Après son vol réussi, Virgin Galactic ouvre la voie au tourisme spatial
Ce vol, à bord duquel a notamment pris place Richard Branson, le fondateur de la société, constitue une étape importante vers le tourisme spatial.
Après avoir allumé son moteur de fusée, l’avion spatial V.S.S Unity de Virgin Galactic a volé à plus de 86 kilomètres d’altitude ce dimanche 11 juillet. À son bord, Richard Branson, le fondateur de la société, a frôlé les limites de l’espace.
L’avion spatial blanc et argenté évolue à plus de 14 000 mètres d’altitude au-dessus du désert du Nouveau-Mexique. Propulsé au protoxyde d’azote et à un combustible solide à base de caoutchouc, il se dirige droit vers les limites de l’atmosphère terrestre dans un panache de fumée. Quelques minutes plus tard, l’équipage composé de deux pilotes et quatre passagers (dont le milliardaire Richard Branson) flotte à plus de 86 kilomètres d’altitude. Une distance suffisante pour admirer la courbure de la Terre et échapper quelques instants à l’emprise de la gravité.
Ce vaisseau rutilant, le V.S.S Unity de Virgin Galactic, s’est séparé en vol d’un imposant avion porteur pour monter à plus de 85 kilomètres dans le ciel. Une fois son ascension terminée, l’appareil a fait pivoter ses gouvernes de queue pour redescendre lentement dans la haute atmosphère. Quinze minutes après son lancement, V.S.S Unity s’est posé en glissant sur la piste d’atterrissage située au Nouveau-Mexique avant de s’immobiliser.
« C’est une expérience unique dans ma vie », a confié Richard Branson, aux anges, alors que V.S.S Unity entamait sa descente.
Le fondateur de Virgin Galactic, Richard Branson, et les autres passagers du V.S.S Unity attendent que l’avion spatial suborbital propulsé par un moteur de fusée se sépare de son avion porteur.
Baptisée « Unity 22 », la mission marque le premier vol jusqu’aux limites de l’espace d’un équipage si nombreux réalisé par Virgin Galactic, la société de Richard Branson. Le spectacle constitue aussi une étape importante dans la course à la commercialisation de l’accès à l’espace suborbital, pour le plaisir et le profit. Ce quatrième vol habité de Virgin Galactic a été réalisé neuf jours seulement avant que le milliardaire Jeff Bezos ne s’envole à son tour à bord de New Shepard, une fusée suborbitale construite par sa société Blue Origin.
« Je trouve ça extraordinaire que les fondateurs de ces sociétés participent aux vols des premières missions officielles, » confie Jennifer Levasseur, historienne spécialiste de l’espace et conservatrice au Smithsonian National Air and Space Museum (Musée national de l’air et de l’espace de la Smithsonian Institution). « Il est évident qu’ils croient beaucoup en leurs projets, leurs collaborateurs et leur technologie. Chacun d’entre eux a le goût de l’aventure, et c’est cela qui fait que le risque en vaut la chandelle ».
Les projets des deux sociétés ont été qualifiés de vaniteux et d’un luxe destinés aux ultra-riches. Lors d’une prévente, Virgin Galactic a ainsi vendu ses billets au prix de 250 000 $ l’unité (environ 210 000 €), mais a depuis fait savoir qu’elle en augmentera le tarif. Quant à Blue Origin, elle n’a pas encore mis en vente de place à bord de New Shepard ni dévoilé le prix des précieux sésames. Néanmoins, lors d’une vente aux enchères en juin dernier, une place à bord du vol à venir avec Jeff Bezos s’est vendue pour 28 millions de dollars (près de 24 millions d’euros).
Les nouveaux véhicules spatiaux tels que SpaceShipTwo et New Shepard ne se destinent cependant pas uniquement aux riches à quête de gloire ; ils pourraient également constituer une plateforme unique pour la recherche aérospatiale et scientifique.
