Mission InSight : premier aperçu du centre de Mars
L’observation du centre de la planète rouge aidera les scientifiques à mieux comprendre comment la planète Mars est devenue le désert hostile et poussiéreux que nous connaissons aujourd’hui.
Depuis le début de l’année 2019, le sismomètre du module InSight de la NASA collecte des données cruciales pour l’étude de la structure interne de Mars. Grâce à cette mission, les scientifiques ont pu déterminer la taille du noyau planétaire, en plus de découvrir d’autres caractéristiques de la croûte et du manteau.
Le dieu de la guerre de notre système solaire est doté d’un plus grand cœur que ce que l'on pensait. Grâce au premier sismomètre de l’Histoire installé sur une autre planète, des chercheurs ont pu analyser la structure interne de Mars pour la première fois, et notamment son noyau liquide surdimensionné.
Les résultats, publiés le 22 juillet dans trois papiers différents dans la revue Science, signent le dernier exploit en date de l’atterrisseur InSight de la NASA. Il s’est posé sur la région de plaine baptisée Elysium Planitia en novembre 2018. L’engin spatial stationnaire a mesuré de faibles « tremblements de Mars » qui ont secoué la planète depuis le début de l’année 2019.
Sur Terre, les ondes sismiques peuvent dévoiler la structure interne de notre planète en révélant les frontières des profondeurs, où la vitesse et la direction des ondes changent. Les mesures similaires des tremblements martiens fournies par InSight ont permis aux scientifiques de détecter des couches distinctes à l’intérieur de la planète, notamment la frontière de son noyau large de plus de 3 700 km.
« En tant que sismologue, vous n’avez probablement qu’une seule occasion dans votre vie de détecter le noyau d’une planète », souffle Simon Stähler, membre de l’équipe de la mission InSight et sismologue planétaire à l’École polytechnique fédérale de Zurich.
Mars n’est que le troisième corps céleste dont le noyau a été précisément mesuré grâce aux données sismiques, après la Terre au début du 20e siècle et la Lune en 2011. Combiné avec les premières mesures du manteau et de la croûte de Mars, la taille de son noyau permettra d’affiner les modèles de formation et d’évolution de la planète rouge au cours des 4,5 derniers milliards d’années. Il sera alors possible de la voir évoluer d’une possible planète habitable avec de l’eau liquide à sa surface et disposant d’un champ magnétique planétaire au désert hostile et poussiéreux que nous connaissons aujourd’hui.
De précédentes missions martiennes couplées à des modèles informatiques avaient permis de proposer des estimations fiables des éléments reposant sous la surface ocre de Mars. Il était notamment fort probable qu’elle dispose d’un noyau liquide. Toutefois, sans données sismiques directes, les chercheurs ne pouvaient pas confirmer si leurs modélisations étaient fiables ni découvrir si la planète rouge leur réservait des surprises. Les informations apportées par InSight ont fourni un aperçu de l’évolution de Mars au fil des millénaires. Elles ont également offert l’occasion aux scientifiques de tester leur capacité à déterminer ce qui se cache sous la surface d’une planète à distance.
« C’est la première fois que nous obtenons des observations de l’intérieur d’une autre planète », indique Sanne Cottaar, sismologue à l’université de Cambridge qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude, par entretien vidéo.
COMMENT LES TREMBLEMENTS DE MARS FONCTIONNENT-ILS ?
L’exploitation des données d’InSight représente un véritable exploit analytique. Sur Terre, la sismologie se pratique grâce à des réseaux de dizaines de milliers de capteurs. Les scientifiques de la mission InSight ne disposaient que d’un seul sismomètre, à un seul endroit, pour jeter un œil à l’intérieur de la planète rouge.
Pour corser les choses, Mars est particulièrement calme par rapport à la Terre. Ses plus grandes secousses seraient à peine perceptibles si quelqu’un se trouvait à sa surface, à moins qu’il ne se trouve à quelques kilomètres de l’épicentre.
Mais la sensibilité d’InSight est très élevée. Le calme sismique de Mars signifie que l’atterrisseur est capable de détecter les faibles tremblements survenant à de plus grandes distances que ne le ferait un instrument similaire sur Terre.
