Pourquoi la sortie spatiale 100 % féminine aurait dû avoir lieu il y a 7 mois
La première sortie spatiale 100 % féminine nous rappelle la nécessité de concevoir des combinaisons spatiales adaptées à des morphologies plus diverses que celles anticipées par les constructeurs à l'origine.
Vendredi 18 octobre 2019, alors qu'elles flottent dans le vide intersidéral, les astronautes de la NASA Christina Koch et Jessica Meir écrivent l'histoire au cours de la toute première sortie spatiale 100 % féminine visant à remplacer une unité de recharge des batteries de la Station spatiale internationale.
Cet événement est la concrétisation d'un projet dont le report avait fait beaucoup de bruit. Christina Koch et Anne McClain devaient procéder à cette sortie entièrement féminine il y a sept mois, le 29 mars 2019, mais McClain n'avait vécu que quelques jours plus tôt sa première expérience avec les combinaisons spatiales conçues pour ce type d'activité extravéhiculaire appelées Extravehicular mobility unit, ou EMU.
Malgré son entraînement sur Terre à la fois avec des versions large et medium de l'EMU, ce n'est qu'après sa première sortie spatiale que McClain a réalisé que la version medium du haut du torse rigide (HUT, hard upper torso) correspondait mieux à sa morphologie. Koch avait demandé la même taille et les autres composants medium disponibles ne pouvaient pas être correctement assemblés pour cette sortie spatiale, McClain avait donc laissé sa place à l'astronaute Nick Hague.
Cet échange avait provoqué un véritable tollé mais la décision, recommandée par McClain elle-même, était la plus logique à prendre face à cette situation. Il est primordial que les combinaisons spatiales soient parfaitement adaptées aux astronautes pour leur éviter des blessures ou une fatigue supplémentaire.
« Lorsqu'il est possible de remplacer les personnes, la mission prend le pas sur l'événement, » avait déclaré en mars au New York Times la porte-parole de la NASA Stephanie Schierholz.
Ce fiasco de la combinaison est plus complexe que le sexisme qu'il laisse entrevoir. Cela dit, les événements de cette journée font écho à un problème bien réel pour toutes les femmes œuvrant dans des disciplines jadis réservées aux hommes : les outils qu'elles utilisent ont souvent été conçus sans penser à elles. Et il va sans dire que l'aviation spatiale a eu beaucoup de mal à accepter les femmes dans ses rangs par le passé en leur interdisant par exemple d'intégrer les premiers corps d'astronautes des États-Unis ou en se réfugiant derrière des peurs infondées comme la dangerosité des menstruations dans l'espace.
Il convient alors de se demander comment se déroule la conception d'une combinaison extravéhiculaire et si les prochains modèles qui équiperont l'Homme lors de ses voyages sur la Lune et au-delà prendront bien en compte la femme.
DU SUR-MESURE AU PRÊT-À-PORTER
Les combinaisons spatiales sont un élément crucial du succès des expéditions longue-durée en dehors du champ d'action de la gravité terrestre. Elles apportent la pressurisation et les niveaux d'oxygénation nécessaires au fonctionnement de notre frêle organisme. Sans elles, la rapide décompression provoquée par le vide spatial pourrait non seulement entraîner l'évacuation des gaz de notre sang mais également déclencher une rapide expansion de l'air contenu dans nos poumons jusqu'à leur potentielle rupture.
Les premières combinaisons spatiales de la NASA ont été conçues spécifiquement pour les personnes qui allaient les porter, soit des hommes uniquement jusqu'à ce que la première classe de femmes vienne grossir les rangs de la NASA en 1978.
La première combinaison américaine conçue pour les sorties spatiales a été testée avec succès en juin 1965 par l'astronaute Ed White à l'occasion d'une sortie en dehors de la capsule Gemini, la seconde de la course à l'espace après celle réalisée en mars de la même année par le cosmonaute russe Alexei Leonov. Composée de 21 couches, la combinaison portée par Ed White était une adaptation des combinaisons de vol monopièces plus fines portées par les astronautes lors du lancement et de la rentrée sur Terre. La principale source d'oxygène de la combinaison restait quant à elle à bord de l'appareil, reliant White à l'engin spatial.
Mais avec tous les regards dirigés vers la Lune, cette configuration devait évoluer rapidement.
« Le programme Apollo de la NASA a permis de réaliser des progrès révolutionnaires, » déclare Cathleen Lewis, conservatrice des combinaisons spatiales et des programmes spatiaux internationaux au National Air and Space Museum de la Smithsonian Institution. « Ils ont dû concevoir une combinaison qui permettrait aux astronautes d'opérer dans le vide intersidéral mais également d'explorer un autre monde ; ils devaient donc pouvoir se lever, marche et être autonomes. »
Les combinaisons Apollo étaient comme des « mini vaisseaux, » illustre Lewis, chacune étant équipée d'un système de contrôle de la pression, d'une réserve d'oxygène, d'un collecteur d'urine, de matériaux résistants aux perforations et bien plus encore. La conception de ces capsules individuelles pour chaque astronaute était très coûteuse et Lewis nous explique que les combinaisons ont sans cesse gagné en complexité au fil du programme Apollo. Même les éléments qui auraient pu sembler faciles à modifier pour un environnement terrestre posaient des complications exorbitantes dans l'espace, par exemple la modification des combinaisons pour que les astronautes puissent s'asseoir dans un rover lunaire.
