Que peuvent nous apprendre les fragments de la météorite tombée en Seine-Maritime ?

Après avoir fendu le ciel à 4h du matin, difficile pour la météorite apparue le 13 février dernier de passer inaperçue. En plus d’avoir créé une étoile filante impressionnante, l’objet fait partie des rares météorites détectées avant impact.

De Lou Chabani
Publication 6 mars 2023, 15:53 CET
Image d'illustration d'une météorite.

Image d'illustration d'une météorite.

PHOTOGRAPHIE DE ikonacolor / Alamy Banque D'Images

« La particularité de cette météorite est qu’elle était associée à un astéroïde qui a d’abord été observé avant son entrée atmosphérique. […] C’est la troisième fois dans l’Histoire qu’un caillou est détecté […] et la première fois en Europe », raconte Sylvain Bouley, président de la société astronomique de France. « Nous l’avons ensuite vue tomber avec le réseau FRIPON, qui compte une centaine de caméras en France et un peu plus à l’étranger et quand on voit un bolide, une grosse étoile filante, nous pouvons calculer la trajectoire de chute et aller sur les lieux. »

Suite au crash, la recherche des fragments a immédiatement commencé grâce à l’aide de nombreux bénévoles. Parmi eux, Lois Leblanc-Rappe, étudiante en arts qui a eu la chance de retrouver le premier fragment le 15 février, dix ans jour pour jour après le crash de l’impressionnante météorite de Tcheliabinsk.

Plus petite que son homologue russe, la météorite de Seine-Maritime n’a heureusement engendré aucun dégât matériel ou humain. Elle a cependant été observée par des centaines de personnes et attiré l’attention de nombreux passionnés.

Depuis la découverte effectuée par la jeune artiste au cours d’une battue, plusieurs autres fragments ont été retrouvés. Ils ont par la suite été transmis à la collection de météorites du Muséum d’Histoire naturelle de Paris pour être étudiés.

Venue de la ceinture d’astéroïdes orbitant entre Vénus et Saturne, la météorite renferme de précieuses informations sur la formation de notre système solaire.

 

LA CHASSE AUX ÉTOILES FILANTES

« Le jour de la découverte, mon père qui fait partie de l’association, m’a appelée pour faire les recherches », raconte Lois LeBlanc-Rappe. « Nous avons rejoint une équipe de chercheurs dans les champs et j’ai eu la chance […] de tomber dessus au bout de seulement une vingtaine de minutes ! »

Bien qu’ils soient faits de pierre et de métal, les fragments d’une météorite se dégradent rapidement. Ils contiennent en effet des noyaux radioactifs à la demi-vie parfois très courte, pouvant se dégrader en l’espace de quelques jours. Très précieux pour les chercheurs, il est donc particulièrement important que les fragments soient retrouvés et examinés le plus vite possible.

Encore anonyme, la météorite du 13 février à été retrouvée par la jeune Lois LeBlanc-Rappe (au ...

Encore anonyme, la météorite du 13 février à été retrouvée par la jeune Lois LeBlanc-Rappe (au centre, avec l'écharpe) au cours d'une battue organisée par la société astronomique de France. Une trouvaille présentée comme un exemple de science participative.

PHOTOGRAPHIE DE FRIPON/Vigie-Ciel

« Pendant qu’il se promène dans l’espace interplanétaire, l’astéroïde est irradié par des rayons cosmiques qui produisent des réactions nucléaires qui synthétisent ces noyaux qui se dégradent très vite une fois au sol », explique la Docteur Brigitte Zanda, directrice de la collection de météorites du Muséum d’Histoire naturelle de Paris. 

Afin de mettre un maximum de chances de leur côté, les chercheurs du Muséum d'Histoire naturelle ont donc fait appel à des amateurs passionnés. Volontaires, astronomes amateurs et habitants de la Seine-Maritime se sont ainsi rassemblés au petit matin dans les champs, afin de tenter de retrouver les fragments avant qu’ils ne s’abîment. Afin de différencier les morceaux de météorite des pierres ordinaires, des consignes précises ont été données aux volontaires.

