Chercheuses d'étoiles : ces femmes ont révolutionné l’astronomie

Dans un contexte qui ne leur faisait pas beaucoup de place, ces chercheuses d’étoiles sont tout de même parvenues à faire progresser la science.

De Manon Meyer-Hilfiger
Publication 27 déc. 2024, 16:11 CET
Henrietta Swan Leavitt (1868-1921) astronome américain troisième à partir de la gauche avec ses collègues scientifiques ...

Henrietta Swan Leavitt (1868-1921) astronome américain troisième à partir de la gauche avec ses collègues scientifiques à l'Observatoire du Harvard College en 1890

PHOTOGRAPHIE DE Pictorial Press Ltd / Alamy Banque D'Images

Henrietta Levitt n’a jamais répondu au courrier qui lui annonçait sa sélection pour le prix Nobel de physique de 1925. Rien de très surprenant : cette remarquable astronome était décédée quatre ans plus tôt des suites d'un cancer. C’est peut-être l’anecdote qui résume le mieux sa vie. Henrietta Levitt était aussi brillante qu’effacée. La nouvelle de sa mort ne s’était pas ébruitée. Pourtant, travailleuse acharnée, disciplinée et modeste, elle a, sans fanfaronnade ni vantardise, complètement révolutionné notre compréhension de l’Univers. « Grâce à elle, nous avons pu déterminer que notre galaxie est immense et que le système solaire n’en est pas au centre. Nous avons aussi compris que l’Univers est en expansion » explique l’astrophysicienne Yaël Nazé, autrice d’un livre dédié aux grandes découvertes des femmes astronomes, L’astronomie au féminin.

À l’origine de ces révélations, une méthode qui permet de mesurer les distances dans ces régions inaccessibles. Employée par l’observatoire astronomique d’Harvard, aux États-Unis, Henrietta Levitt était chargée de décortiquer et de classer les données récoltées. Elle devait son poste à un vieux préjugé : les femmes seraient naturellement douées pour les tâches répétitives et fastidieuses. Elles coûtaient aussi bien moins cher que les hommes... Henrietta, au fil de son travail routinier, buta sur cette énigme : est-ce qu’un astre donné est un phare très loin mais très brillant, ou une petite lanterne très proche ?

L’astronome finit par trouver la solution. D’abord, elle découvrit des étoiles clignotantes. Or elle savait que toutes ces étoiles étaient à peu près à la même distance de la Terre, car elles se trouvaient dans le petit nuage de Magellan. Si une étoile est plus brillante qu’une autre, c’est donc que sa luminosité intrinsèque est plus forte et non qu’elle est plus proche de la Terre. Henrietta observa cette règle : plus une étoile clignote lentement, plus elle est lumineuse. Grâce à cette découverte, on peut désormais arpenter l’Univers. En fonction de la vitesse de clignotement de l’astre, on peut déduire la luminosité intrinsèque de l’étoile, la comparer avec la luminosité perçue depuis la Terre, et donc, in fine, connaître la distance de l’astre avec notre planète.

C’est donc une révélation absolument colossale, à la base de nombre de nos connaissances spatiales actuelles. « Et pourtant, on ne nomme pas cette loi du nom de sa créatrice, comme on l’a fait pour les lois de Kepler ou Newton. C’est simplement la "relation période-luminosité". Avait-on peur de remercier le deuxième sexe ? » s’interroge Yaël Nazé.

