Mercury : quand aller dans l’espace relevait de l’imagination
Retour sur le premier programme spatial de la NASA à avoir envoyé un astronaute dans l'espace, dans une course folle menée par l'Union Soviétique.
L'astronaute Gordon Cooper, photographié en 1963.
Premier programme spatial de la NASA à avoir envoyé un astronaute dans l'espace, le programme Mercury a précédé les programmes Gemini et Apollo et permis aux États-Unis de rester dans la course à l'espace longtemps menée par l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Formidable ode au progrès et au courage des premiers hommes qui se sont les premiers aventurés en orbite, le programme Mercury est en ce moment retracé sur Disney+ par la série L'étoffe des Héros et un documentaire événement, Derrière l'étoffe des héros, disponible le 20 novembre sur la plateforme.
Nous avons pu, par ordinateur interposé, échanger avec Tom Jenning, ancien journaliste et documentariste multi-récompensé, toujours à la recherche de nouvelles manières de raconter notre passé commun.
Dans “Derrière l’étoffe des héros”, vous racontez la course à l’espace pendant la Guerre froide, quand sept Américains ont été choisis pour devenir les premiers astronautes. Comment est née l’envie de raconter cette histoire ?
La manière dont nous nous sommes intéressés à ce sujet est indirecte… l’an dernier, nous avons réalisé pour National Geographic un film documentaire appelé « Apollo : mission vers la Lune », qui a très bien marché en audiences. Quand on commence un documentaire de ce genre, on tisse une toile immense pour pouvoir réunir toutes informations disponibles et en l’occurrence on a travaillé de manière très étroite avec la NASA. Notre chance, c’est qu’ils ont filmé toute leur partie de la course à l’espace. Nous avons reçu des kilomètres et des kilomètres de films de leur part et au-delà de la mission Apollo, ils ont inclus beaucoup d’autres images qu’ils pensaient pouvoir nous intéresser, dont de nombreuses images du programme Mercury. Cela faisait sens puisque Mercury précédait Apollo. Il y a eu Mercury, Gemini puis Apollo.
Donc quand National Geographic a annoncé qu’ils allaient produire une série de fiction tirée du livre L’étoffe des Héros pour Disney+, j’ai parlé à mon producteur chez National Geographic. Je lui ai dit « Tu sais, on a énormément d’archives sur Mercury, et elles sont superbes ! ». J’ai suggéré d’accompagner la série en développement avec un documentaire, dans lequel on pourrait voir des images inédites jusqu’alors et qui complèteraient la série. Et ils ont dit oui !
Et quand on a commencé à construire le film « Derrière l’étoffe des héros », nous avons trouvé d’autres archives complémentaires que personne n’a jamais vues ou presque. Ou alors les rares personnes qui avaient un téléviseur à la fin des années 1950, début des années 1960.
C’était justement l’une de mes questions ! Je me suis demandé en regardant le film comment vous aviez pu obtenir des images d’aussi bonne qualité.
Oui, la qualité de ces images est exceptionnelle. Quand nous avons commencé à réfléchir au montage du film, nous avons sélectionné les plus belles images évidemment, mais pas seulement. Vous savez, avant de devenir documentariste, j’étais journaliste pour des grands quotidiens. J’en ai gardé une forte intuition. Je sais où chercher, je sais enquêter et trouver des informations que peu connaissent. Nous avons très peu utilisé les images que tout le monde avait vu du programme Mercury. C’est ce que je dis toujours à mon équipe : si ces images vous sont familières, oubliez-les. Notre règle c’est : « Qu’est-ce que je n’ai jamais vu ? Qu’est-ce que j’ai oublié ? Qu’est-ce je peux montrer aux gens qu’ils n’auraient jamais vu ? »
Donc au-delà des images de la NASA ou des images tirées des bulletins nationaux, nous nous sommes rendus dans les stations d’informations locales, notamment en Floride, d’où les fusées ont été lancées. On a trouvé des journaux radiophoniques entendus une fois dans les années 1950 et 1960 et jamais rediffusés depuis, idem pour les éditions des journaux télévisés locaux.
