Avant d'explorer l'espace, nous avons tenté de le peindre
En 1939, l'artiste Charles Bittinger a imaginé des mondes auxquels nous n'avions pas encore accès, avec parfois une précision étonnante.
La semaine dernière, lorsque la sonde spatiale New Horizons de la NASA a survolé l'objet le plus lointain jamais observé à plus de quatre milliards de kilomètres, la communauté scientifique internationale a célébré cette visite spatiale, la plus lointaine que les Hommes aient jamais effectuée à ce jour. La sonde a pris de nombreuses photos de sa cible.
Mais bien sûr, aucun être humain n'était réellement là pour documenter ce moment important de l'exploration spatiale. Alors, à quoi cette rencontre lointaine pouvait-elle ressembler ? C’est le genre de questions que posent les astronomes depuis qu’ils ont commencé à étudier le ciel, une question à laquelle les artistes - avec leurs pinceaux, leurs tubes de peintures, leurs connaissances scientifiques et leur imagination - tentent de répondre depuis des siècles.
En juillet 1939, le magazine National Geographic a publié un article intitulé « News of the Universe », pour lequel l'artiste Charles Bittinger fut chargé de créer une série de peintures permettant à nos lecteurs de visualiser l'espace extra-atmosphérique. À l'époque, les télescopes étaient suffisamment avancés pour révéler les détails de la lune, mais il faudrait attendre encore 30 ans avant qu'un humain y pose le pied. Aucun satellite n'avait été lancé au moment de la publication de l'article.
Les Hommes n'avaient pas encore commencé à explorer l’espace, et pourtant ces peintures illustrent bien ce que les scientifiques avaient déjà compris. Dans la peinture de la Terre vue depuis la Lune, par exemple, les crêtes de ses cratères sont surélevées, ce que Bethany Ehlmann, spécialiste en sciences planétaires, considère comme « techniquement correct ». Dans une autre peinture, Bittinger dépeint la façon dont la lumière disperse les couleurs. Cela peut sembler incongru dans cette série, mais « Bittinger a estimé qu'il était important de l'illustrer pour s'assurer que les lecteurs comprennent l'importance du principe [de dispersion] et son lien avec les autres peintures», explique Jason Treat, rédacteur graphique principal de National Geographic.
Selon un encadré de l'article original, Bittinger « combinait un sens fin des valeurs de couleurs et de composition artistique avec un effort minutieux pour atteindre une précision scientifique ».
Cela fait écho chez Dana Berry, illustratrice scientifique basée à Los Angeles. Bien que Berry utilise un logiciel 3D et Photoshop pour décrire l’astronomie plutôt que les pinceaux utilisés par Bittinger, l’intersection entre la science et la créativité demeure essentielle.
« Je me demande dans quelle mesure Bittinger s'est attaqué au monstre à trois têtes auquel tout le monde est confronté lorsqu'il fait une illustration scientifique », dit Berry. « Chaque image est la résolution d'un conflit entre pédagogie, crédibilité et dramaturgie. »
Julia Christensen, de la NASA, travaille en Californie sur un projet qui consistera à envoyer des œuvres d'art à bord d'un vaisseau spatial à Proxima b, une exoplanète située à 4,2 années-lumière de la Terre. Les peintures de Bittinger, dit-elle, reflètent le dialogue crucial entre la recherche scientifique et les arts visuels.
« De tels tableaux publiés en 1939 - au début de la Seconde Guerre mondiale et quelques années seulement avant que les États-Unis ne réalisent leur premier passage de la ligne Kármán dans l'espace extra-atmosphérique - ont certainement eu une incidence sur la vision des scientifiques qui ont poursuivi les objectifs spatiaux [qu'ils s'étaient fixés]. »
Mais que Bittinger, décédé en 1970, disait-il de sa mission ? « En élaborant les peintures qui accompagnent cet article », déclarait-il dans l'encadré, « je me suis rendu compte plus que jamais que l'astronomie était le plus grand monument de l'intelligence humaine, qui a exploré les profondeurs infinies de l'espace sans rien de plus tangible que de fragiles vagues de lumière ».