« Il y avait beaucoup de silex, qui sont des roches sombres qu’il est assez facile de confondre, mais avant la recherche, les scientifiques nous ont montré une météorite comme exemple », explique Lois. « Ce sont des roches très denses, assez lourdes, vraiment très foncées et d’aspect lisse. Elles devaient être juste posées et pas enfoncées ou salies. […] On pouvait aussi reconnaître une météorite parce qu'elle porte des reliefs ressemblant à des traces de doigts. »

« Les astéroïdes rocheux ont tendance à exploser en plein vol et à se répartir en plusieurs fragments », ajoute le Dr. Zanda. « Ce sont les astéroïdes ferreux, beaucoup plus denses qui restent en un seul morceau et forment un cratère d’impact. »

En plus du problème de la dégradation rapide des fragments, les astronomes ont dû faire face à la concurrence des chasseurs de météorites. Très recherchées par les collectionneurs, les pierres tombées du ciel sont particulièrement rares avec moins d’un impact de météorite tous les dix ans recensé sur le sol français. 

Lors de la recherche des fragments de la météorite, la société d’astronomique de France et le Muséum d'Histoire naturelle ont dû composer avec une concurrence parfois peu scrupuleuse mais parfaitement légale. En effet, aucune loi ne régule le cas de ces morceaux d’espace tombés sur Terre et il est parfaitement possible pour n’importe qui de garder un fragment de météorite après l’avoir trouvé, à condition de l’avoir fait chez soi ou dans un lieu public.

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    Le fragment retrouvé par Lois LeBlanc-Rappe est le premier à avoir été récupéré par les scientifiques. Manipulé avec de l'alluminium afin d'éviter toute contamination, il a été directement envoyé à Bratislava, afin d'observer des rayons gamma qui ne sont émis que quelques jours après le crash

    L'opération a été rendue possible par une impressionnante collaboration entre bénévoles et scientifiques pour l'envoyer le plus rapidement possible au détecteur à l'autre bout de l'Europe.

    PHOTOGRAPHIE DE FRIPON/Vigie-Ciel

    « C’est un vrai problème sur le terrain. Nous faisons tout pour que tout se passe le mieux possible en allant voir les propriétaires et les maires pour expliquer notre démarche », explique M. Bouley. « Maintenant que nous avons trouvé quelques météorites, nous allons recontacter les propriétaires pour savoir s’ils acceptent de donner leur part au muséum, parce qu’ils ont le droit de les garder […] et les chasseurs de météorites ne le font pas tous. »

    « Malgré cela, nous avons surtout rencontré beaucoup de personnes extrêmement ouvertes, qui sont venues chercher avec nous sur le terrain », ajoute le Dr. Zanda. « La météorite a cela de particulier qu’elle tombe où elle veut […] et nous amène à rencontrer des gens très différents qui ne s’y seraient pas forcément intéressés spontanément. »

    Afin de prolonger la découverte, les chercheurs comptent à présent revenir sur les lieux une fois les recherches terminées, afin de présenter les différents cailloux retrouvés et expliquer leur travail.

     

    UN TÉMOIN DES PREMIÈRES HEURES 

    Que peuvent nous apprendre les météorites ? Si la question semble simple, la réponse est beaucoup plus complexe qu’elle n’en a l’air. Selon Brigitte Zanka, le premier paramètre à prendre en compte est l’identification du type de météorite présent.

    « Il existe deux grandes catégories […], la plupart des météorites sont issues d’astéroïdes dont la majorité gravite entre Mars et Jupiter, qui ont eu une évolution très courte depuis l’apparition du système solaire », explique l’astronome. « Certaines se sont formées très tôt et ont été réchauffées par des éléments radioactifs. C’est un mélange de grains de métal pur et de silicates […] et quand vous faites fondre ça, le métal forme un liquide plus dense qui crée un noyau, comme notre planète. » 

    Ces astéroïdes formés aux premières heures de notre système solaire ont donc bénéficié d’assez de chaleur pour former une structure proche de celle d’une planète rocheuse. D’après l’astronome, c’est en rentrant en collision les uns avec les autres qu’ils peuvent se casser et éjecter des morceaux vers notre planète. Les météorites formées peuvent alors être constituées de roche, souvent basaltique ou de métal, comme la comète de Tcheliabinsk. 

