Une équipe d'astronomes est parvenue à sonder un lointain trou noir

Grâce à une technique rappelant l'écholocalisation, des scientifiques ont pu cartographier la région autour de l'horizon des événements d'un trou noir avec une précision jamais atteinte.

De Nadia Drake
Publication 24 janv. 2020, 15:44 CET, Mise à jour 16 déc. 2020, 11:45 CET
Illustration d'un disque d'accrétion spiralant autour de la gueule béante d'un trou noir supermassif. Des flashs ...

Illustration d'un disque d'accrétion spiralant autour de la gueule béante d'un trou noir supermassif. Des flashs de rayons X en provenance du disque créent des « échos » que les scientifiques peuvent utiliser pour cartographier sa structure interne au-delà de ce que pourrait observer directement un télescope.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration de NASA/Swift/Aurore Simonnet, Sonoma State Univ.

L'année dernière, dans un effort colossal qui avait abasourdi le monde entier, des scientifiques révélaient la toute première image directe d'un trou noir et offraient à l'Homme un aperçu des abords de la gueule du monstre. À présent, des astronomes ont eu recours à une technique différente utilisant les « échos » de rayons X pour scruter d'encore plus près l'un de ces titans gravitationnels.

Le trou noir en question se situe au beau milieu d'une galaxie baptisée IRAS 13224-3809, distante d'environ un milliard d'années-lumière de notre planète. Cet objet supermassif est entouré d'un disque tourbillonnant de matière dépassant le million de degrés, lui-même enveloppé d'une couronne de rayons X d'une température supérieure au milliard de degrés. En retraçant le comportement de ces rayons X, les scientifiques ont créé une carte extrêmement détaillée de la région entourant l'horizon des événements du trou noir, la zone au-delà de laquelle même la lumière ne peut s'échapper.

« Les trous noirs n'émettent aucune lumière, donc le seul moyen de les étudier est d'observer le comportement de la matière qu'ils absorbent, » explique William Alston de l'université de Cambridge, directeur de l'équipe à l'origine du rapport paru le 20 janvier dans la revue Nature Astronomy.

La mesure ainsi obtenue pour un objet aussi éloigné est nettement plus précise qu'elle aurait pu l'être avec l'Event Horizon Telescope, le réseau de télescopes qui avait produit l'image du trou noir de l'année dernière. Les nouvelles mesures du trou noir de la galaxie IRAS 13224-3809 ont permis aux scientifiques de déterminer sa masse et sa vitesse de rotation, des propriétés cruciales pour comprendre l'évolution du trou noir. Si des mesures similaires pouvaient être obtenues pour un plus grand nombre de trous noirs supermassifs voisins, elles viendraient enrichir les connaissances des scientifiques sur le développement des galaxies.

« Étudier la distribution de la rotation des trous noirs de plusieurs galaxies peut nous en apprendre plus sur le passage de l'univers primitif à la population que nous observons aujourd'hui, » explique Alston.

 

CARTOGRAPHIE LUMINEUSE

Malgré son nom peu évocateur, IRAS 13224-3809 est l'une des galaxies les plus fascinantes dans le domaine des rayons X : c'est une galaxie active, ce qui signifie que la luminosité de son noyau est beaucoup trop intense pour n'être expliquée que par l'activité des étoiles, et ses émissions de rayons X varient selon un facteur 50, parfois en l'espace de quelques heures seulement. Alston et ses collègues ont délibérément choisi d'étudier cette galaxie car ils cherchaient une source dynamique et variable qui pourrait les aider à déterminer certaines propriétés spécifiques du trou noir supermassif central.

Pour cela, ils ont étudié IRAS 13224-3809 à l'aide de l'observatoire spatial XMM-Newton de l'Agence spatiale européenne, un télescope en orbite autour de la Terre et destiné à l'observation des rayons X de l'univers. XMM-Newton a donc posé son regard sur cette galaxie lointaine au cours de 16 orbites, soit plus de 550 heures, entre 2011 et 2016.

À partir de ces nombreuses heures de données, Alston et ses collègues ont constitué une carte de la couronne de rayons X du trou noir et de son disque d'accrétion, un anneau de matière tourbillonnante situé juste à l'extérieur de l'horizon des événements. Certains des rayons X émis filent directement dans le cosmos, mais d'autres ricochent sur le disque d'accrétion et mettent légèrement plus de temps à s'extraire de l'environnement immédiat du mastodonte.