« Ce n’est pas seulement un groupe de milliardaires, estime Laura Seward Forczyk, fondatrice d’Astralytical, une société d’analyse spécialisée dans l’industrie spatiale. De vraies recherches scientifiques peuvent être réalisées. »
UN PAS DE PLUS VERS LE TOURISME SPATIAL
Le secteur privé s’intéresse à l’espace depuis longtemps déjà. Depuis 2000, plusieurs touristes aisés ont déboursé des dizaines de millions de dollars pour se rendre à bord de la Station spatiale internationale (SSI). En parallèle, la NASA a progressivement encouragé les sociétés privées à prendre le relais des lancements américains de vaisseaux cargo et d’astronautes à destination de la SSI. Les vols de vaisseaux cargo pour le compte de la NASA ont débuté en 2012, tandis que les premiers vols commerciaux habités ont eu lieu en 2020.
Mais des sociétés comme Virgin Galactic et Blue Origin travaillent sur un projet bien différent depuis des années : le tourisme spatial suborbital. Bientôt, toute personne capable de débourser des centaines de milliers d’euros pourra monter à bord d’un vaisseau et voyager quelques minutes aux limites de l’espace.
Alors que la plupart des pays du monde considèrent que les limites de l’espace, connues sous le nom de « ligne de Kármán », se situent à 100 kilomètres d’altitude, les États-Unis les ont fixées à 80 kilomètres. Dimanche 11 juillet, le vaisseau Virgin Galactic a franchi le seul des 86 kilomètres. Le 20 juillet prochain, le vol Blue Origin devrait évoluer à environ 105 kilomètres d’altitude.
La construction de nouveaux vaisseaux spatiaux pour les touristes s’est avérée extrêmement difficile. Des années d’essais, ponctuées parfois par des accidents mortels, comme avec le crash du prototype d’un avion-fusée SpaceShipTwo en 2014, ont été nécessaires pour y parvenir. Aujourd’hui, Virgin Galactic et Blue Origin tournent la page des vols d’essai pour se livrer aux voyages commerciaux avec à leur bord des clients payants ainsi que les fondateurs des deux sociétés.
Le chemin a été long pour y parvenir, en particulier pour Virgin Galactic. L’avion spatial de la société trouve son origine dans un programme débuté au milieu des années 1990.
UN NOUVEL AVION SPATIAL
Contrairement aux fusées habitées traditionnelles dont le lancement s’effectue depuis la terre ferme, celui de SpaceShipTwo s’effectue en plein vol. Un avion porteur, WhiteKnightTwo, transporte l’avion-fusée jusqu’à une altitude de plus de 12 000 mètres. De là, SpaceShipTwo est largué sous l’avion porteur avant d’allumer son moteur de fusée et de s’élancer en direction des frontières de l’espace. L’ascension, raide, s’effectue à une vitesse trois fois et demie plus rapide que celle du son.
Le lancement d’un avion-fusée en plein vol semble être une façon complexe d’envoyer des êtres humains dans l’espace. Pourtant, selon Chuck Rogers, directeur adjoint du Centre Armstrong de recherche aéronautique de la NASA en Californie, cette méthode présente plusieurs avantages. La technique a été étudiée sur plusieurs décennies de recherche aéronautique, notamment avec le X-1, le premier avion à avoir franchi le mur du son, et le X-15, avion piloté le plus rapide au monde qui a atteint une vitesse de 7 274 km/h lors d’un vol effectué en 1967.
Le lancement en plein vol s’avère très efficace, car il évite au vaisseau spatial de traverser par lui-même la basse atmosphère, dense, et il transporte moins de carburant. En outre, l’utilisation d’un avion spatial permet un décollage et un atterrissage sur une longue piste conventionnelle, éliminant ainsi le besoin d’infrastructures de rampes de lancement supplémentaires.
La conception de SpaceShipOne, le prédécesseur expérimental de SpaceShipTwo, a débuté en 1996, avec l’annonce du prix Ansari X. Ce concours décernait 10 millions de dollars (environ 8 millions d’euros) au premier vaisseau spatial privé habité capable d’effectuer sur deux semaines deux voyages à plus de 100 kilomètres d’altitude, et ce avant la fin de l’année 2004. Condition supplémentaire pour se voir décerner la récompense : transporter un pilote et l’équivalent du poids de deux passagers.
