De la poussière de Lune vient d’être vendue pour plus de 450 000 euros

Des échantillons de poussière lunaire issus des tout premiers prélèvements de la mission Apollo 11 viennent d’être vendus aux enchères. Cet évènement soulève de nombreux questionnements quant au droit de propriété des ressources issues des corps célestes.

De Maya Wei-Haas
Publication 14 avr. 2022, 16:52 CEST
Edwin « Buzz » Aldrin, astronaute de la NASA, se place pour déployer deux instruments du Early Apollo ...

Edwin « Buzz » Aldrin, astronaute de la NASA, se place pour déployer deux instruments du Early Apollo Scientific Experiments Package sur la surface de la Lune dans le cadre de la mission Apollo 11 de 1969. Une très petite portion des tout premiers échantillons de poussière collectés sur la Lune par l’équipage d’Apollo 11 vient d’être vendue aux enchères, un évènement qui a suscité l’intérêt des astronomes et des avocats du droit spatial.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

Alors que l’humanité s’apprêtait à vivre les premiers pas sur la surface de la Lune, Neil Armstrong se tenait sur l’échelle du module lunaire et décrivait la texture particulière du sol. « C’est presque comme de la poudre », déclarait-il au centre de contrôle de la mission Apollo à Houston, au Texas.

Dix minutes plus tard, il ramassait un petit tas de cette poussière lunaire. Il s’agissait du premier échantillon de la surface d’un autre monde. Aujourd’hui, plus de 50 ans après cet évènement, une pincée de cette poussière revient à un nouveau propriétaire. C’est un acheteur anonyme qui en a fait l’acquisition pour plus de 450 000 euros lors d’une vente aux enchères. Il détient ainsi un morceau de l’Histoire.

La NASA a longtemps soutenu que les roches et la poussière lunaires collectées lors des missions Apollo constituaient une propriété du gouvernement américain ne pouvant être détenue par des particuliers. L’agence spatiale a déployé des moyens considérables pour rassembler tout le matériel lunaire égaré. En 2011, une opération d’infiltration a notamment permis de saisir une roche lunaire de la taille d’un grain de riz incrustée dans un presse-papiers, détenue par une femme de 74 ans.

Les cinq échantillons de la vente aux enchères sont disposés sur des rubans de carbone, eux-mêmes montés sur des porte-échantillons qui permettent de maintenir le soupçon de poussière lunaire provenant du premier échantillon jamais collecté sur la Lune.

PHOTOGRAPHIE DE Bonhams

La poussière lunaire vendue le 13 avril est une exception à la règle. La vente a été rendue possible à la suite d’une combinaison de fraudes, de confusion d’identité et d’une série de conflits judiciaires.

« C’est une situation exceptionnelle », déclare Adam Stackhouse, spécialiste chez Bonhams, la maison de ventes aux enchères.

Les scientifiques, eux, se sont montrés mitigés face à la vente. La NASA a analysé ces échantillons de poussière et les chercheurs ont également eu l’occasion d’étudier d’autres portions de prélèvements lunaires plus importants. Toutefois, ils considèrent qu’il y a toujours matière à en apprendre davantage. « Les échantillons lunaires sont tellement précieux », insiste Sara Mazrouei, planétologue et professeure à l’université Ryerson en Ontario.

En revanche, les experts en droit spatial, eux, sont ravis de découvrir ce que cette vente signifiera pour les prochains échanges de matériel extraterrestre, notamment les métaux extraits des astéroïdes. « C’est un nouveau pas vers la commercialisation de ressources naturelles provenant de l’espace », indique Mark Sundahl, expert en droit international spatial au Cleveland-Marshall College of Law en Ohio.

 

DE LA POUSSIÈRE COLLANTE

La poussière lunaire dont il est question ici est arrivée sur Terre grâce à une particularité pour le moins étonnante. Elle est collante.

Sur la Lune, un satellite dépourvu d’air, les vents solaires balayent constamment la surface. Ils apportent une charge électrostatique à la poussière aux grains fins, également appelée régolithe. Cette charge permet au régolithe lunaire de coller à toutes les surfaces, notamment les bottes, les gants, les combinaisons ou encore les outils des astronautes.

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    Gauche: Supérieur:

    Vue rapprochée de deux grains de poussière lunaire. L’image a été agrandie des milliers de fois grâce à un microscope électronique à balayage.

    Droite: Fond:

    De nombreux échantillons contiennent des petites sphères de verre, formées par le refroidissement rapide des panaches de vapeur provenant du choc entre les roches spatiales et la surface du satellite.

