Ces météorites proviennent d’un des plus grands volcans du système solaire

Des astéroïdes éjectés du cratère Tooting suite à un impact survenu il y a plus d’un million d’années permettent aux scientifiques de reconstituer le passé tumultueux de la planète Mars.

De Robin George Andrews
Publication 23 nov. 2021, 17:00 CET
Martian Meteorites

Sur cette carte topographique, les couleurs distinguent les différentes tailles de cratère à la surface de Mars. Des chercheurs ont identifié quelque 90 millions de petits cratères d’impact et ont réussi à dater différentes régions géologiques de la planète rouge ainsi qu’à faire remonter l’origine d’un groupe de météorites à un cratère en particulier.

PHOTOGRAPHIE DE Lagain et al. 2021, Nature Communications

Il y a un million d’années environ, un astéroïde s’est écrasé sur la surface d’ordinaire tranquille de Mars. L’impact a créé une fontaine de débris. Certains fragments de roche ont été propulsés dans le ciel et se sont affranchis de la gravité de la planète pour aller s’enfoncer dans la nuit cosmique.

Certains de ces fragments ont trouvé la Terre sur leur trajectoire. Ils ont survécu à leur entrée dans l’atmosphère et ont heurté la surface. Parmi eux, on trouve notamment un gros éclat de près de sept kilos qui s’est écrasé au Maroc en 2011. Ces dizaines de rochers venus du ciel, qu’on regroupe sous le nom de « shergottites appauvries », représentent une fraction intrigante des quelque 317 météorites d’origine martienne qu’on a recouvrées à ce jour sur Terre.

Il est crucial de savoir précisément de quel endroit de Mars ces météorites proviennent afin de pouvoir reconstituer l’histoire de la planète rouge ; mais c’est un défi scientifique sans commune mesure. On a récemment appris qu’avec l’aide d’un programme d’apprentissage automatique de dénombrement des cratères d’impact, une équipe de chercheurs avait peut-être réussi à percer le mystère des shergottites appauvries. Leur conclusion : ces projectiles géologiques proviendraient d’un seul et unique cratère situé au sommet de Tharsis, plus grande formation volcanique du Système solaire.

Cet ancien béhémoth volcanique est parsemé de milliers de volcans uniques et occupe une aire trois fois supérieure à celle des États-Unis et soixante fois supérieure à celle de la France. Il s’est formé durant des milliards d’années par l’action d’innombrables injections de magma et coulées de lave. Il est si lourd qu’en se formant il a fait basculer l’axe de rotation de Mars de 20 degrés.

Comprendre : Mars

S’il s’avère que ces météorites viennent de Tharsis comme le suggère l’analyse publiée dans Nature Communications, cela voudra dire que les chercheurs sont en possession de météorites susceptibles de nous permettre d’identifier les forces infernales qui sont à l’origine de cette structure géologique capable de faire chanceler un monde.

« Cela pourrait vraiment bouleverser ce que nous savons de Mars », déclare Luke Daly, spécialiste des météorites de l’Université de Glasgow n’ayant pas pris part aux recherches décrites.

 

INDICES MÉTÉORITIQUES

La plupart des météorites martiennes appartiennent à la catégorie des shergottites, du nom de la ville indienne de Sherghati où l’on en a vu chuter du ciel en 1865. Les shergottites sont des roches volcaniques de composition semblable mais une poignée d’entre elles, les shergottites appauvries, possèdent une signature chimique étrange.

Sur Mars, certains éléments tels que le néodyme et lantane n’aiment pas s’accrocher aux minéraux du manteau, la couche à la fois solide et molle située sous la croûte. Les shergottites appauvries ne possèdent pas ces éléments (d’où l’adjectif « appauvries »), ce qui tend à prouver qu’elles proviennent du manteau martien.

Mais comment ces roches se sont-elles retrouvées assez près de la surface pour pouvoir être éjectées ? Sur Terre, les roches mantelliques peuvent se frayer un chemin jusqu’à la surface de deux manières : soit lorsque deux plaques tectoniques se séparent et font remonter le manteau, soit lorsqu’un panache, une fontaine de roche mantellique ardente, remonte des profondeurs. Mars semble n’avoir jamais eu de plaques tectoniques. L’hypothèse du panache mantellique est donc la plus vraisemblable.

Les chercheurs savent également que les roches proviennent toutes d’un site volcanique relativement jeune (possiblement d’un empilement de dépôts de lave) et ce grâce à la radioactivité de certains éléments contenus dans les météorites.

