Comment protéger la Terre des germes extraterrestres ?
Alors qu’une quantité croissante de matière cosmique arrive sur Terre, les agences spatiales font preuve de prudence et construisent des laboratoires hautement sécurisés pour y entreposer les précieux échantillons.
Le Dr Daniel H. Anderson, technologue aérospatial et directeur des essais du laboratoire non stérile de traitement à l’azote au laboratoire de stockage des roches lunaires du Manned Spacecraft Center, étudie au microscope une roche de la taille d’un ballon de basket collectée lors de la mission Apollo 14, qui a fait l’objet de nombreuses discussions. Au total, une quarantaine de kilos d’échantillons de matière lunaire ont été rapportés sur Terre par les deux membres de l’équipage d’Apollo 14 partis explorer la Lune. Ils les ont collectés lors de leurs deux sorties extravéhiculaires sur la surface lunaire, dans la zone du Fra Mauro.
C’est par une matinée ensoleillée de décembre qu’une équipe de scientifiques s'est retrouvée dans le désert reculé de l’Australie. Elle suivait une balise radio qui les menait à une capsule renfermant de précieuses matières collectées dans l’espace. De la taille d’une boîte à chaussures et larguée dans le cadre de la mission japonaise Hayabusa2, celle-ci contenait des roches et de la poussière de Ryagu, un astéroïde de type carboné susceptible d’abriter les éléments nécessaires à la vie. Afin de garantir la pureté de l’échantillon, la capsule a été envoyée au Centre de traitement des échantillons extraterrestres de l’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (JAXA). Ce laboratoire, situé non loin de Tokyo, est conçu pour éviter toute contamination de la matière cosmique par les organismes terrestres.
Des années durant, empêcher la Terre de « polluer » le système solaire fut la préoccupation principale en matière de protection planétaire. Pour ce faire, les vaisseaux spatiaux sont stérilisés et les astronautes soumis à des protocoles de quarantaine très stricts. Mais, alors que les agences spatiales de la planète se préparent à rapporter sur Terre davantage d’échantillons en provenance d’astéroïdes, de la Lune ou encore de Mars, les scientifiques se posent la question inverse : et si nous rapportions sur Terre des germes extraterrestres ?
Il fut un temps où tous les échantillons non terrestres étaient traités comme des dangers biologiques potentiels par les scientifiques. La NASA a notamment placé en quarantaine des astronautes des missions Apollo à leur retour d’un périple sur la surface lunaire. Mais en découvrant que les échantillons prélevés sur la Lune ne contenaient aucune trace de vie, l’agence a abandonné bon nombre de ces protocoles de sécurité.
Désormais, avec la cadence des missions de retour d’échantillons qui augmente, la prudence s’impose à nouveau. Ces dernières années, les scientifiques ont découvert que de vigoureux micro-organismes pouvaient survivre dans des lieux toujours plus inhospitaliers. Les minuscules tardigrades, aussi appelés oursons d’eau, peuvent même survivre au vide spatial.
« Sur Terre, par exemple dans les mines d’or d’Afrique du Sud, il vous arrive parfois de tomber sur une réserve d’eau de plusieurs centaines de milliers d’années quand vous forez la roche. Et cette réserve d’eau contient des microbes », explique J. Andy Spry, scientifique en chef du Search for Extraterrestrial Intelligence Institute. « Si vous leur fournissez chaleur et lumière, ils se développeront ».
Les nouveaux échantillons de Ryugu seront bientôt rejoints par des morceaux de Bénou, l’astéroïde porteur de carbone, qui devraient être rapportés sur Terre en 2023 par un vaisseau de la NASA. Et en février prochain, le rover Perseverance de la NASA devrait atterrir dans une région de Mars susceptible d’avoir conservé des traces de vie, si toutefois celle-ci a existé sur la planète rouge. Le rover aura aussi l’importante mission de collecter et stocker des échantillons de roches martiennes. Ceux-ci, qui seront ensuite rapportés sur Terre, renfermeront peut-être des créatures extraterrestres.
« Concernant Mars, nous pensons qu’elle a pu abriter de la vie par le passé », indique J. Andy Spry. « Il est possible que les réserves d’eau sous la surface de la planète contiennent encore des formes de vie viables ».
Les agences spatiales du monde entier, notamment la NASA, la JAXA et l’Agence spatiale européenne (ESA), collaborent donc pour mettre au point de nouveaux laboratoires hautement sécurisés. Ces derniers seront conçus pour protéger la Terre des microbes ou résidus organiques rapportés sur la planète bleue dans le cadre des futures missions spatiales. Ils allieront la technologie actuelle des salles blanches aux protocoles et équipements de biosécurité hautement sécurisés employés par les laboratoires de recherche sur les maladies infectieuses pour manipuler en toute sécurité les virus les plus dangereux, comme Ebola et le SARS-CoV-2.
