Les nuages de Vénus n'abriteraient finalement pas la vie
De nouvelles études suggèrent que la détection de phosphine dans les nuages de Vénus, signe potentiel de vie telle que nous la connaissons, pourrait résulter d’un traitement fortuit des données.
Cette photographie de Vénus, prise par la sonde Galileo le 14 février 1990 à une distance de plus de 2,7 millions de kilomètres, a été colorisée dans des tons bleutés pour mettre en valeur le subtil contraste des nuages.
Il y a peu, les astronomes ont décelé dans les nuages entourant Vénus un signe potentiel de vie. Mais une nouvelle étude remet déjà cette découverte en question. La recherche de vie extraterrestre est donc loin d’être terminée.
Le mois dernier, l’annonce de la détection de phosphine dans l’atmosphère de Vénus a suscité une vague de spéculations sur l’origine de ce gaz : pouvait-il être produit ou non par des microbes extraterrestres présents sur la planète, où la NASA envisage d’ailleurs d’envoyer une sonde ? Cependant, trois nouvelles études indépendantes ne sont pas parvenues à trouver de la phosphine dans l’atmosphère vénusienne.
L’un des groupes d’étude a eu recours aux observations d’archives pour rechercher des signes de la présence du gaz dans les nuages de la planète, sans succès.
« Ils disent ne pas voir de phosphine. C’est vraiment problématique », confie Conor Nixon, scientifique planétaire au Goddard Space Flight Center de la NASA, qui n’a pas pris part à l’analyse. L’étude a été évaluée par des pairs et publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Les deux autres groupes d’étude ont réexaminé les données originales collectées par l’équipe responsable de la découverte, mais ne sont pas non plus parvenus à trouver des preuves de la présence du gaz.
La détection d’un signal faible d’une molécule spécifique sur une autre planète est un processus complexe et les auteurs de l’étude originale ne sont pas surpris de voir d’autres scientifiques se pencher sur leur travail.
« C’est normal. C’est la science. Si la présence de phosphine sautait aux yeux, la découverte aurait été faite il y a très longtemps », explique Clara Sousa-Silva du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, l’une des auteurs de l’étude originale. « Je suis ravie que les scientifiques commencent enfin à s’intéresser à ces données, pas seulement nous ».
UNE DÉCOUVERTE ÉTONNANTE
La détection initiale, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Astronomy en septembre dernier, a découvert de la phosphine, en quantité plus de 1 000 fois supérieure à celle de l’atmosphère terrestre, qui flottait dans les nuages épais et sulfuriques de Vénus. Sur les planètes rocheuses comme Vénus et la Terre, les conditions ne seraient pas suffisamment extrêmes pour produire des molécules de phosphine en l’absence de vie. Un certain type de métabolisme ou un processus chimique inconnu serait nécessaire pour expliquer les quantités élevées de phosphine dans l’atmosphère vénusienne. Sur Terre, divers microbes produisent de la phosphine. Les humains en produisent également, dans les laboratoires de méthamphétamine, et pour l’industrie des semi-conducteurs.
C’est en utilisant deux instruments qui observent les ondes radio que l’équipe a identifié de la phosphine. Dans un premier temps, en 2017, Jane Greaves de l’université de Cardiff et ses collègues ont découvert ce qui pouvait être de la phosphine à l’aide du télescope James Clerk Maxwell (JCMT) situé à Hawaï. Cette observation devait toujours être confirmée et en 2019, l’équipe s'est tournée vers un instrument plus puissant : le grand réseau millimétrique/submillimétrique de l’Atacama (ALMA), composé de 66 antennes radio paraboliques et situé dans le désert d’altitude chilien.
L’équipe a découvert dans les données collectées par l’ALMA un signal faible dont la fréquence correspondait à celle à laquelle les molécules de phosphine dans l’atmosphère de Vénus absorberaient de l’énergie, connue sous le nom de « raie spectrale ». Selon l’équipe, si Vénus abrite réellement de la phosphine dans les quantités importantes observées, sa présence serait difficile à expliquer si sa production n’est pas d’origine biologique. Une nouvelle analyse des données collectées par la sonde Pioneer-Venus, qui a visité la planète à la fin des années 1970, soutient timidement la présence de phosphine, mais ne peut la confirmer.
À l’époque, John Carpenter, scientifique à l’observatoire ALMA, remettait en cause la méthode d’analyse des données par les scientifiques de l’étude originelle, suggérant que leur procédure était susceptible d’avoir généré de faux signaux.
