George Lemaître, le prêtre à l'origine de la théorie du Big Bang

Allant à l’encontre de la théorie de l’univers stationnaire d’Einstein, Georges Lemaître est le premier à avoir mis le doigt sur presque toutes les caractéristiques du modèle d'univers qui semble aujourd'hui le plus valide.

De Morgane Joulin
Publication 5 juin 2024, 09:49 CEST
Robert A. Millikan, Georges Lemaître et Albert Einstein à l'Institut de technologie de Californie, janvier 1933.

Robert A. Millikan, Georges Lemaître et Albert Einstein à l'Institut de technologie de Californie, janvier 1933.

PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

En 2014, L'Agence Spatiale Européenne (ESA) a donné au cinquième véhicule ravitailleur de la Station Spatiale Internationale (ISS), le nom d'ATV-5 Georges Lemaître, pour rendre hommage à celui que l'on surnomme « le père de la théorie du Big Bang ». Qui était-il ? Et qu’a-t-il apporté à la communauté scientifique internationale ?

Né en Belgique à Charleroi en 1894, Georges Lemaître grandit dans une famille aisée. Il suivit des études secondaires dans un collège jésuite de Charleroi, et dès cette époque, il fut attiré par les sciences. « On voit déjà, dans sa correspondance de la Première Guerre, un intérêt pour la cosmologie », indique Dominique Lambert, physicien, philosophe, professeur à l'Université de Namur et membre de l'Académie royale de Belgique. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la vie de Georges Lemaître, notamment Un atome d’Univers, La vie et l’œuvre de Georges Lemaître

Il poursuivit des études de mathématiques et de physique à l’Université catholique de Louvain, interrompues par sa participation à la Grande Guerre de 1914. Il entra au séminaire à 26 ans, et rédigea en parallèle un mémoire sur La Physique d’Einstein, qu’il rencontra en personne à Bruxelles en 1927. Il passa ensuite par Cambridge en 1923 où il étudia l'astronomie et la relativité générale, puis fut reçu au Harvard College Observatory et au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il obtint une thèse sur le calcul du champ gravitationnel d'une sphère fluide de densité homogène.

 

L’HYPOTHÈSE DE L’ATOME PRIMITIF

C’est en 1927 qu’il découvrit ce que l’on appelle la loi Hubble-Lemaître, qu’il nommait à l’époque « hypothèse de l’atome primitif. » Ce modèle correspond au « Big Bang », termes ironiques lancés le 29 mars 1949 sur les ondes de la BBC par l'astrophysicien britannique Fred Hoyle, qui était resté accroché à l'idée d'un univers stationnaire, tout comme Einstein.

« Il introduit l'idée d'un modèle d'univers présentant un commencement naturel, une singularité initiale. L'univers pourrait avoir commencé par un état très dense rassemblant toute l'énergie-matière », explique Dominique Lambert. Aujourd'hui, on ne se représente plus les premiers moments de l'univers par un « atome primitif », mais plutôt par une « soupe » de particules et de rayonnements, d’après l’expert. Mais son intuition était tout de même correcte, car plus l’on remonte dans le temps, plus on observe un univers dense.

« Les galaxies lointaines nous fuient avec une vitesse (v) proportionnelle à leur distance (d) par rapport à nous, et cela de la même manière dans toutes les directions (v= H d) », résume Dominique Lambert. D’après lui, les recherches de Lemaître mettaient en lumière le fait que ce ne sont pas les galaxies qui bougent, mais l'univers qui, par son expansion, éloigne les galaxies. 

Georges Lemaître avait recueilli, lors de son séjour aux États-Unis en 1924-1925, toutes les données les plus en pointe sur les distances et les vitesses des galaxies (Hubble, Humansion, Slipher). Il eut l'idée de prendre un modèle d'univers de la relativité générale dans lequel l'univers est en expansion, et d'expliquer avec cela la loi v=Hd

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« Son modèle d'univers lui suggère qu'il doit rester un rayonnement datant des premiers moments de l'histoire de l'univers. » Il fut le premier, d’après l’expert, à avoir eu l’idée d’un « rayonnement fossile », mais s’est trompé sur sa nature. En effet, il pensait qu'il était composé de particules cosmiques, particules chargées à haute énergie, et non d'un rayonnement électromagnétique comme nous le savons aujourd'hui après la découverte du Fond Diffus Cosmologique par Penzias et Wilson en 1965. « Il défendait aussi l'idée que l'univers accélérait aujourd'hui », une accélération décrite par la constante cosmologique dans les équations d’Einstein. Il fut également l’un des premiers à contribuer à la théorie des trous noirs.

