Il y aurait plus d'eau sur la Lune qu'on ne le pensait
On suspecte la présence d'eau sur la Lune depuis les années 1960, mais nous pourrions bientôt résoudre deux énigmes majeures : où se cache cette eau et sera-t-elle utile à nos futurs explorateurs ?
À travers deux nouvelles études, le monde scientifique s'interroge sur la quantité d'eau et sa localisation sur notre âme sœur céleste.
Deux nouvelles études publiées dans la revue Nature Astronomy confirment qu'il y aurait bien de l'eau sur l'ensemble de la surface lunaire.
L'une d'entre elles apporte les premières preuves concrètes de la présence de molécules d'eau fixées sur, ou contenues dans, les grains du sol lunaire au niveau des régions ensoleillées de la surface. La seconde étude a modélisé de petites zones de la Lune constamment placée dans l'ombre et a montré qu'une surface d'environ 40 000 km², soit la superficie des Pays-Bas, était suffisamment froide pour abriter de la glace, soit une augmentation de 20 % par rapport aux estimations précédentes.
En déterminant sous quelle forme l'eau se présente sur la surface lunaire et à quel endroit, les scientifiques espèrent en apprendre plus sur le mystérieux cycle lunaire de l'eau. Contrairement à la Terre, où l'eau circule à travers la pluie et les cours d'eau, la formation d'eau sur la Lune pourrait être alimentée par l'interaction entre l'hydrogène du vent solaire et l'oxygène de la surface ou par les météorites de glace qui s'écrasent sur la Lune. Il est également possible que l'eau lunaire migre depuis les régions ensoleillées vers les zones baignant constamment dans l'ombre.
Cependant, les mouvements exacts de cette eau et son possible transfert des régions ensoleillées vers les zones d'ombre restent entourés de mystère. « Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre si un quelconque lien existe entre ces phénomènes, » indique Jessica Sunshine, planétologue externe aux deux études rattachée à l'université du Maryland. Cela dit, ces nouvelles études « suggèrent un processus nettement plus complexe que nous ne le pensions. »
Ces travaux revêtent également une importance majeure pour les futures missions habitées à destination de la Lune et au-delà, notamment la mission Artemis de la NASA qui verra la première femme poser le pied sur la Lune. L'eau et la glace lunaire pourraient être exploitées afin d'être transformées en carburant, ce qui réduirait la charge que devraient emporter les futurs astronautes dans leurs aventures extraterrestres.
Si nous parvenons aujourd'hui à élucider les mystères aquatiques de la Lune, c'est aussi parce que notre façon de la percevoir a peu à peu évolué. Autrefois considéré comme un paysage aride, cet astre dynamique présente en réalité de multiples sources d'eau sous diverses formes.
« C'est une révolution lente, » témoigne Paul Hayne, planétologue au sein de l'université du Colorado à Boulder et auteur principal de l'étude sur les zones d'ombre. « Mais ce n'en est pas moins une révolution. »
UN MONDE AQUATIQUE
La Lune est un monde marqué d'extrêmes. La journée, l'équateur lunaire s'embrase avec des températures avoisinant les 120 °C pour redescendre à un frisquet -130 °C une fois la nuit tombée. De plus, en l'absence d'une épaisse atmosphère protectrice, l'eau évaporée peut rapidement rejoindre l'espace.
Mais à la grande satisfaction des scientifiques, il semblerait que l'eau persiste sous forme de traces modestes au niveau des zones ensoleillées. Les instruments embarqués par trois sondes spatiales ont confirmé cette découverte, annoncée en 2009, avec tout de même un léger problème : l'analyse était incapable de faire la différence entre eau et hydroxyle.
Les scientifiques scrutaient la surface de la Lune en lumière infrarouge à la recherche des signatures de l'eau. À l'instar de la lumière visible dispersée par un prisme, « l'infrarouge a son propre arc-en-ciel, même s'il nous est invisible, » explique Casey Honniball, chercheuse postdoctorale au Goddard Space Flight Center de la NASA et auteure principale de l'étude sur les molécules d'eau. Les études antérieures s'étaient concentrées sur une partie du spectre infrarouge pour laquelle à la fois l'eau et le groupe hydroxyle scintillent. En choisissant une section différente du spectre infrarouge, Honniball et ses collègues ont pu s'intéresser uniquement à la molécule H2O.
« Je ne vois vraiment pas pourquoi personne n'y avait pensé plus tôt, c'est une brillante idée, » déclare Sunshine qui avait travaillé en 2009 sur les détections des signatures de l'eau lunaire.
Pour la nouvelle étude, Honniball et ses collègues ont utilisé les données recueillies en 2018 lors d'un vol de l'Observatoire stratosphérique pour l'astronomie infrarouge (SOFIA), un Jumbo Jet équipé d'un télescope infrarouge. Quelques mois plus tard, Honniball analysait les données confortablement installée dans son canapé lorsque la signature de l'eau est apparue. « Je me souviens avoir crié, » nous confie-t-elle.