Et notre chance c’est que cette course à l’espace a vraiment passionné les foules, donc il y avait beaucoup de matière et nous avons pu en extraire les images les plus intéressantes, les plus nettes et claires, les mieux filmées pour raconter cette histoire.
Le film est construit comme une course effrénée. Tout dans le montage, dans l’habillage, la musique, rappelle l’importance pendant la Guerre froide d’être la première super-puissance à conquérir l’espace. Et comme le montre le documentaire, les Soviétiques étaient bien plus avancés. Quand les États-Unis ont envoyé un chimpanzé dans l’espace, les Soviétiques, dont le sens du sacrifice était sans doute plus poussé, envoyaient le premier cosmonaute en orbite. Pensez-vous que l’on puisse expliquer toutes les précautions prises par les Américains par le fait que la presse suivait avec une plus grande liberté cette course à l’espace et qu’il n’aurait pas été possible d’envoyer quelqu’un dans l’espace sans que ça se sache ?
C’était tout à fait ça. Cela aurait été impossible. La NASA est une agence fédérale et les médias américains y prêtent une attention toute particulière. La NASA devait justifier chacune de ses dépenses devant le Congrès. Et ils étaient conscients du risque –très probable- de tuer des astronautes en essayant de les envoyer en orbite, et du fait que l’opinion publique ne l’aurait pas supporté. « Pourquoi dépenser tant d’argent et risquer des vies humaines ? ». Tout aurait été remis en question. Votre observation est tout à fait juste : ils devaient être précautionneux et s’assurer que les astronautes reviendraient vivants de leurs missions.
Et comme le film le montre, c’est vrai qu’ils ont eu un démarrage plus lent que les Soviétiques qui semblent avoir eu une approche différente : « Construisons une fusée et nous verrons bien ce qui arrivera. » Et petit à petit, l’écart s’est resserré et les États-Unis ont rattrapé leur retard dans cette course folle.
Un autre aspect très intéressant du documentaire est le portrait des sept astronautes choisis pour la mission Mercury, qui répond d’ailleurs très bien au portrait dressé dans la série L’étoffe des Héros. Tous étaient des hommes blancs, ayant fait des études supérieures, mariés avec des enfants. On les voit aller à l’église, s’occuper des enfants, discuter avec des scouts… Ils représentaient en quelque sorte l’Américain « idéal » dans cette guerre d’images.
Oui c’était un archétype. Il y avait une idée préétablie de ce qu’on attendait alors d’un astronaute et de la manière dont ils devaient se comporter, tout particulièrement avec les femmes car ils avaient leurs propres groupies… John Glenn par exemple était un père et mari dévoué quand Scott Carpenter peut-être un peu moins et c’était d’ailleurs un sujet de tensions entre eux. Au départ c’est vrai, ils répondaient à un stéréotype. Et puis tout a changé quand le magazine LIFE leur a offert beaucoup d’argent pour les suivre dans leur vie de tous les jours. Quand LIFE fait votre portrait et celui de votre famille, vous cherchez à présenter une image la plus lisse possible.
Quand ils ont été présentés à la presse, les Sept ne semblaient pas du tout réaliser ce qu’ils s’apprêtaient à vivre…
Exactement ! Je pense qu’à l’époque aller dans l’espace relevait de l’imagination, c’était une notion lointaine. Ils ne l’ont probablement réalisé que quand ils sont montés dans la fusée pour leurs missions respectives.
Les sept astronautes originellement sélectionnés en 1959 pour le programme Mercury. Première rangée, de gauche à droite : Walter Schirra Jr., Donald Slayton, John Glenn Jr. et Scott Carpenter. Derrière, de gauche à droite : Alan Shepard Jr., Virgil Grissom et L. Gordon Cooper Jr.