Malgré tous ces paramètres, les scientifiques ont dû faire face à de nombreuses sources de bruit, notamment des vents et des tourbillons de surface ainsi que des sons parasitaires générés par la structure d’InSight, qui grince et craque lorsqu’il se réchauffe et se refroidit au fil de la journée.
« Avec l’incroyable équipe dont nous disposons, nous avons réussi à extraire toutes les informations que nous souhaitions depuis les données envoyées et depuis celles que nous recevons encore », explique Mark Panning, sismologue au Jet Propulsion Laboratory de la NASA en Californie et coauteur des études.
Les éléments de base qui constituent le matériel d’étude des chercheurs spécialisés dans les séismes de Mars seront très sûrement familiers à tout sismologue sur Terre : les ondes P et les ondes S, deux types d’ondes sismiques qui se propagent à l’intérieur d’une planète.
À l’instar des ondes sonores qui se diffusent dans l’air ou dans l’eau, les ondes P compriment les particules sur leur itinéraire. Les ondes S, elles, se déplacent moins rapidement. Lorsqu’elles se heurtent à un matériau, elles déforment les particules de bout en bout, comme les cordes d’une guitare tout juste grattées.
Puisque leurs mouvements ne sont pas similaires, les ondes P et S ne traversent pas les mêmes types de matériaux. C’est ce paramètre qui donne aux scientifiques des indices majeurs quant à la structure interne d’une planète. Les ondes P peuvent traverser des matières solides, liquides et gazeuses sans problème. Les ondes S, quant à elles, ne traversent que les corps solides, puisqu’ils sont les seuls à résister à leurs mouvements latéraux.
Cette différence a été essentielle pour détecter le noyau de Mars. En effet, les ondes P peuvent se répandre dans un manteau solide ainsi qu’un noyau liquide, mais ce n’est pas le cas des ondes S. En fonction de l’orientation de leur mouvement, certaines ondes S peuvent se propager jusqu’à la frontière entre le manteau et le noyau, s’y réfléchir sans perte d’énergie et rebondir vers la surface.
M. Stähler et ses collègues de la mission InSight étaient justement en quête de ce type précis de réflexion des ondes sismiques. Après avoir détecté de curieux indices dans les données provenant d’un tremblement martien de juillet 2019, M. Stähler et une équipe de la mission ont cherché la présence de tremblements ayant suivis trois phases distinctes : une onde P, suivie d’une onde S principale puis d’une deuxième, plus discrète, quelques centaines de secondes plus tard, dotée de l’orientation correcte pour qu’il s’agisse d’une réflexion.
En tout, l’équipe a observé six tremblements de Mars présentant ces trois étapes distinctes. Lorsqu’ils ont comparé ces signaux à 5 000 modélisations différentes du manteau de Mars, les chercheurs ont remarqué que ces ondes pourraient se heurter à une frontière située à une centaine de kilomètres sous la surface martienne. Il s’agissait de la séparation entre le manteau solide de la planète rouge et son noyau liquide.
En se basant sur la profondeur de cette frontière, l’équipe de la mission de la NASA a estimé que le noyau de Mars mesurait entre 3 580 et 3 740 kilomètres de largeur, légèrement plus grand que ce à quoi elle s’attendait. Cette taille signifie également que sa densité moyenne est un peu plus faible que ce que l'on supposait jusqu'à présent.
Si certaines hypothèses sur la composition de Mars se révèlent vraies, 10 à 15 % de la masse de son noyau liquide composé de fer et de nickel devrait être formée de soufre, et d’autres faibles quantités d’oxygène, d’hydrogène et de carbone, entre autres.
En outre, les résultats démontrent que le manteau martien n’atteint ni les profondeurs ni les pressions nécessaires à la formation d’un manteau inférieur distinct. Sur Terre, c’est une couche géologique qui représente une région dense et chaude composée de roches solides. Sa frontière est située à 660 kilomètres de la surface terrestre. Les minéraux sous haute pression situés dans le manteau inférieur de la Terre permettent d’isoler le noyau de notre planète. L’absence d’une telle couche intermédiaire sur Mars signifie probablement que son noyau se refroidit plus facilement.