« Cette trajectoire un peu plus longue donne lieu à un décalage temporel entre les rayons X initialement générés dans la couronne, » explique Alston. « Nous pouvons mesurer cet écho, ce décalage, que nous appelons réverbération. »

Grâce à cette technique baptisée cartographie de réverbération, les scientifiques ont pu sonder les gaz qui entourent le trou noir. Alston compare le processus à l'écholocalisation qui permet à des animaux comme les chauves-souris de s'orienter en plein vol en analysant la répercussion des sons sur l'environnement. Ainsi, et contrairement à la méthode employée par l'Event Horizon Telescope, la cartographie de réverbération peut être utilisée pour étudier des objets très éloignés et examiner des régions encore plus proches de l'horizon des événements.

« La résolution spatiale n'a aucune importance pour la cartographie de réverbération, » indique Misty Bentz de l'université d'État de Géorgie, qui utilise la même technique pour étudier les trous noirs éloignés. « Elle s'appuie sur l'écho lumineux interne à l'objet pour nous en apprendre plus sur ses structures, sans distinction de taille ou de distance. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Event Horizon Telescope Collaboration

    UNE ROTATION RENVERSANTE

    Les échos lumineux en provenance d'IRAS 13224-3809 ont permis à Alston et son équipe d'établir la géométrie précise des matériaux entourant le trou noir, notamment les dimensions de sa couronne dynamique de rayons X, qui alimente ces échos. L'équipe de scientifiques a ensuite utilisé ces informations pour calculer la masse et la vitesse de rotation du trou noir, deux propriétés invariables sur des échelles temporelles humaines.

    « Pour mesurer la masse et la vitesse de rotation du trou noir, nous devions connaître la localisation exacte de ce gaz avant qu'il ne sombre dans le trou noir, » indique Alston. Des scientifiques ont déjà utilisé cette technique pour étudier les trous noirs supermassifs, mais leurs observations n'étaient pas aussi longues et leur source loin d'être aussi variable que celles d'IRAS 13224-3809.

    D'après la nouvelle cartographie, l'équipe a conclu que ce trou noir supermassif contenait une masse équivalente à deux millions de masses solaires et qu'il tournait aussi rapidement que les lois de la physique le permettent. Pour Bentz, qui n'a pas participé à l'étude, les observations exhaustives des auteurs confèrent aux résultats une extrême solidité.

    « Les auteurs ont réalisé la même expérience à 16 reprises, ce qui est nettement plus que n'importe quelle étude antérieure, » poursuit Bentz. « Cela leur a vraiment permis de cerner les données qui ne changeaient pas. »

    Avec son équipe, Alston a également composé une image dynamique de la façon dont la couronne de rayons X qui entoure le trou noir change avec le temps, sa taille variant considérablement sur une journée.

     

    GRAINES DE GALAXIES

    Il est fort probable que chaque grande galaxie de l'univers soit ancrée à un trou noir central supermassif. La compréhension des moindres cabrioles effectuées par ces ancres cosmiques pourrait apporter des indices quant à la façon dont ces trous noirs et leur galaxie hôte se sont formés et ont évolué au fil des âges de l'univers.

    « L'une des inconnues, c'est la façon dont se forment les trous noirs supermassifs, » indique Alston. « Quelles graines ont donné naissance à ces béhémoths dans l'univers primitif ? À l'heure actuelle, la plupart des graines proposées par nos modèles sont trop petites et leur croissance pas assez rapide. »

    La formation des galaxies pourrait s'expliquer par la collision et la fusion de plusieurs petites galaxies. À mesure que ces galaxies fusionnent, les trous noirs qui occupent leur centre en font autant. Si ces collisions sont chaotiques, elles pourraient contribuer à une augmentation de la masse du trou noir produit et influer sur sa vitesse de rotation, explique Alston.

    Une autre méthode de formation des trous noirs serait un afflux continu de gaz. Dans ce cas, la vitesse de rotation serait encore plus élevée, comme semble l'être celle de IRAS 13224-3809, même si Alston indique qu'il est encore trop tôt pour affirmer que l'accrétion de masse de cette galaxie serait due à ce mécanisme.

    Désormais, l'ambition portée par Alston et ses collègues sera d'utiliser la cartographie de réverbération pour déterminer les vitesses de rotation, et donc l'historique de formation, de centaines de trous noirs supermassifs voisins, en organisant une sorte de recensement de ces objets. Ensuite, en s'appuyant sur l'éloignement des trous noirs, les scientifiques pourront s'intéresser au développement des galaxies au fil de l'expansion de l'univers.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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