    Photographies de Bonhams

    « Les astronautes ont tout de suite remarqué à quel point le régolithe était collant », souligne Nicolle Zellner, planétologue à l’Albion College. Cette poussière collante est également granuleuse et abrasive. Ces caractéristiques se sont rapidement avérées problématiques lors des missions Apollo, puisque la matière obstruait les équipements, abîmait les combinaisons et encrassait les atterrisseurs. Les astronautes ont alors décidé de taper leurs bottes sur l’échelle du module lunaire pour se débarrasser du plus de poussière possible après s’être aventurés à la surface.

    Puisque cette poussière était très adhésive, lorsqu’Armstrong a récupéré le premier échantillon dans un sac Telfon, quelques grains très fins ont recouvert l’extérieur de ce dernier. Pour être rapporté sur Terre, le sac tout entier a lui-même été placé à l’intérieur d’un sac à fermeture éclair, estampillé des mots « Lunar Sample Return » (Retour d’échantillons lunaires) en grosses lettres capitales. Les grains de la récente vente ont été récupérés du tissu intérieur de ce sac protecteur.

    Aujourd’hui, à l’observation de la poussière du sac, « vous avez l’impression d’être si proche de ce moment », poursuit M. Stackhouse. « En quelque sorte, c’est comme une machine à remonter le temps. »

    Après la sortie historique de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin sur la surface de la Lune, les astronautes sont repartis à bord de l’étage de remontée du module lunaire, illustré ci-dessus. La Terre étant si lointaine, on dit que cette image contient tous les humains vivants sauf un : Michael Collins, qui prenait la photo alors qu’il était à bord du module de commande en orbite.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    DE MAINS EN MAINS

    Le trajet de la poussière jusqu’à la vente aux enchères a été tortueux. Il y a plusieurs décennies de cela, la NASA a prêté le sac d’échantillons extérieur et d’autres artéfacts à Cosmosphere, un musée de l’espace au Kansas. Sans que personne ne sache quand, le sac a disparu.

    Après le départ de Max Ary, le directeur du musée, en 2002, le personnel a commencé à enquêter sur plusieurs objets manquants. Ils ont découvert que M. Ary avait vendu des pièces du musée parallèlement à celles de sa collection personnelle en empochant tous les bénéfices. Il a été condamné à trois ans de prison et plus de 120 000 euros d’amende pour fraude, vol et blanchissement d’argent.

    Une fouille commissionnée par le gouvernement dans la propriété de M. Ary a permis de retrouver plusieurs autres artéfacts. Parmi les nombreux trésors se trouvait le sac de retour d’échantillon. Toutefois, en raison d’une confusion dans les numéros de catalogue, les officiers n’ont pas réalisé l’importance de cet objet à l’époque. L’agence de police U.S. Marshals Service l’a vendu lors d’une vente aux enchères en ligne, regroupant la collection spatiale saisie à M. Ary pour lui permettre de payer ses amendes.

    Nancy Lee Carlson of Inverness a remporté la vente du petit sac blanc, ainsi que la poussière incrustée dans ses fibres, pour à peine plus de 910 euros. Elle a ensuite envoyé le sac au Centre spatial Lyndon B. Johnson de la NASA pour vérifier son authenticité. Quelle ne fut pas sa surprise face à leur réponse. Non seulement le sac était bel et bien authentique, mais la poussière contenue à l’intérieur correspondait aux caractéristiques et à la composition des premiers échantillons lunaires rapportés par l’équipage d’Apollo 11.

    La NASA a immédiatement refusé de rendre le sac, affirmant qu’il s’agissait d’un trésor national du pays. « Cet artéfact n’aurait jamais dû devenir la propriété d’un individu », a soutenu William Jeffs, porte-parole de la NASA, dans une déclaration en 2017. En plus de sa valeur scientifique, il « représente également l’aboutissement d’un effort national massif impliquant toute une génération d’Américains ».

    Au grand dam de l’agence, Mme Carlson a intenté des poursuites pour le récupérer. Elle a eu gain de cause. Elle a ensuite vendu le sac aux enchères pour plus de 1,6 million euros en 2017. La NASA n’a répondu à aucune demande de commentaire concernant ladite vente aux enchères.

    Deux ans plus tard, Mme Carlson a de nouveau poursuivi la NASA. Cette fois-ci, elle les accusait d’avoir endommagé le sac lors de l’inspection et d’avoir conservé quelques grains de poussière de son intérieur. Les scientifiques de l’Agence avaient utilisé du ruban de carbone pour récupérer une partie de la poussière incrustée. Le tout a ensuite été placé sur des porte-échantillons en aluminium afin de procéder à l’analyse, des prélèvements qu’ils ont ensuite conservés. Selon Mme Carlson, cette perte l’avait empêchée de vendre le sac pour la valeur initialement estimée.

    L’Agence a trouvé un accord avec Mme Carlson et lui a rendu cinq des six porte-échantillons couverts de poussière. Ce sont ces mêmes échantillons qui viennent d’être vendus à Bonhams.