Burt Rutan, un ingénieur iconoclaste connu pour ses avions originaux mais terriblement performants était le favori de ce concours. Pour le prix Ansari X, l’homme a ainsi imaginé un aéronef lancé depuis les airs à la technique de descente unique. Juste avant d’atteindre son altitude maximale, SpaceShipOne relevait ses deux gouvernes de queue vers le haut à 65°, à l’image des poils hérissés sur le dos d’un chien. Ce système améliorait grandement la traînée de l’aéronef lors de la descente, le ralentissant de manière à ce qu’il puisse redescendre en toute sécurité à travers l’atmosphère, rétracter ses gouvernes de queue avant de glisser sur la piste d’atterrissage.
La fabrication de l’avion spatial avançait lentement jusqu’à ce que le co-fondateur de Microsoft, Paul Allen, décide d’investir dans le projet de Burt Rutan et sa société, Scaled Composites, en 2004. En juin 2004, SpaceShipOne est devenu le premier véhicule financé par des fonds privés à voyager dans l’espace. Moins de quatre mois après, l’avion spatial a franchi à deux reprises la limite des 100 kilomètres d’altitude, remportant ainsi le prix Ansari X.
« C’était le vol parfait, » se rappelle Brian Binnie, pilote d’essai aux manettes de l’avion lors du second vol effectué le 4 octobre 2004, qui a valu la récompense à l’aéronef. « Cette sensation ne m’a toujours pas quitté : c’est comme si je n’étais pas seul, comme si d’autres forces étaient à l’œuvre. »
Après que SpaceShipOne a remporté le prix, Richard Branson a acheté les dessins de l’aéronef pour Virgin Galactic avec l’objectif de construire un véhicule plus grand pouvant accueillir plusieurs passagers : SpaceShipTwo.
LE CASSE-TÊTE SPACESHIPTWO
Environ deux fois plus imposant que son prédécesseur, SpaceShipTwo a également été source de deux fois plus de problèmes. À cause de sa taille plus conséquente, il a été nécessaire de redessiner son moteur de fusée ainsi que l’avion porteur, ce qui, en plus d’autres soucis techniques, a engendré de nombreux retards.
Deux accidents mortels ont également touché l’équipe SpaceShipTwo. En 2007, trois personnes ont perdu la vie dans une explosion avant un essai du moteur de fusée. Puis, le 31 octobre 2014, un prototype SpaceShipTwo s’est désintégré en pleine ascension lorsqu’un des pilotes a enclenché trop tôt le système de rotation de la queue de l’appareil. Le copilote Michael Alsbury est décédé dans le crash tandis que le pilote Peter Siebold a été gravement blessé. Selon certaines sources, cet accident aurait secoué Richard Branson, mais Virgin Galactic a malgré tout décidé de poursuivre le programme.
« Tout le mérite revient à Branson, qui a gardé le cap ; les occasions de tout arrêter ont été nombreuses, raconte Brian Binnie, qui a travaillé sur SpaceShipTwo jusqu’en 2014. Se lancer dans la construction de fusées semble passionnant, mais une fois le moment de vérité venu, il n’y a pas droit à l’erreur. »
Après des années d’améliorations au niveau de la sécurité, deux pilotes ont franchi les 80 kilomètres d’altitude en 2018 à bord de SpaceShipTwo. Une réussite qui s’est reproduite en 2019, cette fois-ci avec un passager à bord : Beth Moses, instructrice en chef des astronautes de la société.
« C’était magnifique, indescriptible, » a confié Moses lors d’une interview accordée à National Geographic en 2019. « C’est une expérience stupéfiante, vraiment, légèrement intense et absolument merveilleuse. »
En mai 2021, Virgin Galactic a accompli son troisième vol au-delà de la limite des 80 kilomètres d’altitude, ce qui lui a permis d’obtenir de l’U.S. Federal Aviation Administration (Administration fédérale de l’aviation des États-Unis) une licence commerciale complète. Le test a ouvert la voie au lancement d’Unity 22 ce dimanche 11 juillet. Il a par la même occasion rassuré la société quant à la fiabilité du système, qui a ainsi autorisé Branson à prendre place à bord du vaisseau.