 

AU 5e SIÈCLE AV. J.-C.,  AGLAONIKE COMPREND LES ÉCLIPSES DE LUNE

Depuis l’Antiquité, les femmes s’intéressent aux astres. Voilà plus de 5000 ans, la princesse En-Hedu-Ana dirigeait les observatoires babyloniens. Au 5e siècle av. J.-C., la Grecque Aglaonike comprit le mécanisme des éclipses lunaires. Elle devint capable de prédire ces évènements, au grand étonnement (et à la grande frayeur) de ses contemporains. Mais globalement, « les femmes de science n'étaient pas nombreuses dans l’Antiquité. » Il est vrai qu’Aristote lui-même affirmait que les femmes étaient des êtres inférieurs, sans logique ni intelligence. Cette opinion était largement répandue, et la situation ne s’améliora guère au Moyen-Âge et à la Renaissance. Les universités qui commencèrent à fleurir en Europe excluaient les femmes. Celles ayant acquis quelques connaissances étaient souvent pourchassées, ou même condamnées à mort pour sorcellerie. 

Au 19e siècle, des études prétendument scientifiques tentèrent même de prouver que l’éducation nuisait aux femmes : le Dr Edward Clark de l'université d'Harvard "démontra" ainsi que le développement intellectuel des femmes se faisait au détriment de leurs organes reproducteurs » souligne ainsi Yaël Nazé dans son livre. Des femmes, donc, écartées des cercles scientifiques, ou alors qui parvenaient à accéder à ces connaissances en entrant par la petite porte, souvent comme assistantes de leur frère ou de leur mari... Mais elles n’avaient pas toujours la garantie d’être citées. L’Allemande Maria Margarethe Winkelman Kirch (1670-1720), éduquée aux secrets des astres par son père, participa ainsi aux recherches de son époux astronome. Elle découvrit, seule, une comète en 1702... mais son travail parut sous le nom de son mari.

COMPRENDRE : Les étoiles

Le vent commença à tourner au cours du 19e siècle. Aux États-Unis, les premières universités pour femmes, souvent dotées de départements d’astronomie, virent le jour. Considérées comme dociles et bon marché, elles étaient peu à peu employées dans les observatoires. Mais on leur confiait surtout les tâches les plus ennuyeuses, et on les invitait toujours à privilégier le mariage et la famille.

 

NOUS SOMMES TOUS ET TOUTES DE LA POUSSIÈRE D’ÉTOILES 

C’est dans ce contexte qu’au milieu du 20e siècle, Margaret Burbidge, en compagnie de son mari, le physicien Geoffrey Burbidge et de ses amis Fred Hoyle et William Fowler, fit une découverte capitale. Cette équipe a scientifiquement démontré que nous sommes tous et toutes de la poussière d’étoiles. L’oxygène que l’on respire, l’or de nos lingots, le fer de nos bâtiments, le calcium de nos os...Tout cela vient des astres.

Mais avant d’en arriver à cette conclusion poétique et révolutionnaire, Margaret Burbidge a dû franchir nombre d’obstacles liés à son genre. Difficile, malgré ses études, de trouver mieux qu’un poste d’assistante. L’observatoire du Mont Wilson, aux États-Unis, refusa même de la laisser utiliser leur télescope car elle était une femme ! Dommage, leur outil était très bien placé… Il aurait été idéal pour ses recherches. Mais elle n’avait pas dit son dernier mot. Des années plus tard, son mari obtint le droit d’utiliser ce télescope et emmena Margaret avec lui. Elle travailla, officiellement, comme assistante. Même dans ce cas, le directeur eut du mal à tolérer sa présence. Il tenta de l’empêcher de venir, soulignant que les femmes étaient normalement interdites dans son observatoire, et qu’en plus, il n’y avait que des toilettes pour hommes. Qu’importe. Margaret observait les étoiles et décortiquait les données. Son mari et leurs amis se penchèrent sur les réactions entre les composés chimiques des astres... C’est ainsi qu’ensemble, ils comprirent que la matière qui nous entoure venait des étoiles.

