Mars : d'étranges pics d'oxygène intriguent les scientifiques
Cette découverte est symptomatique des énigmes chimiques que nous devons élucider afin de rechercher efficacement les signes de vie lors des prochaines missions sur Mars.
Après plus de six ans passés à respirer l'air fin et frais de la planète rouge, un rover de la NASA a fait une découverte surprenante : il y a plus d'oxygène gazeux dans l'atmosphère martienne que les scientifiques ne l'avaient prévu et qui plus est, il se comporte bizarrement.
Sur Mars, à l'été et au printemps, les niveaux d'oxygène enregistrent une augmentation d'environ 400 parties par million, soit un excédent de 30 % par rapport aux prévisions des chercheurs fondées sur le comportement d'autres gaz contenus dans l'atmosphère de la planète. Ce pic d'oxygène semble coïncider en partie avec un autre mystère gazeux : un flux et reflux saisonnier du méthane.
« Mars s'est une nouvelle fois jouée de nous ! » déclare Sushil Atreya, planétologue à l'université du Michigan et membre de l'équipe dont les résultats sur l'étrange comportement de l'oxygène ont été publiés dans la revue Journal of Geophysical Research: Planets.
Bien que la présence d'oxygène dans l'atmosphère d'une planète puisse rappeler à notre mémoire le processus de photosynthèse, la fabrication d'oxygène n'est pas l'apanage des êtres vivants sur la planète rouge et cette découverte ne constitue pas nécessairement une preuve de la vie sur Mars. Elle vient plutôt mettre en évidence les fossés dans notre compréhension des réactions chimiques à l'œuvre en surface, autant de lacunes qui doivent absolument être comblées si l'on veut ouvrir la chasse aux Martiens, passés ou présents.
L'été prochain, quatre pays vont lancer des missions à destination de Mars pour atteindre cet objectif, c'est le cas notamment des États-Unis avec le rover Mars 2020 de la NASA qui prélèvera des échantillons avant de les retourner sur Terre. C'est également le cas de l'Union européenne et de la Russie avec la mission collaborative ExoMars dont fait partie le rover Rosalind Franklin. Ce petit explorateur robotisé forera le sol martien sur près de deux mètres, ce qui permettra d'examiner mieux que jamais la chimie des entrailles de la planète. (À lire : D'étranges pulsations magnétiques découvertes sur Mars.)
« Quel que soit le nouveau système découvert sur une planète, la vie doit être l'explication de dernier recours, » déclare l'auteure principale de l'étude Melissa Trainer, planétologue au Goddard Space Flight Center de la NASA. « Nous devons nous assurer de bien comprendre le fonctionnement de Mars en tant que système. »
DES GAZ TURBULENTS
Une grande partie de nos connaissances actuelles sur l'atmosphère de Mars provient des mesures réalisées par des télescopes terrestres ou des sondes placées en orbite autour de Mars capables de traquer les signaux chimiques révélant sa composition, notamment les niveaux d'oxygène. Les scientifiques savaient déjà que cet oxygène pouvait être fabriqué par des processus non biologiques.
Lorsque les rayons ultraviolets en provenance du soleil rencontrent le dioxyde de carbone et la vapeur d'eau contenus dans l'atmosphère martienne, ils décomposent ces molécules et créent de l'oxygène moléculaire, ou O2, qui finit par former du CO2 après une série de réactions chimiques, ce qui complète le cycle. Ce faisant, une molécule individuelle de O2 peut traîner jusqu'à 10 ans dans l'atmosphère de la planète rouge, parfois même plusieurs décennies. Cet O2 fabriqué par la lumière du Soleil constitue environ 0,13 % de l'atmosphère de Mars.
En raison de sa stabilité sur le long terme, les chercheurs pensaient que l'oxygène martien se comporterait principalement comme un gaz non réactif, allant et venant à la manière des gaz inertes que sont l'argon et le nitrogène. Cependant, en raison d'un voile de poussières et d'autres facteurs, il n'est pas possible d'obtenir des données fiables sur l'air stagnant à proximité de la surface martienne à l'aide des télescopes… et c'est là qu'entre en jeu le rover Curiosity. Il arpente le sol rougeâtre de la planète depuis 2012 et la base de données qu'il a créée sur l'air local est la plus exhaustive jamais compilée.
« Ce sont vraiment des mesures sans précédent, » assure Trainer.
Les mesures de Curiosity ont révélé qu'après tout, l'oxygène de Mars n'était pas si docile que ça. Non seulement les niveaux d'O2 grimpent en flèche chaque année martienne, mais en plus ces pics de concentration sont irréguliers d'une année à l'autre.
« Lorsque nous l'avons vu pour la première fois, je me suis dit, "C'est très bizarre", » se souvient Atreya.
De plus, ces climax d'oxygène semblent être étrangement similaires à des pics saisonniers de méthane, un gaz présent sous forme de traces dans l'atmosphère martienne et qui, sur Terre, est fréquemment associé à la vie. Les concentrations de ces deux gaz diminuent en automne et en hiver avant de remonter au printemps et à l'été, non sans quelques différences clés. L'oxygène entame son ascension plus tôt dans l'année martienne que le méthane et, contrairement à l'escalade irrégulière de l'oxygène, celle du méthane est uniforme d'année en année.