Si ces roches volcaniques proviennent toutes du même impact, alors celui-ci a dû être assez important et laisser un cratère d’au moins trois kilomètres de diamètre (quoiqu’il soit probablement bien plus vaste). Il faut également que le cratère ait plus de 1,1 millions d’années. En effet, les rayons cosmiques qui ont bombardé et modifié la surface des météorites au fil du temps indiquent combien de temps ils ont passé dans l’espace après l’impact.

Mais même en possession de tous ces indices, il a été extrêmement difficile d’identifier l’origine précise de ces fragments de roche martienne. Ce sont de petits fragments issus d’un puzzle gigantesque : sans informations sur l’aspect de leur environnement d’origine, il est quasiment impossible de les replacer à quelque endroit de la planète que ce soit.

« En tant que géologues, nous enregistrons des montagnes d’informations concernant l’endroit où nous récoltons les échantillons de roche parce que le contexte est important », explique Áine O’Brien, doctorante s’intéressant aux météorites martiennes à l’Université de Glasgow. « Dans le cas des météorites martiennes, comme nous ignorons le contexte, nous devons faire preuve d’une logique imparable pour déduire les circonstances dans lesquelles elles se sont formées », ajoute celle qui n’a par ailleurs pas pris part aux recherches.

Et pour faire preuve d’une logique imparable, les chercheurs ont utilisé un outil qu’on utilise depuis peu dans le domaine de la planétologie : l’apprentissage automatique, ou machine learning.

 

UN CRATÈRE DANS UNE BOTTE DE FOIN

La seule façon d’établir avec certitude l’âge de la surface d’une planète est d’en prélever un échantillon matériel et d’étudier ses composés radioactifs. Mais en attendant que la mission Mars Sample Return de la NASA et de l’ESA nous rapporte des échantillons immaculés en 2030, les chercheurs doivent se rabattre une technique de dénombrement des cratères d’impact.

Sur Terre, les vents violents, les courants aquatiques, les éruptions de lave et le foisonnement de la vie ont tôt fait de lisser les cratères dus à des impacts anciens. Mais ce n’est pas le cas sur Mars, qui est un monde géocomateux où les vents sont faiblards et où l’eau est inexistante en surface. Les cratères importants y demeurent intacts pendant des centaines de millions d’années, voire même pendant des milliards d’années. Si on parvenait à déterminer le taux d’impacts au fil du temps, on pourrait donc déduire qu’une surface ayant plus de cratères est plus ancienne qu’une surface qui en compte moins.

Mais les chercheurs ont d’autres tours dans leur manche pour déduire l’âge d’un cratère. « Quand un astéroïde s’écrase à la surface, un paquet de débris sont éjectés », explique Anthony Lagain, astrogéologue de l’Univesité Curtin et auteur principal de cette nouvelle étude. Les éclats qui retombent sur Mars frappent la surface et produisent de petits cratères secondaires tout autour du cratère principal. Mais même sur Mars, ces cratères secondaires finissent par subir l’érosion du vent au bout de quelques millions d’années. Tout cratère important entouré de cratères secondaires est donc forcément très récent dans l’histoire de la planète.

« Pour que la datation soit plus précise, il faut des cratères de plus en plus petits », indique Gretchen Benedix, astrogéologue de l’Université Curtin et co-autrice de l’étude. Les impacts plus petits sont plus fréquents que les grands. On peut donc établir des chronologies plus détaillées en comparant les différences infimes entre les petits cratères de deux zones différentes.

Pour s’assurer qu’au moins un cratères avait bien 1,1 million d’années, l’équipe a dû cataloguer les petits cratères de Mars et les étudier minutieusement pour en dater la surface. Faire cela manuellement aurait été atroce. À la place, ils ont fait traiter des images satellites par un programme d’apprentissage automatique et l’ont entraîné à identifier les cratères mesurant moins d’un kilomètre.

D’après Kosta Servis, expert en mégadonnées de l’Université Curtin et co-auteur de l’étude, le programme en a très vite identifié 90 millions. Une fois cette chronologie des cratères établie, l’équipe a pu commencer à mieux définir l’origine possible des shergottites appauvries.

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    Après avoir passé en revue les données, l’équipe a mis le doigt sur dix-neuf cratères martiens entourés d’une multitude de cratères secondaires (signe encourageant quant à la jeunesse de de ces cicatrices planétaires), parmi lesquels se trouvait peut-être le cratère de 1,1 millions d’années qu’ils recherchaient. Grâce à leur catalogue de 90 millions de petits cratères, ils ont ensuite pu dater précisément les couches de débris s’étant répandues à partir des cratères plus grands.

    L’âge de certains de ces cratères correspondait à ce qu’ils recherchaient mais ce n’était pas suffisant. Il fallait en plus que l’âge de la formation géologique environnante corresponde à l’âge des minéraux découverts dans les météorites. Pour en avoir la certitude, l’équipe a de nouveau mobilisé son catalogue de cratères afin de dater les plaines volcaniques.

