliquer les interactions entre ces différentes formes.

    « On peut dire qu'il existe un cycle lunaire de l'eau mais on ne dispose d'aucune connaissance à ce sujet, » fait remarquer Bhiravarasu. « Cette mission, si tout se passe bien avec les instruments embarqués, apportera des données essentielles à la reconstitution de ce puzzle. »

     

    Après cette mission, quelles sont les ambitions de l'Inde pour son programme spatial ?

    Le programme spatial de l'Inde ne montre aucun signe de ralentissement, et ce sera bien évidemment toujours le cas si Chandrayaan-2 est une réussite. L'ISRO a récemment fait appel aux agences spatiales européennes afin qu'elles contribuent à la mission Shukrayaan-1, une sonde censée visiter Vénus dont le lancement est a priori prévu pour 2023.

    « Vous savez, l'espace est toujours aussi vierge, donc avec trois missions réussies nous devrions mettre le cap sur des destinations plus éloignées, » poursuit Bhiravarasu. « Cette mission devrait donner confiance à l'ISRO en tant qu'entité pour mener d'autres missions planétaires au cours des dix prochaines années. »

    En août 2018, le premier ministre indien Narendra Modi levait officiellement le voile sur le programme Gaganyaan (en français, vaisseau spatial, ndlr), une mission ambitieuse de l'ISRO dont l'objectif est de construire et mettre en orbite d'ici 2022 un vaisseau spatial pouvant accueillir des astronautes indiens. Si Gaganyaan se déroule comme prévu, l'Inde deviendra le quatrième pays à envoyer ses propres astronautes dans l'espace à bord de ses propres véhicules et rejoindra là-encore la Russie, les États-Unis et la Chine.

    En 2018, le journal Times of India  faisait état d'obstacles à la fois budgétaires et techniques rencontrés par le projet Gaganyaan. Du côté de l'équipage en revanche, l'agence spatiale a réalisé certains progrès. En juin, le président de l'ISRO, Kailasavadivoo Sivan, annonçait que l'armée de l'air indienne allait sélectionner avant août 2019 dix candidats potentiels parmi lesquels seraient désignés trois astronautes. Enfin, en juillet, l'ISRO signait un accord avec Roscosmos, l'agence spatiale russe, pour former ces astronautes.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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