« C'est un tout nouveau pan du mystère et il nous apparaît extrêmement curieux, nous voulons absolument déterminer s'il existe une corrélation entre ces deux phénomènes, » indique Trainer. « Ils pourraient tous deux provenir d'une source en surface, mais rien n'indique qu'ils ont la même source. »
À PLEINS GAZ
Pour le moment, aucune trace évidente de suspect qui serait à l'origine des pics d'oxygène. Le processus singulier de fabrication de l'oxygène martien alimenté par la lumière du Soleil ne se produit pas assez rapidement pour expliquer une augmentation aussi soudaine. Trainer et ses collègues ont donc concentré leurs recherches sur la surface de la planète rouge où se concentre pléthore de substances chimiques contenant de l'oxygène.
Parmi les suspects potentiels figurent les perchlorates, des sels toxiques que l'ont trouve dans le sol martien. En théorie, les radiations cosmiques frappant la planète rouge sont capables de désintégrer les perchlorates en composés plus réactifs qui pourraient ensuite libérer du dioxygène. Cependant, d'après les chercheurs, ce processus se produirait à un millionième de la vitesse nécessaire pour expliquer le pic annuel.
Une autre possibilité réside dans le peroxyde d'hydrogène, le cousin instable de l'eau. Utilisé sur Terre pour ses propriétés antiseptiques, le peroxyde d'hydrogène gazeux est également fabriqué continuellement par la décomposition du dioxyde de carbone et de la vapeur d'eau sous l'effet de la lumière du soleil, il constitue donc une petite partie de l'atmosphère martienne. Les modèles chimiques suggèrent que ce peroxyde d'hydrogène peut se répandre dans le sol martien et se fixer sur des particules jusqu'à 3 m de profondeur et former ainsi une sorte de réserve enfouie d'oxygène. (À lire : Mars : des poches d'eau salée pourraient abriter la vie.)
Là encore, même dans le meilleur des scénarios, c'est à dire en supposant que ce peroxyde d'hydrogène peut stagner dans le sol pendant 10 millions d'années, l'équipe de Trainer estime que ce processus ne serait responsable que d'un dixième des molécules d'oxygène nécessaires pour expliquer la hausse des concentrations.
L'équipe a également réexaminé les résultats de l'atterrisseur Viking des années 1970 qui avait découvert qu'une humidification du sol martien provoquait la libération d'un volume surprenant d'oxygène gazeux. Trainer et ses collègues pensent toutefois qu'il n'y a aucun lien direct entre ce phénomène et leurs observations. Tout d'abord, l'expérience Viking a été réalisée à 10 °C, ce qui est nettement plus élevé que la température moyenne en surface sur Mars. Ensuite, la simple libération d'oxygène par le sol martien, aussi soudaine soit-elle, n'explique pas comment les pics d'oxygène refont surface année après année, sans aucune méthode de régénération.
« Viking ne nous donne pas de suspect, c'est un autre crime, j'imagine » observe le coauteur Timothy McConnochie, chercheur postdoctoral à l'université du Maryland.
POUSSIÈRE EXOTIQUE
Trainer et ses collègues réfléchissent encore aux solutions possibles. Atreya aimerait par exemple s'intéresser davantage à la façon dont les particules à haute énergie fusant à travers la galaxie pourraient provoquer des réactions chimiques dans les premiers mètres au-dessus de la surface martienne. Non impliquée dans l'étude, la planétologue de Caltech Bethany Ehlmann ajoute que les sols martiens sont plus réactifs que le terreau de notre planète natale.
« Nous ne comprenons toujours pas totalement la composition du sol martien ; il est clair qu'il est assez exotique, comparé à celui de la Terre, du fait qu'il est très riche en minéraux ferrugineux ou sulfurés, » poursuit-elle. « Ses propriétés semblent intéressantes. »
De futures missions pourraient être utiles à cet égard, surtout si elles sont en mesure de prélever plus d'échantillons atmosphériques. En raison de la demande scientifique qui pèse sur Curiosity, Trainer n'a pu obtenir que 19 points de données au cours des saisons martiennes. Bien que cela lui donne un aperçu de la tendance au long terme, il a dû tirer un trait sur l'observation de changements à court terme. Que trouverait-on si nous pouvions relever les concentrations en oxygène et en méthane chaque jour, et même chaque heure ?
« Ce serait beaucoup, beaucoup plus utile, ce serait fabuleux, » lâche Germán Martínez, coauteur et chargé de recherche au Lunar and Planetary Institute de Houston, au Texas.
Avec chaque nouvelle étude, les scientifiques auront une meilleure appréciation de la nature et de la quantité des réactions non vivantes qui contribuent à la réserve d'oxygène de la planète Mars et ils pourront ainsi garantir une meilleure préparation pour faire la différence entre géologie et biologie, dans l'espace comme sur Terre.
« Sur Terre, tous ces processus sont submergés par les effets de notre biosphère, » explique Trainer. « En allant sur Mars, nous sommes surpris par le comportement de l'oxygène. Cela nous montre qu'il y a encore beaucoup à apprendre, beaucoup à creuser, pour ainsi dire. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.