À quoi pourrait ressembler la vie sur Europe, la lune de Jupiter ?

Au cours d'une exploration menée en 2012 au plus profond de la fosse des Mariannes, les chercheurs ont détecté des micro-organismes. « C’est peut-être à ça que ressemble la vie à des milliards de kilomètres de nous », écrit le réalisateur James Cameron.

De Nadia Drake
Au cours de l’exploration DEEPSEA CHALLENGE de la fosse des Mariannes en 2012, des structures filamenteuses, ...

Au cours de l’exploration DEEPSEA CHALLENGE de la fosse des Mariannes en 2012, des structures filamenteuses, potentiellement considérées comme une communauté de micro-organismes, ont été repérées dans un affleurement rocheux du Sirena Deep, une dépression à plus de 10 600 mètres de profondeur.

PHOTOGRAPHIE DE Kevin Peter Hand

Les chercheurs sont toujours en quête de vie dans les recoins les plus hostiles de la Terre. Dans les sources chaudes acides, les chambres souterraines suffocantes ou encore les roches vieilles de centaines de millions d’années au fond des océans, ils trouvent souvent des micro-organismes adaptés aux conditions extrêmes. L’expédition DEEPSEA CHALLENGE qui a exploré le fond de la fosse des Mariannes suggère que les eaux profondes renferment divers organismes.

En explorant le point Sirena Deep de la fosse à l’aide d’un atterrisseur, les chercheurs ont mis en évidence la présence d’une communauté de micro-organismes accrochés aux rochers. Ce n’est pas la première fois que les chercheurs détectent des traces de vie dans la fosse des Mariannes. Ils ont déjà repéré des micro-organismes et des organismes plus grands comme les amphipodes qui ressemblent à des crevettes. Contrairement aux autres créatures des fonds océaniques qui s’alimentent grâce à la « neige marine », des débris et des organismes morts qui tombent des couches supérieures de l’eau vers le fond, il semble que les micro-organismes retrouvés cette fois se nourrissent de produits chimiques qui se forment par réaction, lorsque la roche est en contact avec l’eau, rapporte l’équipe dans la revue Deep-Sea Research I.

Ces formes vertes crépues, fixées aux affleurements rocheux, ne dépendent donc d’aucun organisme vivant qui nage à la surface de l’eau. Cela donne aux chercheurs de nombreux indices quant à la recherche d’organismes dans les profondeurs océaniques des lunes du système solaire comme Europe, le satellite de Jupiter et Encelade, celui de Saturne.

« C’est peut-être à ça que ressemble la vie à des milliards de kilomètres de nous », écrit James Cameron, réalisateur, explorateur National Geographic et co-auteur de l’étude dans un e-mail. « Cette étude nous permet également de remonter le temps, de revenir en arrière, il y a quatre milliards d’années, quand la vie n’en était qu’à ses prémices. »

Ces micro-organismes représentent sans doute la communauté chimiotrophe la plus profonde jamais découverte qui se nourrit de molécules libérées par des processus géologiques à plus de 10,4 kilomètres sous la surface de l’eau. « La découverte de cet éventuel écosystème de micro-organismes qui survit grâce à la chimiosynthèse dans la région la plus profonde et la plus sombre de nos océans pourrait nous donner des informations précieuses sur le potentiel de vie dans les profondeurs d’Europe », explique Kevin Hand, astrobiologiste de la NASA, explorateur National Geographic et auteur principal de l’étude.  

Cependant, Hand et d’autres experts insistent sur le fait que la découverte, qui se base sur des images du fond marin et des échantillons d’eau et de sédiments, ne peut être confirmée que par une collecte d’échantillons du matériau filandreux.

« Ils n’ont pas recueilli d’échantillons de la masse collée à la roche », affirme Jenn Macalady, spécialiste en géomicrobiologie à la Pennsylvania State University, qui a repéré des communautés de micro-organismes similaires dans des grottes sous-marines mais qui n’a pas pris part à l’étude. Il n’empêche qu’il y a de fortes chances que ces formes soient vivantes, dit-elle.