En outre, les astronomes recherchent généralement plusieurs raies spectrales produites par une même molécule pour confirmer sa présence, ce que l’équipe n’a pas fait.
« Existe-t-il vraiment une raie spectrale et est-elle importante ? », demande Conor Nixon. « Si cela est le cas, s’agit-il de phosphine ? Si oui, est-ce de la vie ? »
UNE DOUBLE VÉRIFICATION AVEC L'IRTF
Au moment d’annoncer sa découverte, l’équipe attendait toujours la confirmation de la détection grâce aux raies spectrales, observables avec des télescopes infrarouges. Mais les observations ont été retardées à cause de la pandémie actuelle. Une nouvelle équipe, composée notamment de Jane Greaves et Clara Sousa-Silva qui faisaient partie de l’équipe à l’origine de la première détection, étudie désormais Vénus à l’aide des données d’archives d’un télescope différent, l’Infrared Telescope Facility (IRTF) de la NASA, situé à Hawaï.
Ces données d’observation, qui datent de 2015, n’indiquent pas de signal fort de phosphine. Les auteurs de l’étude, dirigée par Thérèse Encrenaz de l’Observatoire de Paris, concluent que les données fixent une limite haute du niveau éventuel de phosphine dans l’atmosphère vénusienne, qui correspond au quart de la quantité détectée à l’origine. Les observations suggèrent également que la phosphine serait présente à des altitudes supérieures à celles des nuages de la planète, ce que les astronomes considèrent comme peu probable en raison de la dégradation rapide du gaz à ces altitudes.
Clara Souse-Silva fournit plusieurs explications à l’absence de phosphine dans les observations infrarouges. Les quantités de phosphine peuvent en effet varier au fil du temps ou bien les observations infrarouges n’ont pas sondé assez profondément les nuages pour détecter le gaz aux niveaux rapportés. Encore aujourd’hui, l’équipe n’est pas forcément d’accord sur l’altitude mesurée par les observations infrarouges.
« J'ai confiance dans le travail de Thérèse Encrenaz et je crois qu’il n’y a pas de phosphine… à cet endroit », précise Clara Sousa-Silva. « La question est : où se trouve-t-elle ? Quelle est l’altitude à laquelle nous devons nous intéresser ? Et cela signifie-t-il que nous sondons suffisamment en profondeur et qu’il n’y a pas de phosphine, car il n’y en a jamais eu à cet endroit ? Ou bien qu’il n’y a pas de phosphine, car sa quantité varie ? Ou encore que nous n’avons pas sondé aussi profondément que nous le pensions ? »
DES DONNÉES FAUSSÉES PAR LE BRUIT DE FOND ?
Alors que Thérèse Encrenaz et les membres de l’équipe à l’origine de la découverte triaient les données de l’IRTF, deux autres équipes retraitaient les données originales utilisées pour la détection. Aucune des nouvelles études indépendantes de ces données n’a permis de trouver des traces fiables du gaz.
Le premier groupe d’étude, composé d’une vingtaine de chercheurs, n’est pas parvenu à prouver la présence de phosphine dans les données du JCMT et de l’ALMA. Le JCMT a bien détecté une raie spectrale à la bonne fréquence, mais l’équipe pense que cela s’explique par la présence de dioxyde de soufre dans l’atmosphère de Vénus, qui génère alors une raie spectrale au même endroit.
« C’est un gaz bien connu sur Vénus », souligne Conor Nixon. « Il n’est absolument pas controversé ».
Les données issues de l’ALMA, qui produit des observations ultra-haute résolution, étaient plus difficiles à analyser. Les objets brillants et proches de Vénus peuvent être sources de problèmes pour les réseaux de télescopes ultra-sensibles comme l’ALMA. Pour recevoir un signal des observations de Vénus, les astronomes ont dû supprimer les bruits radioélectriques produits par l’atmosphère terrestre, Vénus et l’équipement de l’observatoire.
« Il s’agit d’une réduction très délicate des données », explique Bryan Butler de l’Observatoire national de radioastronomie, qui étudie les objets du système solaire avec l’ALMA et a pris part à la nouvelle analyse. « Vénus est un objet très brillant, de grande taille et même si la raie détectée est réelle, elle est très faible ».
Pour compliquer les choses, l’observatoire de l’ALMA a récemment identifié une erreur dans son système d’étalonnage. Résultat : ce dernier a produit un spectre de Vénus comportant beaucoup de bruit et Jane Greaves et ses collègues ont dû travailler avec. « Ces données sont complexes, bruitées et délicates », explique Clara Sousa-Silva. (L’ALMA a supprimé les données originales de Vénus des archives et procède actuellement à nouveau à son traitement.)