    COMPRENDRE : La formation de l'univers

    Les astéroïdes ayant été formés par les mêmes phénomènes cosmiques que les planètes rocheuses, l’étude des fragments tombés sur Terre fournit de précieux indices sur les premières heures de sa formation.

    « Nous n’irons jamais au centre de la Terre […] donc c’est une de nos sources de renseignements sur son évolution interne », ajoute la responsable de collection. 

    La deuxième famille de météorites est issue d’astéroïdes formés plus tard, une fois les noyaux radioactifs spatiaux partiellement consommés. Le mélange de silicate et de métal ne pouvant plus être fondu, ils restent intimement associés.

    « Ces corps-là, globalement, ont une composition assez semblable au disque protoplanétaire qui a donné naissance à notre planète ou même à notre soleil ! » s’enthousiasme la chercheuse. « Ils nous renseignent sur l’origine du système solaire et la formation de notre soleil. […] C’est ce que l’on appelle des chondrites ou météorites primitives. Il s’agit de la majorité des météorites qui tombent sur Terre […] et c’est le cas de la météorite qui a été retrouvée. »

     

    UN EXEMPLE DE SOLIDARITÉ SCIENTIFIQUE

    Afin de percer les secrets de la météorite, de nombreux tests ont été menés sur les fragments retrouvés. Ainsi, dès sa découverte, le morceau retrouvé par Lois Leblanc-Rappe a été envoyé à Bratislava, dans un laboratoire spécialisé.

    « [Le caillou va être examiné] par un détecteur gamma qui va compter les décroissances radioactives de noyaux radioactifs qui ont été formés par le voyage interplanétaire », explique la Dr. Brigitte Zanda. « Quand ils ont voyagé assez longtemps, les astéroïdes arrivent à ce qu’on appelle un équilibre séculaire : ce qui rentre est égal à ce qui est émis. Quand le caillou tombe au sol, il arrête d’être irradié et ses noyaux radioactifs comment à décroître. Certains ont des périodes longues, d’autres de moins de quelques jours. »

    C’est dans l’espoir de pouvoir observer ces noyaux à dégradation rapide que le premier fragment a immédiatement été envoyé à l’analyse. À la clé, des informations particulièrement précieuses sur la durée de son voyage spatial et sur la géométrie de son astéroïde d’origine. En effet, selon le niveau de radioactivité de la météorite, les scientifiques peuvent déterminer si elle était plus ou moins enfouie dans l’astéroïde. 

    Ainsi, la comparaison des niveaux gamma de chaque fragment permet de les positionner les uns par rapport aux autres. En les corrélant aux données GPS des lieux de chaque trouvaille, il est alors possible d’affiner les modèles de répartition des éclats. Ces derniers permettent ensuite aux chercheurs de les trouver plus efficacement lors des crashs suivants, d’où l’importance d’en retrouver un maximum.

    Comprendre : la Terre

    La directrice de la collection de météorites du Muséum d’Histoire naturelle précise néanmoins que peu importe son niveau d’irradiation, les radiations émises par la météorite sont inoffensives pour les personnes ayant interagi avec le caillou.

    « L’avantage dans ce cas est que l’astéroïde a été vu avant [son crash]. Nous avons des informations sur sa taille et sa forme », ajoute l’astronome. « Nous avons donc une idée de comment il était et de ce qu'il en reste. Il y a donc beaucoup d’études physiques qui peuvent être faites. »

    L’évènement, particulièrement rare, a également suscité un grand enthousiasme au sein de la communauté scientifique. La chute de météorites fraîches et la découverte de leurs fragments dans des temps aussi courts constituent un évènement.

    « C’est assez exceptionnel de voir la vague de collaboration que cette météorite a entraîné, » explique le Dr. Zanka. « Tout le monde a offert son aide spontanément à son niveau, de la préparation des échantillons à l’utilisation de matériel. »

    « Selon les statistiques, d’après les météorites qui ont été retrouvées, il n'y a qu'un impact retrouvé tous les dix ans sur le sol français », explique Sylvain Bouley. « Pour une raison que l’on ignore, les impacts étaient beaucoup plus nombreux au 19e siècle mais il faut aussi prendre en compte qu’à l’époque, les gens étaient beaucoup plus souvent dehors et le travail agricole se faisait plus près du sol. »

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