Première observation d’un trou noir « avalant » une étoile à neutrons

Des remous dans la fabrique de l'espace-temps révèlent ce qui pourrait bien être une première dans l'histoire des collisions cosmiques.

De Michael Greshko
Publication 20 août 2019, 17:07 CEST
Cette vision d'artiste illustre un trou noir en train de dévorer une étoile à neutrons. À ...
Cette vision d'artiste illustre un trou noir en train de dévorer une étoile à neutrons. À mesure que l'étoile à neutron tourbillonne autour du trou noir, l'immense force gravitationnelle de ce dernier déchire peu à peu l'étoile dans un phénomène appelé événement de rupture par effet de marée.
PHOTOGRAPHIE DE Illustration de Dana Berry, NASA

Il y a 900 millions d'années jaillissait d'un trou noir une impressionnante éructation lancée à travers le cosmos. Le 14 août, ses ondes résiduelles croisaient le chemin de la Terre et nous apportaient au passage la preuve la plus saisissante d'un type de collision cosmique sans précédent qui pourrait nous permettre d'approfondir notre compréhension des rouages de l'univers.

Baptisé S190814bv, le signal détecté aurait été provoqué par la fusion d'un trou noir et d'une étoile à neutrons, le reliquat ultra-dense d'une étoile après son explosion. Bien que ce type de système binaire ne soit pas une surprise pour les astronomes, il n'a encore jamais été observé par les télescopes pointés vers les cieux à la recherche de différentes longueur d'ondes. (À lire : La première image d'un trou noir vient d'être révélée.)

Cependant, les astronomes s'attendent également à ce que de tels systèmes donnent naissance à des remous caractéristiques appelés ondes gravitationnelles à l'instant même où le trou noir et l'étoile à neutrons fusionnent. Ces secousses de l'espace-temps ont été prédites il y a plus d'un siècle par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale qui suggérait que la collision entre deux astres de masses extrêmes provoquerait un froissement du cosmos.

Des ondes gravitationnelles ont été détectées pour la première fois en 2015 lorsque l'observatoire LIGO avait capté le signal émis par la fusion de deux trous noirs. Depuis, LIGO et son homologue européen, l'observatoire Virgo, ont détecté d'autres fusions de trous noirs ainsi que la collision de deux étoiles à neutrons. LIGO et Virgo ont tous deux détecté S190814bv et si ce signal était bien celui de la collision entre un trou noir et une étoile à neutron, alors il serait le troisième type distinct de collision identifié grâce aux ondes gravitationnelles.

Bien que les détecteurs aient également capté les signaux d'une fusion entre étoile à neutrons et trou noir le 26 avril dernier, les chercheurs affirment que S190814bv est autrement plus convaincant. L'événement détecté en avril a une chance sur sept de n'être que du bruit en provenance de la Terre et des fausses alertes semblables à celle du signal d'avril devraient apparaître une fois tous les vingt mois. En revanche, les scientifiques sont quasi-certains de la provenance extraterrestre du signal S190814bv et selon les estimations de l'équipe LIGO, pour enregistrer une fausse alerte semblable à S190814bv, il faudrait attendre plus longtemps que l'âge de l'univers.

« C'est un signal qui mérite bien plus notre enthousiasme, » commente Christopher Berry, membre de l'équipe LIGO et physicien à l'université Northwestern. « Il a nettement plus de chance d'être authentique et vaut donc le coup d'investir du temps et des ressources. »

 

UN BROYEUR STELLAIRE

LIGO et Virgo ont par ailleurs retracé les origines de S190814bv à une parcelle de ciel ovale environ 11 fois plus étendue que la pleine Lune, ce qui permet aux télescopes de rester attentifs aux moindres éclats de lumière à venir. De nombreux instruments sur Terre ou en orbite ont suspendu leur activité régulière pour apporter leur pierre à l'édifice et publient leurs premiers résultats en temps réel.

« C'est passionnant, » témoigne Aaron Tohuvavohu, scientifique à l'observatoire du télescope Swift de la NASA qui scrute le ciel à la recherche de rayons X et d'ultraviolets dans la zone même où ont été détectées les ondes gravitationnelles. « Je n'ai pas dormi de la nuit, et je suis très heureux de participer à ce projet. »

Si Swift et d'autres télescopes parviennent à entrevoir les rémanences lumineuses de la collision détectée par LIGO et Virgo, ce sera incontestablement un exploit pour l'astronomie puisque cette lumière offrirait pour la première fois aux scientifiques un aperçu des entrailles d'une étoile à neutrons et une nouvelle méthode pour tester les limites de la relativité.

« Ce serait fantastique pour un théoricien, presque un rêve, » confie Vicky Kalogera, membre de l'équipe LIGO et physicienne à l'université Northwestern.

Il n'est toutefois pas garanti que les télescopes apercevront quelque chose. À l'heure actuelle, les théories prévoient que les collisions entre une étoile à neutron et un trou noir n'émettent pas systématiquement de lumière, en fonction de la masse relative des deux objets.

Plus les masses du trou noir et de l'étoile à neutrons sont similaires, plus l'étoile met de temps à tournoyer autour du trou noir avant d'être engloutie. Cela laisse le temps aux deux tourtereaux de valser très étroitement et donc au trou noir de désintégrer l'étoile à neutron à force de gravité. La lumière émise peut alors parvenir jusqu'aux télescopes avant que cette nuée scintillante de confettis ne soit définitivement avalée par l'obscurité.

En revanche, si le trou noir est beaucoup plus massif que l'étoile à neutrons, il peut très bien n'en faire qu'une bouchée sans plus de remous et surtout sans qu'aucune lumière ne soit émise. Kalogera nous informe que les scientifiques parcourent encore aujourd'hui les données relatives à S190814bv afin de déterminer un ordre de grandeur pour la masse du trou noir, ce qui devrait permettre de clarifier la situation à ce sujet.

 

UN CASTING DE TAILLE

Il existe un autre scénario, plus étrange cette fois, dans lequel S190814bv ne serait pas du tout une étoile à neutrons.

LIGO et Virgo trient les collisions qu'ils ont aperçues en fonction de la masse des objets concernés. Tout objet de masse inférieure à trois fois celle de notre soleil est considéré comme une étoile à neutrons. Tout objet dont la masse dépasse cinq masses solaires est considéré comme un trou noir. Dans le cas du signal S190814bv, la masse du plus petit corps est inférieure à trois masses solaires.

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    Bien que des trous noirs moins massifs existent en théorie, les mesures aux rayons X du cosmos n'ont jamais permis d'en trouver. De la même façon, nos théories les plus avancées sur les étoiles neutrons démontrent que si leur masse dépasse de loin deux masses solaires, elles s'effondreront et formeront un trou noir. Et si cet écart entre trois et cinq masses solaires n'était que le reflet d'un fossé dans nos observations ? Et si le plus petit objet du signal S190814bv était en fait un minuscule trou noir ?

    « Cet événement peut en fait nous permettre de percer deux mystères, » explique Berry. « Quelle est la masse maximale pour une étoile à neutrons et quelle est la masse minimale pour un trou noir ? »

    Certains aspects subtiles des ondes gravitationnelles sont susceptibles d'aider les scientifiques à identifier le plus petit objet de S190814bv. Et si par chance les mesures de suivi parvenaient à saisir une lueur rémanente (ce qui pourrait prendre plusieurs semaines selon Kalogera), cela confirmerait que cet objet était bien une étoile à neutrons.

    Quelle que soit la nature du signal, ce sera une première, conclut Berry : « On gagne à tous les coups. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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