Si l'eau est bel et bien présente, elle l'est sûrement en infime quantité, à environ 340 g par mètre cube de poussière. C'est cent fois plus sec que le désert du Sahara, observe Honniball, en précisant tout de même que de plus amples recherches devront être menées afin de vérifier ces concentrations puisque l'estimation s'appuie sur une seule observation, à un emplacement unique et à un moment donné du jour lunaire.
Cela n'en reste pas moins une confirmation que Sunshine attendait depuis longtemps. « C'est vraiment gratifiant, » dit-elle. « Je leur suis très reconnaissante d'avoir mené cette étude. »
ZONES D'OMBRE
La seconde étude s'est quant à elle intéressée aux crevasses obscures qui lézardent la surface lunaire. Les scientifiques pensent depuis longtemps déjà que de l'eau pourrait être dissimulée sous forme de glace au creux des gigantesques cratères baignant constamment dans l'ombre. La présence de glace à de tels emplacements a été confirmée en octobre 2009 lorsque la NASA a envoyé une partie de la sonde LCROSS s'écraser dans une zone d'ombre à proximité du pôle Sud lunaire et a détecté des traces de glace dans les débris soulevés par l'impact.
Depuis, les chercheurs ont eu le temps de cartographier ces vastes régions glacées. Après s'être penché sur les images haute résolution de la surface lunaire transmises par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter de la NASA, l'équipe de la nouvelle étude a réalisé que ces zones d'ombre glacées étaient peut-être plus fréquentes que prévu, parfois même sur de très petites surfaces. À chaque zoom sur les images, les scientifiques découvraient de nouvelles zones : « De l'ombre et encore de l'ombre, » lâche Hayne.
En modélisant les températures et les zones d'ombre de la Lune, l'équipe a montré que la formation de glace pouvait se produire sur des surfaces très restreintes, aussi petites qu'une fourmi. Ces zones d'ombre infimes peuvent être aussi froides que leurs homologues plus grandes, indique Hayne. L'atmosphère de la Lune est si fine qu'elle n'égalise pas les températures de surface, c'est pourquoi on peut trouver un point chaud brûlant à proximité immédiate d'une zone où la température descend largement au-dessous de zéro.
La nouvelle étude suggère que la surface recouverte de zones d'ombre est environ 20 % plus grande que les estimations précédentes. Si toutes ces zones sont gelées, alors le volume de glace pourrait atteindre les milliards de kilogrammes d'eau, affirme Hayne. Encore faut-il savoir quelle proportion de ces zones contient réellement de la glace.
UNE RÉVOLUTION LENTE
Ensemble, ces deux études pourraient aider les scientifiques à reconstituer le mécanisme du cycle lunaire de l'eau. Sur la Lune, l'eau provient de différentes sources. Une partie de cette eau a pu être déposée par les météorites entrées en collision avec sa surface et une autre provient probablement de la réaction de l'hydrogène du vent solaire avec l'oxygène de surface pour former un groupe hydroxyle. La chaleur du Soleil ou les impacts de micrométéorites provoqueraient ensuite la collision de ces groupes hydroxyle pour former des molécules d'eau, H2O, explique Honniball.
La chaleur induite par des impacteurs comme les micrométéorites pourrait également faire fondre une partie de la surface rocheuse et vaporiser l'eau qui se trouve à proximité. En cristallisant, cette roche fondue pourrait ensuite encapsuler la vapeur d'eau, ce qui expliquerait les traces d'eau détectées par Honnibal et son équipe.
Quant à savoir où et comment l'eau se déplace en surface, le mystère reste entier. Les météorites pourraient libérer un certain volume d'eau piégé en surface et le Soleil pourrait également jouer un rôle dans le déplacement de l'eau, puisque le signal de la présence d'eau et d'hydroxyle s'affaiblit à mesure que la température augmente au cours du jour lunaire, explique Sunshine. « Cette eau est-elle vraiment perdue ? Ou migre-t-elle vers les zones d'ombre ? » s'interroge-t-elle.
Les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre sur l'eau lunaire, mais certaines réponses ne devraient pas tarder. En 2022, la NASA prévoit d'envoyer le Volatiles Investigating Polar Exploration Rover (VIPER) sur le pôle Sud lunaire afin d'y chercher de la glace d'eau. D'autres indices devraient être transmis par le Lunar Compact Infrared Imaging System (L-CIRIS), dont la mission devrait également débuter en 2022, indique Hayne.
Les spéculations du monde scientifique quant à la présence d'eau sur la Lune vont bon train depuis les années 1960 au bas mot, mais ces prochaines années devraient nous amener à résoudre deux énigmes majeures : où se cache cette eau et sera-t-elle utile à nos futurs explorateurs ?
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.