Comment les photos du programme Apollo ont-elles pu être développées dans l'espace ?

Afin de trouver des lieux sûrs où faire atterrir les astronautes des missions Apollo, la NASA a conçu cinq satellites de recherche équipés de technologies secret-défense.

De Theresa Machemer
Les sondes Lunar Orbiter n’ont pas seulement pris des clichés des futurs sites d’atterrissage pour les ...
Les sondes Lunar Orbiter n’ont pas seulement pris des clichés des futurs sites d’atterrissage pour les missions Apollo : elles ont aussi pris de nombreuses photographies incroyables, notamment des détails de la face cachée lunaire, et prélevé des données relatives à la gravité et aux radiations sur la Lune.
PHOTOGRAPHIE DE Eric Long, Smithsonian National Air and Space Museum

Pour que Neil Armstrong puisse faire son premier pas historique sur la Lune, la NASA a dû déterminer avec exactitude où le vaisseau spatial de la mission Apollo 11 pouvait se poser en toute sécurité. Au début des années 1960, les cartes des Hommes représentant la surface lunaire se basaient sur des photographies prises depuis la Terre et les premiers satellites américains et soviétiques. Mais aucune de ces solutions n’était capable de rendre compte de la largeur et du détail nécessaires pour trouver des sites d’atterrissage libres d’énormes rochers et de cratères dangereux.

C’est pour cette raison que l’agence spatiale a lancé son programme Lunar Orbiter, une flotte de cinq satellites de la taille d’un van, presque identiques, envoyés dans l’espace pour cartographier la Lune en 1966 et 1967. Lunar Orbiter 3, qui a pris des photos du 15 au 23 février 1967, a confirmé l’existence de sites d’atterrissage sûrs pour le programme Apollo, faisant parvenir ses derniers clichés de la Lune avant que l’Homme ne pose ses bottes sur le sol lunaire.

Mais avant d’ère du numérique, envoyer des photos depuis l’espace à destination de la Terre était loin d’être simple. Toutefois, grâce à une ingénierie précise et quelques technologies de reconnaissance top-secrètes, les Lunar Orbiter ont délivré aux ingénieurs et aux scientifiques de la NASA les images dont ils avaient besoin pour rendre possible les atterrissages des missions Apollo.

 

UN ÉQUIPEMENT UNIQUE

Même si les Lunar Orbiter n’étaient pas les premiers satellites à prendre des photos de la Lune, l’équipement qu’ils transportaient les rendaient uniques.

« Ils ont tout simplement emprunté les appareils photo du programme satellite du département de la Défense des États-Unis », explique David Williams, responsable du Space Science Data Coordinated Archive de la NASA. À l’époque, dans le cadre du programme CORONA, connu du grand public sous le nom de Discoverer, le département de la Défense utilisait des appareils similaires pour prendre des photos satellite de l’Union Soviétique.

Chaque Lunar Orbiter était équipé de deux appareils photo, respectivement dotés d’un objectif haute et moyenne résolution. À la place du film standard 35 mm, les satellites utilisaient le format 70 mm, le même que celui qui sert aujourd’hui à faire des films IMAX.

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    De gauche à droite : Joe Moorman, Israel Tabakc, Calvin Broome et Cliff Nelson, tous travaillant ...
    De gauche à droite : Joe Moorman, Israel Tabakc, Calvin Broome et Cliff Nelson, tous travaillant pour la NASA, examinent l’appareil photo d’un Lunar Orbiter.
    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    À une distance minimale de plusieurs centaines de kilomètres de la surface de la Lune, les Lunar Orbiter ont capturé des caractéristiques mesurant moins d’un mètre. Mais l’utilisation de pellicules dans l’espace posait un problème majeur.

    « Une fois face à la Lune, vous pouvez prendre toutes les photos que vous souhaitez, mais il est impossible de rapporter la pellicule sur Terre pour la faire développer », souligne David Williams. « Ils ont donc dû inventer un système qui permettait de le développer à bord de la sonde. »

     

    DÉVELOPPER DES PHOTOS DANS L'ESPACE

    Pour développer des photos, il faut généralement faire tremper les négatifs dans une série de substances chimiques liquides. Loin d’être idéal dans un satellite en conditions de microgravité. À la place, les Lunar Orbiter utilisaient le système de transfert Kodak BIMAT, gardé secret par la CIA jusqu’en 2001 car il avait été principalement créé pour des missions de reconnaissance.