    Sur ces dix-neuf cratères, seuls deux ont vu le jour grâce à des dépôts volcaniques dus à un impact survenu il y a 1,1 millions d’années : le cratère 09-00015 et le cratère Tooting. Il semble que ce dernier (qui doit son nom à un district londonien) doive sa formation à un impact oblique vigoureux (le type de collision susceptible de propulser une grande quantité de météorites dans l’espace).

    « Le cratère Tooting se compose d’un type particulier de téphras superposés qui indiquent qu’il y avait de la glace ou de l’eau dans les parages à l’époque de l’impact », détaille Peter Grindrod, planétologue du musée d’histoire naturelle de Londres n’ayant pas pris part à l’étude. Les simulations d’impact montrent que la glace et l’eau peuvent générer davantage de débris, dont beaucoup peuvent se retrouver dans l’espace pourvu qu’on leur impulse assez d’élan.

    C’est grâce à tous ces indices que l’équipe a réussi à dénicher le monstre à l’origine des shergottites appauvries : le cratère Tooting, qui mesure 30 kilomètres de diamètre. « C’est un exposé bien construit, approuve Luke Daly. Tout cela a l’air de coller. »

    Les chercheurs n’excluent pas complètement le cratère 09-00015, le principal étant selon Peter Grindrod que ces deux cratères « se trouvent dans la région de Tharsis, où soit un point chaud important soit un super-panache ont entraîné la formation de ce renflement gigantesque à la surface de Mars ». Même si on ne sait pas duquel des deux cratères les météorites proviennent, elles peuvent nous en apprendre plus sur l’histoire cette région volcanique, qui est la plus vaste de Mars.

    Grâce à la méthode du dénombrement de cratères d’impact, on sait désormais que certaines formations du renflement de Tharsis sont apparues il y a plus 3,7 milliards d’années. Mais les shergottites appauvries sont bien plus récentes. Elles n’ont que quelques centaines de millions d’années. Cela tend à montrer que le super-panache de Tharsis est presque aussi ancien que la planète Mars elle-même et qu’il a continué à produire du magma longtemps après l’extinction des autres foyers volcaniques de la planète.

    À l’instar des panaches terrestres, ceux de Mars ont façonné l’évolution de la surface de la planète rouge et propulsé d’énormes volumes de gaz qui ont bouleversé la composition de son atmosphère ainsi que sa topographie. Le super-panache de Tharsis a vraisemblablement eu une influence quasi continue sur le développement de Mars.

    Cette période d’éruptions fréquentes et prolifiques est révolue depuis belle lurette. Mais le volcanisme prolongé de Tharsis donne à penser que même les petites planètes, celles dont la chaleur interne est censée avoir disparu il y plusieurs éons, peuvent rester actives bien plus longtemps qu’on le croyait.

     

    LES CRATÈRES D'AUTRES MONDES À PORTÉE

    Portée par sa découverte, l’équipe d’Anthony Lagain voudrait identifier le cratère d’origine d’autres météorites martiennes, notamment celui de certains des plus anciens astéroïdes qui nous soient parvenus, afin de lever le voile sur le passé aquatique de Mars.

    Les succès scientifiques à venir, autant que les conclusions de cette étude, dépendent de la fiabilité du programme de machine learning. Le dénombrement des cratères d’impact comporte maintes difficultés : par exemple, le taux d’impacts au fil du temps n’est qu’une estimation et certaines petites formations circulaires qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux cratères peuvent potentiellement tromper un programme informatique.

    L’apprentissage automatique « est une façon vraiment inventive d’aborder ce problème », affirme Lauren Jozwiak, géo-volcanologue du laboratoire de physique appliqué de l’Université John Hopkins n’ayant pas pris part aux recherches. « Eh ben, j’espère que cette méthode va fonctionner », clame-t-elle, parce que si c’est le cas, « ce sera vraiment sympa de l’appliquer à d’autres planètes. »

    Les auteurs de l’étude rejoignent son avis. « Mars, c’est super, déclare Gretchen Benedix. Mais cet algorithme et cette méthodologie ne sont pas seulement applicables à Mars. C’est bon pour la Lune. C’est bon pour Mercure. »

    S’il s’avère que l’apprentissage automatique a permis de résoudre cette vieille énigme météoritique, alors un champ des possibles qu’on n’envisageait même pas va s’ouvrir. « On est sans doute seulement en train de commencer à s’apercevoir des implications du machine learning pour le domaine de la planétologie », assure-t-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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