Une étoile est, au départ, un simple nuage de gaz dans l’espace. À cause de la gravité – la loi selon laquelle un objet massif attire un autre objet massif – la bordure de ce nuage de gaz est attirée vers son centre. Au bout d’un moment, le nuage finit par s’effondrer sur lui-même... et devient une véritable fournaise ! Cette chaleur et cette pression déstabilisent tous les atomes. Résultat : ils s’assemblent entre eux pour en former de nouveaux. Comme dans un grand jeu de Lego où l’on associe des briques ! L’hydrogène sert alors de base à la formation de l’hélium (quatre « briques » d’hydrogène forment une « brique » d’hélium), qui sert à son tour à fabriquer le carbone, l’oxygène, le fer, l’or… Au bout d’un moment, il n’y a plus de réaction chimique dans l’étoile. Sans cette énergie, l’astre perd son équilibre. La gravité gagne, l’étoile s’effondre, implose, et projette dans l’espace tous ces précieux composés chimiques. C’est ainsi que la Terre et ses habitants sont nés.

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    The witch’s trial (1848), huile sur toile par William Powell Frith.

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    PHOTOGRAPHIE DE William Powell Frith / Wikicommons

     

    BUG COSMIQUE

    Parmi toute cette poussière d’étoiles devenue matière, l’astronome américaine Vera Rubin se distingua. C’est elle qui, au cours du 20e siècle, révéla l’existence de la matière noire. Non sans devoir franchir au passage les obstacles classiques dans la carrière d’une femme astronome : elle déclina un poste à Harvard pour rester proche de son mari, et dut abandonner son rêve d’étudier à Princeton. La prestigieuse université n’accepta les femmes en doctorat qu’à partir de 1975.

    Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle mena ses recherches dans d’autres facultés américaines... et se passionna pour un grand mystère : pourquoi les étoiles qu’elle regardait se déplaçaient-elles si vite ? Normalement, selon la loi de la gravité, tous les objets massifs s’attirent entre eux. Plus un objet est éloigné du centre de gravité, plus il se déplace lentement.

    Mais cela ne collait pas avec ce qu’observait Vera Rubin : les étoiles éloignées filaient à toute vitesse ! D’autres objets devaient jouer un rôle. C’est la « matière noire », invisible, indétectable, qui attire ces étoiles sans qu’on ne la voie. Déjà théorisée par l’astronome Fritz Zwicky dans les années 1930, cette « matière noire » était tombée dans l’oubli. Les conclusions du scientifique étaient trop imprécises pour que la communauté scientifique ne s’y intéresse. Vera Rubin changea la donne. Elle étudia plusieurs centaines de galaxies et mit en lumière cet immense bug dans nos théories cosmiques. « Auparavant, personne ne se souciait de cette anomalie. Les astronomes pensaient que la matière visible prédominait dans l’Univers. Il fallut la persévérance de Vera Rubin pour que l’on change de paradigme » souligne Yaël Nazé. Reste une énigme, et non des moindres. Personne n’a encore compris ce qu’est cette matière noire.

    Est-ce une femme astronome qui trouvera la solution ? Pas sûr. Certes, la société a bien progressé depuis le 19e siècle. Mais c’est loin d’être parfait. « Si les filles représentent près de la moitié des étudiants sur les bancs universitaires européens, les proportions diminuent ensuite, jusqu’à atteindre un quart seulement en fin de carrière académique » note Yaël Nazé. Entre famille et carrière, les femmes sont souvent sommées de choisir. « Un diplôme de doctorat s’obtient en général vers l’âge de 26-28 ans, et est suivi d’une période postdoctorale précaire, de préférence passée le plus loin possible du laboratoire d’origine. Les scientifiques, astronomes comprises, ne peuvent donc espérer un poste fixe que très tard » poursuit l’astrophysicienne. Et les clichés sur la gente féminine persistent. « En 2005, le président de l’université d’Harvard a suggéré que les femmes réussissaient moins bien en sciences à cause de leurs gènes ! » s’insurge Yaël Nazé. « Pourtant, dans ces domaines, les filles réussissent les tests tout aussi bien que les garçons. Or, ne pas profiter des talents de certaines scientifiques, c’est un gâchis dont on peut se passer. »

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