Selon la composition du noyau, ce potentiel refroidissement rapide peut avoir contribué à déplacer la chaleur au sein du noyau martien au cours des prémices de son existence. Cette situation aurait pu mener à la génération de courants de convection qui, à leur tour, auraient créé un champ magnétique planétaire.
Bien qu’aujourd’hui, la planète rouge ne présente plus de champ magnétique, la croûte de son hémisphère nord demeure hautement magnétisée. Cette condition indique qu’elle possédait un champ magnétique semblable à celui de la Terre il y a 3,7 à 4,5 milliards d’années, puis l’a perdu. La disparition de ce champ a été reliée à la perte de la majeure partie de son atmosphère. De fait, plus les scientifiques obtiennent de détails quant à l’extinction du champ magnétique, plus ils seront susceptibles de déterminer l’époque à laquelle la planète Mars est devenue le monde aride et stérile qu’elle est aujourd’hui.
LA RÉELLE COMPOSITION DE MARS
Les tremblements de Mars révélés par InSight n’ont pas seulement permis de découvrir le noyau de la planète. Ils ont également fourni des indices sur les mondes souterrains de Mars, le manteau ainsi que la croûte. Pour la première fois, les scientifiques ont pu observer ces trois couches de l’intérieur martien comme sur Terre.
Schéma représentant la composition de Mars.
Dans une autre étude publiée le 22 juillet dans la revue Science, une équipe dirigée par Amir Khan, géophysicien à l’École polytechnique fédérale de Zurich, a utilisé les données des tremblements martiens pour repérer une barrière thermique nette sous la surface de la planète, de 400 à 600 kilomètres de profondeur. Au-dessus, la croûte et la partie supérieure du manteau véhiculent la chaleur en formant une enveloppe stable. En dessous de cette profondeur, le manteau agit plutôt comme une sorte de fluide visqueux, diffusant lentement chaleur, comme une lampe à lave.
La modélisation suggère également que la partie inférieure de sa croûte est 13 à 21 fois plus riche en éléments radioactifs et générateurs de chaleur que le manteau sous-jacent. Ensemble, ces résultats pourraient justifier la localisation des volcans de Mars malgré l’absence de tectonique des plaques sur l’ensemble de la planète.
Pour compléter le schéma de répartition des couches martiennes, les scientifiques se sont également penchés sur la structure de la croûte martienne. Leurs résultats ont été publiés dans un troisième papier, paru le 22 juillet dans la revue Science.
Deux interprétations majeures sont possibles à la suite de cette étude. Premièrement, que la croûte mesure 20 kilomètres de largeur, et présente deux couches, ou deuxièmement, qu’elle mesure 39 kilomètres et possède trois couches. Déterminer quelle situation est correcte permettrait aux spécialistes de comprendre comment la planète s’est formée et a évolué avec le temps.
« Nous espérons encore qu’avec davantage de données ou d’autres analyses, nous arriverons au point où nous pourrons choisir entre un de ces deux scénarios », indique Brigitte Knapmeyer-Endrun, de l’université de Cologne et directrice de l’étude sur la structure de la croûte aux côtés de Mark Panning.
Mais la taille imposante du noyau martien pourrait compliquer la détection de certains de ces curieux séismes. Parmi les lieux les plus propices aux évènements sismiques se trouve la spectaculaire région du dôme de Tharsis, qui abrite Olympus Mons et d’autres volcans massifs endormis. La zone présente également des fissures et des failles géologiques apparemment jeunes. Le noyau de Mars est assez grand pour bloquer les ondes S en provenance du dôme de Tharsis qui si dirigeraient vers InSight. Par conséquent, l’engin spatial ne serait pas capable de détecter les tremblements martiens de cette région.
Il est possible que d’autres surprises sismiques se cachent ailleurs sur Mars. InSight poursuit sa collecte de données. La mission ayant été prolongée jusqu’à fin 2022, les chercheurs s’attendent à observer de nouvelles secousses. Ils espèrent aussi obtenir un aperçu plus direct sur l’immense cœur métallique de la planète.
« Nous allons vraiment au-delà de l’interprétation de la structure interne de la planète uniquement depuis l’espace », déclare M. Stähler. « Nous disposons d’une réalité de terrain désormais. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.