Georges Lemaître était aussi passionné de calcul. Il a, selon Dominique Lambert, « introduit le premier calculateur de l'Université catholique de Louvain en 1958 », qu'il avait programmé lui-même avec un langage de programmation qu'il avait inventé.

In fine, il a découvert « presque toutes les caractéristiques du modèle cosmologique qui est le mieux vérifié aujourd'hui (univers en expansion, passé très dense, peut-être une singularité initiale, rayonnement fossile, accélération actuelle de l'univers (liée à l'énergie noire)). » 

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    SCIENCES ET FOI 

    Prêtre catholique à la foi profonde, Georges Lemaître rejetait le concordisme, c’est-à-dire l’exégèse des textes bibliques telle qu’ils soient en accord avec les connaissances scientifiques. « Il considérait que science et foi sont "deux chemins vers la vérité", légitimes, mais que l'on ne peut absolument pas mélanger, car il s'agit de deux approches différentes », explique Dominique Lambert. « Sa vie avait une grande unité : c'était le même homme qui décrivait l'univers par la physique (qui ne donne pas accès au sens), et qui d'autre part, lui conférait un sens en méditant le contenu de sa foi chrétienne. » 

    Il s'opposait donc à tout argument voulant démontrer l'existence de Dieu à partir du Big Bang. D’après Dominique Lambert, le prêtre refusait la confusion entre « singularité initiale », qu’il nommait « commencement naturel », à savoir l'état initial de l'histoire de l'univers parfaitement décrit par la physique, et « la création » au sens métaphasique et théologique, entendez la relation par laquelle Dieu pose le monde dans son existence par un acte qui n'est descriptible par aucune cause de la physique, puisqu'il est ce par quoi les causes de la physique vont exister. « Lemaître disait souvent "j'ai trop de respect pour Dieu que pour le transformer en une hypothèse de la physique" ou encore "je préfère le Dieu caché". »

    Ce courant de pensée était « tout à fait traditionnel », selon Lambert, puisque Thomas d'Aquin, dont Georges Lemaître avait étudié la pensée à l’Institut Supérieur de Philosophie à Louvain en 1919, « distinguait très nettement le commencement et la Création. »

    Du côté de l’Église, les découvertes de Georges Lemaître n’ont jamais posé de problème. « Il a toujours été estimé des papes Pie XI, Pie XII, Jean XXIII et Paul VI », dévoile Dominique Lambert. Il fut nommé à l'Académie pontificale des sciences dès sa création en 1936, et il en fut le président en 1960, recevant à cette occasion le titre de prélat

     

    UN MANQUE DE RECONNAISSANCE

    Les membres de l’Union astronomique internationale (UAI) ont voté en octobre 2018 pour recommander de renommer cette célèbre loi Hubble en loi Hubble-Lemaître. En effet, auparavant, cette théorie était simplement appelée « loi Hubble », en référence à Edwin Hubble, un astronome américain qui publia en 1929 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, une célèbre revue scientifique pluridisciplinaire américaine, un travail sur l’expansion continue de l’univers, en se basant sur la vitesse d’éloignement de plusieurs galaxies. 

    Deux ans avant, en 1927, Georges Lemaître expliquait déjà cette loi. Pourtant, l’ecclésiastique a souffert pendant longtemps d’un certain manque de reconnaissance dans le milieu scientifique. En cause, l’usage du français dans ses travaux, lorsque l’anglais était déjà la langue référence dans le milieu de la recherche.

    D’après le journaliste Laurent Lemire, ce manque de reconnaissance pourrait aussi être lié à son rôle au sein de l’Église. « S’il n'avait pas été prêtre, on aurait donné raison plus vite à Georges Lemaître. Mais sans doute aussi fallait-il qu'il fût prêtre pour songer à un commencement du monde », écrit-il en ce sens dans son ouvrage Ces savants qui ont eu raison trop tôt.

    « Il a donné un beau message concernant une manière de concevoir les liens entre la science et la foi respectant et l'une et l'autre sans confusion, dans l'unité de la même personne », estime Dominique Lambert. « Personnage jovial, il a laissé à ses étudiants, entre 1925 et 1964, le souvenir d'un professeur à la pédagogie surprenante (il faisait de la recherche en direct devant ses étudiants !), mais d'une incroyable humanité. » 

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