    Le film devait être déplacé en premier lieu de la bobine de stockage vers l’objectif, puis dans une zone d’entreposage en attendant que le reste des photos soient prises. Finalement, il accédait à l’étape de développement, où une couche de gélatine contenant des substances chimiques était appliquée sur le film. Le processus s’effectuait dans des tubes en aluminium de la taille de pastèques. La panne d’un seul moteur déplaçant le film, comme cela fut le cas avec Lunar Orbiter 3 après qu’il a capturé plusieurs centaines de clichés, pouvait suffire à compromettre la réussite d’une mission.

    Lancement de la fusée transportant Lunar Orbiter 3 depuis Cap Canaveral.
    Lancement de la fusée transportant Lunar Orbiter 3 depuis Cap Canaveral.
    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    Regarder l’intérieur d’un satellite Lunar Orbiter « donne un intéressant aperçu sur les relations entre les entités pendant la Guerre Froide », explique Matt Shindell, conservateur au Musée national de l’air et de l’espace de la Smithsonian Institution. « Vous y voyez l’ensemble du matériel de Eastman Kodak qui a été embarqué et l’appareil photo conçu par les services secrets, englobés dans le matériel de la NASA. »

    Pour envoyer les photos sur Terre, le programme CORONA prévoyait de faire tomber le film depuis l’espace dans des capsules équipées de boucliers thermiques qui les protégeaient au moment de l’entrée dans l’atmosphère, de propulseurs pour se diriger et se stabiliser, ainsi que de parachutes pour ralentir leur chute. Un avion chargé de leur récupération les attrapait en plein vol au niveau du parachute ; s’il n’y parvenait pas, un hélicoptère les ramassait alors sur l’eau. Mais plutôt que de recourir à cette méthode, la NASA a développé un système qui transmettait les clichés par signal radio.

    Sur les Lunar Orbiter, le film était placé devant un scanner. Ce dernier émettait une lumière qui traversait le film et enregistrait les niveaux de luminosité de chaque minuscule section qu’il mesurait. Les données étaient ensuite envoyées par signal radio aux centres de communication spatial de la NASA, situés en Espagne, en Australie et aux États-Unis, où les mesures étaient reçues sur des bandes magnétiques. Des processeurs d’images se servaient ensuite des chiffres pour reconstituer les expositions du film sur Terre, puis coller les bandes ensemble pour développer des photographies très détaillées.

    « Si vous prenez une loupe et que vous les regardez de très près, vous pouvez voir tout ce détail ; c’est vraiment incroyable », confie David Williams. « Il s’agissait d’une véritable prouesse pour le milieu et la fin des années 1960. »

     

    POUR LA SCIENCE

    Les lignes verticales du processus de reconstruction sont visibles sur quelques-uns des clichés obtenus, à l’instar de la célèbre photographie prise par Lunar Orbiter 1, qui montre la Terre s’élevant au-dessus de l’horizon de la Lune. Malgré la multiplication des théories affirmant le contraire, il est peu probable que la NASA ait manipulé la qualité des images avant de dévoiler les clichés au public.

    Sur ce célèbre cliché pris par Lunar Orbiter 1, la Terre « se lève » au-dessus ...
    Sur ce célèbre cliché pris par Lunar Orbiter 1, la Terre « se lève » au-dessus de la Lune.
    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    « Ils n’ont pas hésité à dévoiler ce qu’ils pensaient être des clichés représentatifs, pour montrer au public que le programme spatial américain était capable de faire ces choses formidables », souligne Matt Shindell. Tout au long de la mission, les images du programme Lunar Orbiter furent reprises dans les journaux et magazines du monde entier.

    « Bien qu’il s’agît de la course à l’espace et que la compétition était forte, il y avait toujours ce sentiment que c’était pour le bien des pays qui en était à l’origine, mais aussi de la science dans le monde », explique le conservateur.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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