     

    UN COFFRE-FORT LUNAIRE

    Au-delà du vacarme juridique, les experts de la Lune sont divisés quant aux conséquences scientifiques de la vente du 13 avril.

    « La réponse que nous nous devons de donner est que chaque échantillon est important et peut nous apprendre quelque chose de nouveau », soutient Peter James, géophysicien-planétologue à l’université Baylor au Texas. Seulement, les échantillons vendus ne sont qu’une infime portion des plus de 381 kg de matériel lunaire que les astronautes ont rapporté sur Terre au cours des six missions Apollo de 1969 à 1972. Puisqu’ils ont bien été analysés par la NASA et qu’ils sont similaires à un échantillon bien plus important encore disponible à l’étude, M. James ne considère pas cette vente comme une perte incommensurable pour les scientifiques.

    En revanche, il s’est passé plus de 50 ans depuis les derniers retours de fragments lunaires. Chaque échantillon analysé a permis d’en apprendre davantage sur l’histoire de la Lune et sa géologie. L’analyse des roches lunaires des missions Apollo a aidé les scientifiques à élaborer la théorie la plus probable sur les origines de la Lune. Un objet de la taille de Mars serait entré en collision avec la Terre en formation, ce qui aurait éjecté un nuage de débris, lesquels auraient finalement refroidi et fusionné pour former notre unique satellite naturel.

    Il y a plus d'eau sur la Lune qu'on ne le pensait

    Les études de ces échantillons ont également révélé que la Lune contenait une quantité d’eau étonnante. Les premières analyses effectuées vers la fin des années 1960 et au début des années 1970 n’avaient pas permis la détection des faibles traces d’eau renfermées dans la roche. Cependant, les vaisseaux en orbite ont par la suite repéré des signes d’eau lunaire, une découverte confirmée plus tard grâce à de nouvelles analyses des roches issues des missions Apollo par des instruments ultrasensibles. De telles réserves hydrauliques sont essentielles pour que les humains puissent revenir sur la Lune et même voyager au-delà. Elles pourraient aider les futurs voyageurs spatiaux à diminuer la cargaison qu’ils doivent emporter de la Terre.

    Les scientifiques étudient encore les roches d’Apollo aujourd’hui. Certains des échantillons ont été conservés dans une zone de stockage à long terme « afin que les scientifiques qui ne sont pas encore nés puissent utiliser des instruments encore inconnus pour répondre à des questions encore sans réponse », a livré Jamie Elsila Cook, spécialiste en astrochimie, à National Geographic en 2019. Un de ces caches datant de 1972 a été ouvert en mars dans l’espoir de fournir des renseignements pour les plans des missions Artemis, soit la prochaine tentative de la NASA d’envoyer des humains sur la Lune.

    Mme Mazrouei souligne les efforts considérables des chercheurs pour rédiger des demandes en vue d’obtenir ne serait-ce qu’une infime portion de cette poussière lunaire afin de l’étudier. « Les voir ainsi vendus aux enchères… a été quelque peu décourageant. »

    Elle constate tout de même une faible lueur d’espoir. La vente pourrait donner l’impulsion à un accès aux échantillons lunaires à des fins éducatives. « Peut-être que cela ouvrira la voie à une future disponibilité des échantillons pour d’autres scientifiques, en dehors des élites. »

     

    UNE FUTURE EXPLOITATION DU CIEL ?

    Les avocats en droit spatial voient la vente sous un angle différent. Étant donné que de nombreux pays se préparent à de futures missions vers la Lune et au-delà, l’extraction et l’utilisation des ressources issues de l’espace pourraient bientôt devenir une réalité. Ces activités relèvent du traité de l’espace de 1967, un accord international établissant les principes du droit spatial moderne.

    Bien que le traité fournisse certaines indications pour des actions futures, notamment l’interdiction des opérations militaires et la prévention de toute revendication de propriété d’autres mondes, de nombreuses lacunes subsistent. En premier lieu, « ils n’ont pas envisagé l’utilisation des ressources spatiales », explique Christopher Johnson, conseiller en droit spatial à la Secure World Foundation et professeur adjoint à l’université de Geogetown à Wahsington, D.C.

    Au fil des années, certains pays, dont les États-Unis et les Émirats arabes unis ont adopté des lois octroyant aux citoyens la propriété des ressources qu’ils extraient des corps célestes. La récente vente vient davantage renforcer la propriété, l’utilisation et la revente de ressources spatiales.

    M. Sundahl ajoute que toute affaire qui suscite des conversations au sein du grand public autour de l’extraction et la vente des ressources lunaires peut s’avérer utile. De nombreux débats sur l’équilibre entre les intérêts publics et privés sont à venir à mesure que nous nous engageons dans l’exploitation minière céleste.

    « Nous n’en sommes qu’aux prémices », conclut-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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