« J’ai vu des formes similaires dans nombre d’endroits sombres, souterrains », ajoute-t-elle. C’est la même apparence visqueuse que j’ai pu voir à l’intérieur de grottes inondées dans les Caraïbes.

 

EXPLORER LE FOND

Près de Guam dans l’océan Pacifique occidental, la fosse des Mariannes est un gouffre situé sur une frontière de plaques tectoniques où l’énorme plaque pacifique passe sous la plaque philippine. La fosse est si profonde qu’elle pourrait engloutir l’intégralité du mont Everest. Pour y survivre, il faut résister à la nuit éternelle, supporter des températures à peine supérieures à zéro et faire face à une pression phénoménale, mille fois supérieure à celle de l’atmosphère.

Hand et Cameron ont exploré les eaux situées au-dessus de la fosse des Mariannes en 2012 dans le cadre d’une expédition financée par la National Geographic Society au cours de laquelle Cameron a fait une plongée en solo jusqu’au Challenger Deep, le point le plus profond de la fosse. À 11 000 mètres de profondeur, il s'est retrouvé devant un paysage océanique fade où flottent des sédiments de couleur beige. Çà et là, des signes de vie.

« L'exploration du Challenger Deep n’a pas révélé de vrais signes de vie à l’échelle visible », souligne Cameron. Cependant, au cours de la même expédition, l’équipe a eu recours à un atterrisseur télécommandé pour sonder le Sirena Deep à plus de 10 600 mètres de profondeur. Les explorateurs ont choisi ce point en particulier, le troisième plus profond de l’océan, parce qu’il s’agit d’une zone sismique active, potentiellement volcanique et sans doute plus riche en nutriments que les autres parties de la fosse en raison des courants marins.

Toutes ces caractéristiques donnent à penser que le Sirena Deep pourrait abriter « une présence biologique plus importante que le reste de la fosse des Mariannes », évoque Patricia Fryer, chercheuse à l’université de Hawaï et co-auteure de la nouvelle étude qui a étudié de près cette partie de la fosse.

 

RIEN NE SE PERD, RIEN NE SE CRÉE

Les caméras de l’atterrisseur ont mis en évidence la présence d’autres particules que les sédiments près du fond océanique. Un tas de roches – soit un affleurement faisant saillie à travers les sédiments soit un amas de talus tombé d’une falaise – a pu être repéré par le robot. Dans les deux cas, les roches auraient été forgées dans le manteau terrestre et poussées vers le haut par les mouvements de l’écorce terrestre.

« Avant cette plongée, nous n’avions aucune preuve de la présence de roches indigènes – affleurements ou blocs de talus – à cette profondeur », explique Hand. « Cette information est importante parce que nous voulons mieux appréhender le contexte géologique et géochimique. Nous tenons à comprendre ce qui aide les écosystèmes de micro-organismes à survivre dans les fonds marins. »

S’ils sont privés de la lumière du soleil, indispensable à la photosynthèse, les micro-organismes ont deux moyens de survie. « Ils peuvent par exemple se nourrir des débris qui tombent des eaux imprégnées de soleil près de la surface de l’eau ou subsister grâce aux roches et aux particules dissoutes dans l’eau », détaille Macalady.

Les premiers micro-organismes ont été découverts il y a plusieurs décennies dans la fosse des Mariannes. La nouvelle étude montre cependant une autre forme de vie qui se nourrit des réactions chimiques avec la roche.

Dans les grottes et autres recoins sombres de la planète, les roches riches en fer et en magnésium se mêlent à l’eau de mer, une réaction chimique appelée serpentinisation. Les micro-organismes utiliseraient les produits dérivés de cette réaction pour s’alimenter et se développer.

« Les communautés bactériennes qui survivent grâce à la serpentinisation, c’est une toute autre histoire. Elles peuvent exister même en l’absence d’énergie solaire », dit Cameron.