La NASA a donc fini par demander des combinaisons réutilisables avec une conception modulaire dans laquelle les différents composants équipant les bras, les jambes et le torse pouvaient être échangés. Cette époque est aussi celle des premières femmes acceptées dans le programme d'entraînement des astronautes. La question de la taille des combinaisons est alors devenue particulièrement complexe et les différences morphologiques entre hommes et femmes se sont révélées très importantes.
L'objectif était d'avoir des composants adaptés à des personnes allant d'une femme relativement petite mesurant 1,50 m à un homme modérément grand d'1,90 m, ce qui n'est pas excessif selon Lewis, certains athlètes étant bien plus imposants que ça.
Des tests ont permis de mettre en évidence des problèmes inattendus chez les hommes, fait remarquer Lewis. Par exemple, l'un des testeurs avaient une amplitude de mouvement si limitée qu'il ne pouvait pas placer ses coudes l'un contre l'autre devant lui. Personne n'avait réalisé que c'était un problème jusqu'à ce qu'une femme au torse étroit connaisse la même difficulté. Le rapprochement du passage des bras a ainsi permis d'augmenter l'amplitude des hommes et des femmes présentant un haut du corps étroit.
« Il aura fallu beaucoup d'essais et d'erreurs pour y arriver, » rapporte Lewis. « Avec cette diversité, la situation ne se résume pas aux femmes et aux hommes ; il faut s'adapter à la vaste palette de morphologies humaines existantes. »
Au départ, les tailles des divers composants allaient de XS (extra-small, très petit) à XL (extra large, très grand). Cependant, au fil des années, la NASA a supprimé les combinaisons S et XS et puisque les femmes ont tendance à être plus petites que les hommes, ce changement a particulièrement affecté les femmes astronautes.
C'est en partie à ces combinaisons modulaires que l'on doit l'annulation de la première sortie 100 % féminine en mars dernier et ce sont elles également qui ont été utilisées vendredi dernier. Elles ont été perfectionnées au fil des années, fait remarquer Lewis, mais l'idée de départ de la NASA était que ces combinaisons puissent être utilisées de nombreuses fois. L'organisation avait d'ailleurs mentionné dans ses contrats une durée de vie de 15 ans pour tous les équipements hors gants.
LE FUTUR DES COMBINAISONS SPATIALES
La situation pourrait bientôt faire un petit pas en avant, du moins pour les astronautes qui se destinent à dépasser l'orbite de la Terre. Le 8 octobre, la NASA dévoilait sa prochaine génération de combinaisons spatiales, l'Exploration Extravehicular Mobility Unit, ou xEMU, qui devraient être portées lors de la mission Artemis à destination de la Lune.
Bien que leur design puisse paraître similaire aux combinaisons actuelles à l'exception des bandes rouges et bleues, chacune d'entre elles est dotée de nouvelles fonctionnalités. Selon un communiqué de la NASA, les xEMU offriront notamment aux astronautes une plus grande agilité en réduisant par exemple leur besoin de sauter pour se déplacer sur la surface lunaire, un mouvement certes comique mais surtout très énergivore. Les astronautes devraient même être capables de lever leurs bras par-dessus leur tête, une prouesse impossible avec les EMU actuelles.
Et puisque l'objectif de la mission Artemis est d'envoyer un homme et une femme sur la Lune, les nouvelles combinaisons promettent une meilleure adaptation aux différentes morphologies que les modèles précédents. Chaque astronaute devra se soumettre à un scanner en trois dimensions en mouvement et dans différentes positions. Cela permettra à la NASA d'attribuer à chaque homme et femme les « composants qui leur offriront le plus grand confort et la plus grande amplitude de mouvement, » peut-on lire dans le communiqué.
Les nouvelles combinaisons seront toujours conçues sur le principe du modulable mais les différents modules seront plus nombreux et fabriqués dans une gamme de tailles plus étendue. De même, selon The Verge, des épaules adaptables devraient permettre un ajustement encore plus précis.
Avant que les combinaisons Artemis ne fassent leurs preuves sur la Lune, elles devront subir une batterie de tests sur Terre et probablement dans la Station spatiale internationale. Et même après tous ces tests, les combinaisons seront loin d'être parfaites. Peu importe la personne qui les porte, le problème des combinaisons pressurisées traditionnelles reste le manque de confort et de manœuvrabilité. Les astronautes doivent toujours lutter contre la pression interne, en porter une serait donc un peu comme essayer de se déplacer en étant à l'intérieur d'un ballon.
« Dès que vous faites quelque chose, vous avez l'impression d'être repoussé, » explique Lewis. Les astronautes en sortie dans l'espace doivent consacrer plusieurs heures épuisantes à réaliser des expériences ou à faire des réparations et même dans une combinaison adaptée à leur morphologie, ils finissent souvent avec des lésions aux tissus mous et des tendinites.
Comme le rappelle la NASA dans son communiqué de presse sur la combinaison Artemis : « Le voyage dans l'espace ne convient pas aux plus fragiles d'entre nous. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.