« D’importants moyens ont été déployés dans le cadre de l’actuelle campagne de retour d’échantillons de Mars afin d’encapsuler les échantillons collectés par Perseverance », confie Scott Hubbard, ancien directeur adjoint pour la recherche au Centre de recherche Ames de la NASA, situé dans la Silicon Valley californienne, où il supervisait les programmes d’astrobiologie et les missions sur Mars.
« Lorsque cette boîte atterrira dans le désert de l’Utah en 2031, elle sera transportée vers une installation au plus grand niveau de protection de biosécurité ».
UN LABORATOIRE PRÉCURSEUR
Pour concevoir ces laboratoires, la NASA peut s’inspirer du passé. À leur retour sur Terre après un voyage sur la surface de la Lune, les astronautes des missions Apollo portaient des combinaisons couvertes de poussière lunaire. La composition des roches de la Lune n’ayant pas encore été étudiée par l’agence spatiale, cette dernière a considéré chaque particule provenant de la surface lunaire comme un danger potentiel à la vie humaine.
La NASA a ainsi mis en quarantaine les équipages des missions Apollo 11, 12 et 14 dans une caravane AirStream modifiée et installée sur le pont du porte-avions venu les sortir de leur capsule flottant à la surface de l’océan. Une fois revenus sur la terre ferme, les astronautes ont été transportés par hélicoptère jusqu’au laboratoire de stockage des matières lunaires (Lunar Receiving Laboratory) du Centre spatial Lyndon B. Johnson de Houston, au Texas. Ce centre est précurseur des installations actuellement conçues dans le monde.
Dans ce laboratoire, les astronautes ont passé leurs vingt-et-un premiers jours de retour sur Terre dans la zone de réception des équipages, enfermés derrière une barrière biologique pour éviter toute « contamination rétrograde », c’est-à-dire toute propagation éventuelle de micro-organismes lunaires sur Terre. La Sample Operation Area (zone des opérations d’échantillonnage) se trouvait aussi au sein de l’installation. Elle était dotée d'équipements pour réaliser les analyses biologiques.
L’élément le plus important du projet de biosécurité du Lunar Receiving Laboratory était son complexe système à vide. Il empêchait les contaminants extérieurs d’entrer dans le laboratoire et évitait que les microbes lunaires potentiels ne circulent à l’intérieur ou n’en sortent. De la taille d’un bus à impériale et présentant des pompes et des vannes à la conception élaborée, le laboratoire occupait une pièce entière de l’entrepôt et disposait d’un système à vide de secours si le premier tombait en panne.
Le Lunar Receiving Laboratory a fini par devenir partie intégrante de la Direction des sciences de la recherche et de l'exploration des astromatériaux (Astromaterials Research and Exploration Science Directorate) de la NASA. Située au Centre spatial Johnson, celle-ci conserve, outre les roches lunaires collectées lors des missions Apollo, des échantillons de poussière stellaire, de météorites et de particules de comètes. Toutes ces matières sont stockées dans des salles blanches à pression positive semblables à celles utilisées dans l’industrie des semi-conducteurs. Grâce à la pression positive, l’air sort toujours de la salle blanche. Ainsi, l’intérieur reste stérile.
Ces systèmes sont toutefois moins complexes que ceux requis pour la réception d’échantillons collectés sur Mars et ailleurs, car le confinement des microbes potentiels n’est pas requis.
Les laboratoires en cours de construction « recourront au confinement le plus total », explique Michael Calaway, chef de projet de conservation des échantillons pour ARES du Jacobs Engineering Group, un sous-traitant de la NASA. Pour y parvenir, les concepteurs s’inspirent des laboratoires de biosécurité les plus sûrs de la planète.
CONSTRUIRE LE LABORATOIRE LE PLUS SÉCURISÉ AU MONDE
À Boston, le laboratoire national pour les maladies infectieuses émergentes (National Emerging Infectious Diseases Laboratories, ou NEIDL) est confiné. L’alerte route a été donnée en raison de la dissémination d’un agent pathogène. Les chercheurs et le personnel obéissent aux instructions pour se mettre en quarantaine alors que les secours arrivent.
Tout le monde est calme. Sans doute parce qu’ils savent ce qu’ils font. Et parce que la dissémination n’est pas réelle. Il s’agit d’un exercice prévu par le protocole, qui vise à garantir la sécurité du NEIDL et à conserver son titre de laboratoire parmi les plus sûrs au monde.
Ces scénarios catastrophes sont imaginés par Ronald Corely. Directeur du NEIDL, il coordonne les équipes qui définissent et exécutent tous les protocoles de sécurité. Il existe, pour chaque type de laboratoire de biosécurité, un plan à suivre en cas de coupure d’électricité, de dissémination, de cyberattaque… Pour tout risque inimaginable pour les personnes qui n’y travaillent pas, tout simplement.