Dans les roches du Sirena Deep, l’équipe a découvert des signes évidents de serpentinisation, que ce soit dans la composition chimique de l’eau ou dans les altérations visibles de la roche elle-même. Il semble que l’endroit soit propice au ravitaillement des micro-organismes chimiotrophes. La pression dans cette partie de l’océan est suffisamment élevée pour réduire un sous-marin militaire en poudre, mais les micro-organismes, eux, sont si petits qu’ils « s’en fichent complètement » de ces forces extrêmes, affirme Penelope Boston, astrobiologiste du Ames Research Center de la NASA qui n’a pas pris part à l’étude.

Une image en microscopie électronique à balayage du Sirena Deep montre des filaments à petite échelle ...

Une image en microscopie électronique à balayage du Sirena Deep montre des filaments à petite échelle mêlés à des structures riches en carbone. Une preuve possible de la présence de groupes de micro-organismes.

PHOTOGRAPHIE DE Kevin Peter Hand

DES TRACES DE VIE EN IMAGES

Lorsque les membres de l’équipe ont agrandi les images capturées par l’atterrisseur, ils ont pu observer des filaments verdâtres mous accrochés aux roches. Selon eux, il pourrait s’agir d’un tapis microbien, une structure complexe formée de plusieurs couches de bactéries.

« Au départ, nous avons surnommé cet assemblage ‘roches barbues’ parce qu’il ressemblait à une barbe à l’aspect hérissé au fin fond de l’océan », confie Hand.

S’il s’agit vraiment de tapis microbiens, cela signifie qu’ils se nourrissent exclusivement des produits chimiques dérivés de la serpentinisation et n’ont pas besoin de la neige marine pour survivre. Ces micro-organismes, qui s’alimentent uniquement grâce à l’énergie et aux produits chimiques issus de processus géologiques dans les fonds marins, pourraient ressembler aux premiers signes de vie sur Terre ou à ceux qui existeraient sur l’océan recouvert de glace d’Europe, le satellite de Jupiter. Là-bas, l’océan aurait une profondeur de 160 kilomètres mais la pesanteur de la lune glacée est plus faible, ce qui signifie que la pression est identique à celle du fond marin.

« Cette découverte nous en dit long sur ce qui se cache dans les tréfonds océaniques extraterrestres même s’il ne s’agit que d’un premier aperçu », dit Cameron. « En explorant nos propres fonds océaniques, nous apprendrons à construire les véhicules et instruments nécessaires pour explorer les fonds extraterrestres. »

Selon Hand, les prétendus micro-organismes retrouvés dans la fosse des Mariannes pourraient même être la base d’une chaîne alimentaire dans la partie la plus profonde et la plus obscure de l’océan, nourrissant d’autres créatures comme les amphipodes qui ressemblent à des crevettes. Cependant, avant de prélever un échantillon de la masse elle-même, les chercheurs ne peuvent être sûrs que les formes retrouvées sont véritablement des micro-organismes vivants.

« J’ai passé beaucoup de temps à observer le fond marin et j’ai souvent pris un objet pour un autre. L’appareil photo et le hublot, entre autres, peuvent induire en erreur », alerte Julie Huber de l’institut océanographique de Woods Hole qui n’a pas pris part à l’étude. « Le prélèvement d’un échantillon et son analyse sont d’une importance primordiale. »

Les preuves recueillies par l’atterrisseur suggèrent la présence de nombreuses espèces de micro-organismes près des roches. Ces espèces, comme les Rhodobacteraceae et les Shewanellaceae sont répandues dans d’autres parties des tréfonds océaniques.

« La fosse des Mariannes est certes très profonde mais ça reste un fond océanique », indique Boston. « Ce n’est donc pas un fond océanique différent mais simplement plus profond. Pour les micro-organismes, c’est probablement un endroit où il fait bon vivre. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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