Dans les années 1950 et 1960, les États-Unis et l’Union soviétique sélectionnait en priorité des individus capables de supporter la violence des vols et qui faisaient preuve d’esprit d’équipe. On ne savait quasiment rien de la manière dont le corps humain allait réagir une fois dans l’espace, même quand le vol ne durait que quelques heures.
Oui malgré l’entraînement reçu on ne savait rien de ce que voulait dire envoyer un homme dans l’espace à l’époque… Et on ne pouvait par conséquent pas les y préparer.
L’autre chose à laquelle ils n’étaient pas préparés, c’était leur extraordinaire popularité. Nous avons retrouvé des interviews de Tom Wolfe (l’auteur de L’Étoffe des Héros, ndlr) et il explique qu’ils étaient loin de s’imaginer qu’ils auraient une popularité similaire à celle des Beatles. Ils étaient suivis dans tous leurs déplacements par des foules entières et par les premiers « paparazzis ». Idem pour leurs femmes et leurs enfants qui se sont retrouvés du jour au lendemain sous le feu des projecteurs.
Aujourd’hui, les Hommes se préparent à retourner sur la Lune et dans un futur plus lointain, à aller sur Mars, écrivant ainsi un nouveau chapitre de l’exploration de notre système solaire. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Tom Wolfe disait que l’engouement des années 1950 et 1960 pour la conquête de l’espace ne connaîtrait plus d’équivalent. Parce qu’à l’époque, tout était nouveau et semblait sorti d’un ouvrage de science-fiction. Aujourd’hui, il y a tellement de technologies à notre disposition pour explorer d’autres mondes, y compris des technologies privées. Et nous avons une bien meilleure connaissance –du moins nous le pensons- de ce qui se passe dans l’univers.
Si nous arrivons à aller sur Mars, le monde se figera peut-être le temps d’une journée mais je ne pense pas que nous verrons des parades et des grands élans de joie comme ce fut le cas dans les années 1960. Aujourd’hui cette exploration est comme acquise. Nous nous dirons « Oh oui, bien sûr que nous sommes allés sur Mars. » Pour tous ceux qui travaillent sur ces programmes, ce sera un accomplissement sans précédent, bien entendu. Mais pour le grand public, je n’en suis pas sûr. On ne s’émeut plus d’être allés sur la Lune, d’avoir construit la Station Spatiale Internationale ou d’avoir lancé dans l’espace plusieurs sondes pour connaître l’univers, alors que rien de tout cela n’existait dans les années 1950 ! L’idée même d’envoyer un homme dans l’espace, même pour quelques heures, était un événement à l’époque.
Selon moi, le prochain événement qui captivera à ce point le monde entier sera le « premier contact », la rencontre avec une intelligence extraterrestre. Quel qu’il soit, le monde s’arrêtera et j’espère être encore là pour voir ça !
Moi aussi ! Ce documentaire est le dernier de votre collaboration avec National Geographic pour qui vous aviez notamment signé le très beau documentaire Diana, une icône mystérieuse. Est-ce qu’un documentaire National Geographic est un documentaire avec des caractéristiques propres et si oui, lesquelles ?
Il y a un niveau d’exigence très élevé quand on produit un documentaire pour National Geographic, notamment en ce qui concerne la vérification des informations. Ce pour quoi nous étions évidemment reconnaissants, nous ne voulions pas nous tromper et c’est toujours une bonne chose d’avoir une vérification extérieure, faite par quelqu’un qui ne vient pas de passer neuf mois sur un projet documentaire.
Et puis travailler pour un média aussi iconique, c’est s’engager à l’excellence, à dépasser la mode pour produire un film qui va pourra être regardé dans vingt ans sans perdre de sa pertinence. C’est repenser la manière dont on raconte une histoire pour la rendre atemporelle.
Cet entretien a été édité pour des questions de longueur et de clarté.
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