Débris spatiaux : des lasers pour dépolluer l’espace ?
Essentiels à notre vie quotidienne, les satellites et technologies envoyés dans l'espace peuvent en fin de vie errer voire retomber, ce qui peut provoquer embouteillages et collisions autour de notre planète. Comment faire pour neutraliser cette menace ?
On dénombre aujourd'hui près de 28 000 débris spatiaux en orbite autour de la Terre.
Le 4 octobre 1957, l’URSS envoyait Spoutnik dans l’espace, le premier objet satellisé d’origine humaine. Aujourd’hui, on compte plus de 11 000 satellites répertoriés en orbite autour de la terre, selon le Bureau des affaires spatiales des Nations unies. Rien qu’en 2022, on en a envoyé 2046 dans l’espace. « On s’attend à en avoir 100 000 d’ici à 2030 », indique Christophe Bonnal, ingénieur au Centre National d’Études Spatiales (CNES).
« L’espace est devenu indispensable et stratégique dans nos vies quotidiennes. On considère que chaque personne se sert de cinquante satellites en moyenne par jour ». L’ingénieur estime que l’on « ne pourrait plus vivre sans satellites ». Il prend l’exemple de la télé agriculture en Inde. Aujourd’hui, selon lui, « n’importe quel paysan indien, qu’il soit riche ou pauvre, a accès à un service qu’il peut appeler tous les matins pour connaître l’état de son champ et où il doit arroser. […] On estime que c’est un service fondamental quand il faut nourrir 1,4 milliard de personnes ».
Seulement voilà, les objets envoyés dans l’espace engendrent de la pollution lorsqu’ils ne sont plus en activité. Ils deviennent alors des débris spatiaux, qui se multiplient lorsqu’ils rentrent en collision les uns avec les autres. Ces débris peuvent constituer un danger pour les autres objets en orbite, tels que des satellites actifs ou même la Station Spatiale Internationale. C’est pourquoi ils sont étudiés de près. Christophe Bonnal précise qu’il s’agit essentiellement de « résidus de vieux satellites et des vieux étages de fusées », ou de « fragments qui sont issus soit d’explosions, soit de collisions ».
Une partie des débris est cataloguée, c’est-à-dire que leurs mouvements sont suivis par des télescopes et des radars. Actuellement, il est possible d’observer ceux « de 10 centimètres en orbite basse, ou 1 mètre en orbite géostationnaire ». Selon l’ESA Space Environnement Report 2023, on compte aujourd’hui environ 36 000 objets de plus de 10 cm dans l’espace. Parmi eux, près de 28 000 sont recensés, les objets militaires n’étant pas présents dans les catalogues publics. « Là-dedans, il y a quelques très gros objets. Des étages de fusées ou des satellites entiers par exemple, il y en a 8000 ou 10 000 », indique Christophe Bonnal. « Les objets de 1 centimètre, il y en a un million […] Les objets de 1 millimètre, il y en a 150 millions ».
En ce qui concerne la taille des débris, le danger commence à partir de 1 millimètre, « à cette vitesse-là, ça donne des énergies cinétiques très élevées et ça peut faire des dégâts terribles ». À titre d’exemple, pour 1 millimètre (1KJ) « c’est l’énergie d’une boule de bowling lancée à 100 kilomètres par heure », pour 1 centimètre (1 MJ) « l’équivalent d’une voiture de 1500 kg à 130 kilomètres par heure », et à 10 centimètres (1 GJ), « l’équivalent de 240 kg de TNT ».
LES DANGERS
Il y a trois « familles de problèmes » pour l’Homme liés aux débris spatiaux, selon Christophe Bonnal. D’abord, « la gêne au niveau de l’astronomie ». Les nombreux satellites peuvent obstruer, voire cacher la vue des télescopes.
Le second problème, ce sont les objets qui retombent dans l’atmosphère. « On a à peu près un satellite entier qui rentre tous les trois jours dans l’atmosphère », estime le scientifique. Les objets en orbite basse, c’est-à-dire jusqu’à 2000 kilomètres d’altitude, subissent les effets d’une atmosphère résiduelle. Cela crée une pression, que l’on appelle « pression dynamique ». Celle-ci freine les objets et les fait descendre « jusqu’à toucher les hautes couches de l’atmosphère, vers 120 - 100 km d’altitude, où l’atmosphère devient plus dense. Ils subissent ensuite un gros coup de frein à cause de la pression dynamique, qui va les fragmenter. […] Puis, la friction des molécules constitutives de l’air va faire fondre l’objet », explique Christophe Bonnal. Lorsqu’un débris rentre dans l’atmosphère, il se désintègre à 80 %. Il y a donc 20 % d’impact sur la surface du globe. « Sur un étage de fusée standard qui fait 5 tonnes, 1 tonne va impacter la surface de la Terre, de façon aléatoire. C’est donc potentiellement dangereux ». Néanmoins, la géographie terrestre permet de limiter les dégâts humains, les zones les plus densément peuplées ne représentant que 3 % de la surface du globe.
Enfin, le troisième problème est celui des collisions en orbite. Christophe Bonnal estime « qu’il y a à peu près une fragmentation globale par mois ». Chaque collision peut suivre le scénario du syndrome de Kessler, à savoir une réaction en chaîne : une collision qui génère des débris, qui elle-même entraîne une collision qui va générer des débris. « Même si on arrête tout lancement, le nombre de débris dans cette zone va continuer d’augmenter de façon exponentielle », résume l’ingénieur.