Grâce à une technique appelée « ajustement polynomial », l’équipe responsable de la découverte d’origine a cherché la raie spectrale de la phosphine en éliminant le bruit de fond autour de la région du spectre où devait se trouver le gaz. Ce type d’analyses permet normalement aux astronomes de savoir quels éléments correspondent à du bruit et quels sont ceux qui correspondent à de vrais signaux. Une fois le spectre lissé par l’équipe pour supprimer l’excès de bruit, les astronomes ont conclu que le signal de la phosphine était suffisant pour qu’il s’agisse d’une détection.
Toutefois, le traitement des données par l’équipe laisse d’autres astronomes sceptiques. Pour recevoir le signal de la phosphine de cet ensemble de données complexes, l’équipe a supprimé le bruit de fond à l’aide d’un polynôme d’ordre élevé, ce qui signifie qu’un plus grand nombre de variables que d’ordinaire a été utilisé pour modéliser les données. En outre, l’équipe a modélisé le bruit de fond en s’intéressant aux portions du spectre situées en dehors de la zone où elle s’attendait à trouver un signal de la phosphine. Cette méthode sert normalement à empêcher les bruits inconnus d’occulter un signal potentiel. Mais, le fait d’associer un polynôme à ordre élevé à un ensemble de données bruitées rend la création artificielle d’un faux signal possible à l’endroit où devrait se trouver de la phosphine.
« Vous pouvez toujours améliorer l’ajustement à un ensemble de données en ajoutant des variables, mais vous devez définir un indicateur qui vous avertit lorsque vous devez arrêter », déclare Meredith MacGregor, astronome à l’université du Colorado. « Sinon, vous finissez par faire ajuster des bruits et amplifier des signaux qui n’existent pas ».
Bryan Butler a téléchargé les données de l’ALMA et a recommencé de zéro, refaisant certains des étalonnages initiaux, avant de traiter les données normalement. Il n’a trouvé aucune preuve de la présence de phosphine dans le spectre de la planète.
« J’ai appliqué ce que je pense être les meilleures pratiques de réduction de ce type de données », explique-t-il. « Si vous ne suivez pas la même méthode qu’eux, vous n’obtenez pas cette caractéristique [de la phosphine] ». En outre, ses collègues ont découvert que l’ajustement polynomial pouvait produire des raies spectrales erronées alors qu’ils traitaient les données selon les mêmes méthodes que l’équipe responsable de la découverte d’origine.
Aucune trace de phosphine n’a également été découverte lors d’une autre analyse des données de l’ALMA, réalisée par Ignas Snellen de l’Observatoire de Leiden et ses collègues. De même, cette équipe a signalé que l’ajustement polynomial à ordre élevé pouvait créer plusieurs fausses raies spectrales.
« Ils ont démontré que ce processus d’ajustement pouvait être très problématique », explique Conor Nixon. « Il est assez capricieux et produit des caractéristiques aussi facilement qu’il en supprime. En fin de compte, vous ne savez plus vraiment ce que vous avez sous les yeux. »
Jane Greaves et son équipe ont refusé de faire des commentaires sur les nouvelles analyses des observations de l’ALMA tant que l’observatoire n’a pas eu l’occasion de traiter à nouveau les données.
UN MYSTÈRE BIENTÔT RÉSOLU ?
La plupart des astronomes estiment que ces tentatives de confirmation de la découverte de phosphine correspondent exactement à la manière dont la science est censée fonctionner. La reproduction indépendante d’études n’est pas aussi courante qu’elle devrait l’être, même si elle est essentielle pour vérifier les découvertes. Il faudra attendre l’évaluation par des pairs des nouvelles études, leur publication, puis leur examen minutieux, et peut-être aussi des observations supplémentaires de la planète avant d’obtenir les conclusions définitives sur la présence ou non de phosphine sur Vénus.
« Nous avons besoin d’observations de suivi de manière à ne pas uniquement nous reposer sur quelques ensembles de données très bruitées », explique Clara Sousa-Silva. « L’enseignement à tirer de cela est qu’il faut plus d’analyses et plus de données ».
Les chercheurs pensent pouvoir résoudre -un jour- le mystère de la phosphine. « Je pense que la science se corrige elle-même et dans l’idéal, à notre époque, avec Internet et tout le reste, passer ces corrections ne devrait pas nous prendre des années », confie Conor Nixon.
Une affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires. « Si ce résultat est faux, ce ne sera pas le premier », déclare Bryan Butler.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.