LA SCIENCE AUX PORTES DE L’ESPACE
Les discussions entourant Virgin Galactic et Blue Origin portent surtout sur la course opposant Branson à Bezos. Tandis que les milliardaires se battent en duel aux frontières de l’espace, les véhicules que leurs sociétés ont conçus permettent eux de nouveaux types de recherches.
Les vols Virgin Galactic et Blue Origin proposent entre trois et cinq minutes d’apesanteur continue. Si les scientifiques ont pu accéder à l’espace suborbital auparavant, c’était principalement par l’intermédiaire de vaisseaux spatiaux non habités. Grâce à ces nouveaux véhicules, les chercheurs pourront voyager dans l’atmosphère et réaliser leurs expériences en plein vol.
Les deux sociétés ont déjà envoyé des charges utiles scientifiques et des expériences techniques à bord de leurs engins grâce au soutien du programme Flight Opportunities de la NASA. Ainsi, une expérience menée par un être humain a été réalisée lors du vol Unity 22. Celle-ci s’intéressait aux modifications de l’activité génétique des plantes une fois soumises à l’apesanteur. L’expérience, imaginée par l’université de Floride, a été réalisée par Sirisha Bandla, une employée de Virgin Galactic.
De précédentes études menées à bord de navettes spatiales et de la SSI ont enregistré en détail la manière dont la vie fonctionne en microgravité. Cependant, les scientifiques ignorent encore comment se produit le passage de la sensation de gravité terrestre à l’apesanteur chez les êtres vivants d’un point de vue biochimique. Selon Rob Ferl, biologiste à l’université de Floride et co-chercheur principal de l’expérience, les vols suborbitaux comme Unity 22 constituent une opportunité unique d’élucider ce mystère.
« Nous sommes des scientifiques qui se contentent d’ouvrir la porte sur cet univers biologique encore jamais étudié », explique le biologiste.
QUEL AVENIR POUR LES VOLS SUBORBITAUX ?
Même si Virgin Galactic et Blue Origin emmènent leurs clients aux frontières de l’espace et engrangent des contrats de recherche, Laura Seward Forczyk met en garde contre l’ampleur que pourrait prendre le marché suborbital.
En théorie, le prix des billets diminuera à mesure que les vols seront plus fréquents. Pour l’heure, cette industrie émergente cible principalement les ultra-riches, leurs invités et les chercheurs financés. Laura Seward Forczyk estime qu’avec l’amélioration de la technologie, nous devrions savoir si les sociétés de vols spatiaux dirigées par des milliardaires tiennent leur promesse et « démocratisent l’espace », ou si les voyages suborbitaux resteront un luxe.
L’avenir des voyages privés aux frontières de l’espace déprendra également de la sécurité des véhicules employés. En vertu de la législation américaine en vigueur, les fonctionnaires fédéraux sont limités dans leur capacité de régulation de la sécurité des passagers à bord des vols spatiaux commerciaux jusqu’en 2023. « Je pense que personne n’est dupe au point de croire que cela est sans risque, » souligne l’analyste. « Nous devons anticiper et nous préparer à la survenue d’accidents mortels. »
Si les accidents risquent de ralentir le développement de cette industrie, ils ne devraient pas freiner l’accès étendu des clients à l’espace suborbital et au-delà. « Je vois cela comme la fin du commencement, » juge Jennifer Levasseur, historienne de la Smithsonian Institution. « Les voyages dans l’espace ne deviendront jamais une routine ; ce n’est pas un processus courant… [Mais] nous entrons dans une nouvelle phase de régularité. »
Pour Brian Binnie, voir SpaceShipTwo s’élever vers le ciel témoigne de l’héritage laissé par le prototype d’avion-fusée qu’il a piloté à une altitude record de 112 kilomètres.
« Je suis soulagé de dire que SpaceShipOne ne sera pas un véhicule exceptionnel exposé dans un musée. Il sera en réalité le catalyseur de quelque chose de plus impressionnant, de plus prometteur », déclare-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.