Dans leur quête visant à créer des installations protectrices de la Terre, les concepteurs de la NASA se sont rendus au NEIDL afin d’étudier les processus appliqués et les systèmes physiques permettant d’avoir un laboratoire propre et sûr. Si les salles blanches de la NASA reposent actuellement sur la pression positive, le confinement d’agents pathogènes nécessite l’opposé : des salles à pression négative, qui cantonne la circulation de l’air à l’intérieur du laboratoire.
Même si le Lunar Receiving Laboratory originel de la NASA associait ces systèmes, de grands progrès ont été accomplis depuis les années 1960 en matière de technologie et de protocoles de biosécurité. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, ou CDC) n’ont codifié leurs niveaux d’exigence en matière de biosécurité qu’en 1984, alors même que les agences américaines avaient commencé à discuter de ces pratiques en 1955.
Dans les laboratoires de niveau 1, les chercheurs peuvent être amenés à manipuler des agents comme E. coli, un type de bactérie répandue que l’on trouve dans de nombreux endroits, comme la nourriture périmée ou les intestins humains. Les scientifiques y utilisent des équipements de protection individuelle basiques et exécutent de bonnes pratiques en matière de propreté, comme la décontamination quotidienne de l’ensemble des équipements et le lavage minutieux des mains. Cela permet de s’assurer que les microbes nocifs restent à leur place. Hormis quelques panneaux signalant des dangers biologiques et des systèmes de ventilation spécifiques empêchant l’air de sortir du laboratoire, ces lieux ne sont pas différents de ceux que fréquentent des étudiants en biologie.
Les laboratoires de niveau 2 traitent des agents un peu plus dangereux, à l’instar du Staphylococcus aureus, un agent pathogène opportuniste également répandu dans le microbiome du corps humain. Les mesures de sécurité et de décontamination sont plus strictes que celles du niveau 1, mais elles sont encore loin d’être extrêmes.
« Dans un laboratoire de niveau 3, vous portez des combinaisons intégrales en Tyvek ainsi qu’un masque respiratoire », indique Ronald Corely. Les chercheurs doivent franchir des sas sous vide pour accéder au laboratoire. Celui-ci ressemble à ceux des cours de biologie à l’université, mais est équipé de postes de laboratoire munis d’une hotte avec protecteurs en verre et ventilation aérienne. Cependant, « dans un laboratoire de niveau 3, vous devez nettoyer et décontaminer le moindre objet », souligne le directeur du NEIDL. Le SARS-CoV-2 est stocké dans un laboratoire de ce type.
Le niveau le plus élevé de biosécurité, à savoir le niveau 4, est réservé aux agents pathogènes les plus meurtriers, comme le virus Ebola. Dans un laboratoire de ce type, les scientifiques portent ce que Ronald Corely appelle une combinaison intégrale étanche. Celle-ci est raccordée à des tuyaux qui pompent de l’air à l’extérieur de la pièce. Plusieurs paires de gants, des lunettes de protection et des masques respiratoires protègent les scientifiques des microbes dangereux. De vraies poupées russes des mesures de sécurité.
Les futurs centres de conservation d’échantillons extraterrestres appliqueront les mêmes protocoles que les laboratoires de niveau 4. Les scientifiques qui étudient les roches martiennes accéderont aux laboratoires vêtus d’un ensemble de protection complet. Ils devront franchir un sas sous vide afin de rejoindre les espaces de travail spécialement conçus pour que les microbes n’en sortent pas.
La construction de ce type d'installations est déjà prévue. Mais, à l'instar des autres efforts en matière d’exploration spatiale, plusieurs années seront nécessaires pour qu’elles deviennent réalité. Des modifications de conception sont également à prévoir.
À Houston, au Texas, le Mars Quarantine Facility (centre de quarantaine pour les missions sur Mars) servira dans un premier temps de lieu de stockage de la poussière et des roches issues de la planète rouge. Il devrait par la suite accueillir les astronautes revenant de Mars jusqu’à ce que la NASA estime leur réintégration dans la société sans danger. Les différentes zones du centre seront cloisonnées et munies de filtres HEPA. L’ESA, qui collabore avec la NASA sur le partage et la conservation des futurs échantillons martiens, travaille sur un centre similaire à Vienne, en Autriche. Les futures installations de la NASA seront peut-être mobiles et modulaires, à l’image du vieux Lunar Receiving Laboratory, tout en arborant un design épuré et en étant plus légères.
Pour autant, cela ne devrait pas susciter d’inquiétudes. Les agences réalisent ce travail par prudence et non par peur que les germes spatiaux puissent anéantir notre planète.
« Le Mystère Andromède est un bon thriller », confie Scott Hubbard. « Il se base cependant sur peu de preuves scientifiques solides. La probabilité qu’un événement similaire se produise est extrêmement faible. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.