Ancien réservoir d'oxygène liquide de la fusée de transport Delta-2, retrouvé dans le parc national Hustai dans la province de Tov en Mongolie.
RÉDUIRE LE NOMBRE DE DÉBRIS SPATIAUX
Il parait donc essentiel de réduire le nombre de débris spatiaux. Pour cela, plusieurs types de solutions ont été testés depuis les années 1990.
Première solution, celle de détourner les débris à l’aide d’un laser. Christophe Bonnal indique qu’il existe deux types de laser, ceux œuvrant « au sol » et ceux « en orbite ». L’avantage du laser au sol est qu’il est possible de changer une pièce voire de l’améliorer, ce qui est beaucoup plus difficile en orbite. Mais dans le second cas, le laser est au plus près des déchets et nécessite donc moins d’énergie.
En 1996, la NASA avait construit un laser au sol, le laser Orion, qui avait pour objectif de protéger l’ISS des débris spatiaux. Mais celui-ci dépensait l’énergie d’une « petite centrale nucléaire », et a donc été fermé.
En ce qui concerne les lasers au sol, la start-up japonaise EX-Fusion spécialisée dans la production de lasers, et l’entreprise australienne EOS Space qui cartographie l’espace, ont récemment innové sur la question. Pour être efficace, « nous avons besoin d'un laser pulsé très puissant, par opposition à un laser à ondes continues », explique Koichi Masuda, Chef des revenus (CRO) chez Ex-Fusion. « Les lasers pulsés exercent une pression sur les débris spatiaux, ce qui réduira leur vitesse et les éloignera de leur orbite, pour qu'ils puissent brûler dans l'atmosphère ». Travaillant pour l'instant sur de tout petits débris, la start-up souhaite à terme, désorbiter les objets de moins de 10 centimètres.
Koichi Masuda relate qu’EX-Fusion travaille en partenariat avec l’Institute of Laser Engineering (ILE) de l’Université d’Osaka, pour augmenter la puissance du laser de « 10 kilowatts, c'est-à-dire 10 fois plus puissant que ce qui existe aujourd'hui ». L’objectif est d’arriver à « un système laser de la classe des mégawatts ». Cette puissance est essentielle, car depuis le sol « il faut traverser l’atmosphère, et donc vous perdez 99,99 % de votre énergie », estime Christophe Bonnal. L’expert ajoute qu’« il y a une divergence du faisceau qui fait que pour un débris de 1 centimètre, le laser fait 1 mètre », ce qui entraîne une « perte d’efficacité ».
Parallèlement à l'augmentation de la puissance du laser, Koichi Masuda explique qu’EX-Fusion travaille sur la « technologie liée à ce que l'on appelle le "contrôle du faisceau" ou le "guidage du laser", pour qu'il atteigne spécifiquement la cible que vous voulez atteindre ». Il est en effet essentiel de bien viser chaque débris précisément, pour ne pas atteindre un satellite actif.
Christophe Bonnal est dubitatif quant à l’initiative des lasers au sol visant les petits débris, puisqu’il considère qu’« il faudrait [en] retirer des dizaines de milliers par an ». Selon lui, la priorité est d’aller chercher les « gros débris », qui servent de « réservoirs pour les petits ».
La solution du laser n’est toutefois pas abandonnée par les spécialistes. Christophe Bonnal affirme qu’il « croit encore » au laser, mais en orbital et pour faire du « Just in time Collision Avidement (JCA) », à savoir faire bouger très légèrement l’un des objets lorsqu’il va y avoir une collision dans les 24h.
La deuxième solution consiste à capturer les déchets pour les désorbiter. On pourrait la comparer à un sac-poubelle déployé dans l’espace. Cela permettrait de faire de « l’Active Debris Removal (ADR) », soit utiliser un chasseur qui s’attache à un gros débris pour le désorbiter. Encore une fois, cette solution n’est pas simple. Il faut organiser un « rendez-vous », c'est-à-dire se mettre à la même vitesse que le débris pour pouvoir le capturer. « C’est compliqué quand on cherche à attraper quelque chose qui est non coopératif, autrement dit qui ne dit pas où il est », déplore Christophe Bonnal, qui précise que cela « n’a jamais été fait ».
De plus, ces opérations complexes ont un coût. L’ingénieur estime que retirer un gros débris coûterait « 200 millions d’euros pièce », et que « pour stabiliser la population, il faudrait retirer 10 gros par an, en plus d’être propre ». Or, il n’y a actuellement pas de loi internationale sur le sujet. Le problème est « financier, mais aussi politique », selon l’expert. Sachant que « 98 % des débris sont chinois, américains ou russes », il est compliqué d’obtenir une source de financement collective.
Économiquement, la solution la plus réaliste selon Christophe Bonnal est celle de l’« In Orbit Servicing » (Les Services en Orbite), c’est-à-dire envoyer un satellite dans l’espace pour réparer un autre satellite, puis lorsqu’il a terminé sa tâche, entraîne avec lui un gros débris lorsqu’il se désorbite. Mais cela « limite le type de solutions envisageables ».
Ainsi, « cela ne sert à rien d’essayer de détruire des satellites avec des lasers, tant que l’on continue à en créer autant », conclu l’ingénieur. Mais « s’il y a une prise de conscience générale, rapide, mondiale et suivie d’actions, tout ira bien ».