Découverte d’une anomalie thermique sur la face cachée de la Lune
Une large formation granitique a été découverte sur la face cachée de la Lune. Ce point indique une nette variabilité thermique qui pourrait bien marquer la position d’un ancien volcan lunaire, actif il y a près de 3,5 milliards d’années.
Face cachée de la Lune photographiée en avril 1972.
En 2010 et 2012, des missions spatiales chinoises qui utilisaient des satellites équipés ont été envoyés vers la Lune afin d’en sonder la surface et les phénomènes météorologiques en présence. « C’était la première fois que ce type d’instruments [à micro-ondes] étaient envoyés sur la Lune », explique le docteur Matthew Siegler, spécialiste en modélisation de processus géothermiques pour le Planetary Science Institute et la NASA.
Plutôt que de chercher des fréquences radar classiques, ces instruments ont permis de visualiser simplement la chaleur émise par la Lune. « Et il s’est avéré que les instruments étaient capables de rendre compte des températures de surface, mais aussi des températures en profondeur ».
Pendant près d’une dizaine d’années, les équipes de Matthew Siegler, ainsi que de son chercheur postdoctoral et collaborateur, le Docteur Jianqing Feng qui étudie les propriétés physiques de la Lune par télédétection, notamment par bandes micro-ondes pour le Planetary Science Institute, ont travaillé sur des données de missions spatiales internationales, chinoises, indiennes, européennes, américaines afin de comprendre et de « mesurer les changements dans la production géothermique à l’intérieur de la Lune ».
L’origine de cette large anomalie de flux de chaleur géothermique sur la Lune est expliquée par la présence d’un grand corps granitique à cet emplacement.
« Quand nous avons découvert cet incroyable endroit pour la première fois », se rappelle le Dr. Feng, « nous nous sommes rendus compte qu’il restait plus chaud que toute autre zone lunaire à la même latitude ». Les caractéristiques de surface, observées notamment par détection infrarouge, écartent la possibilité qu’un phénomène extérieur soit la cause de ce point de chaleur. « La seule explication est que la chaleur provient d’une énergie géothermique », explique-t-il.
« Des données du flux de chaleur géothermique de la Lune ont été mesurées par les astronautes de la mission Apollo dans les années 1970 », explique le Dr. Siegler. « Cependant, ils ont eu beaucoup de mal à percer à 3 mètres sous la surface » pour effectuer les mesures en profondeur. L’intérêt de la recherche par micro-ondes est qu’elle permet d’obtenir une perspective globale, basée sur un sondage orbital, afin de comprendre le fonctionnement thermique profond de la Lune.
L’étude infra-rouge de la Lune permet de voir la température de surface, tandis que les micro-ondes peuvent pénétrer en profondeur, à la manière des ondes Wi-Fi, capables de traverser les matériaux. Les études révèlent que dans la zone de Compton-Belkovich, localisée sur la face cachée de la Lune, se trouve une formation granitique de 50 kilomètres de diamètre qui surplombe un point chaud, à environ 20 kilomètres de profondeur, d’où émane « un flux de chaleur de pointe d'environ 180 milliwatts par mètre carré, ce qui est environ 20 fois supérieur à celui de la moyenne des hautes terres lunaires ».
UNE ANCIENNE ACTIVITÉ VOLCANIQUE
« Sur Terre, nous avons de l’eau. Grâce à cet élément, notre planète peut produire du granite en quantité », explique le Dr. Feng. Il explique, en se basant sur l'étude de référence No water, no granites – No oceans, no continents (pas d’eau, pas de granites – pas d’océans pas de continents), qu’en dehors de notre planète, le granite est une roche pratiquement introuvable dans le système solaire. Cette découverte laisse à penser que notre satellite a plus en commun avec la Terre que la seule interaction gravitationnelle qui les relie.
Il existe environ une dizaine de zones similaires à celle-ci, notamment sur la face visible de la Lune, qui présentent des éléments minéraux caractéristiques du magmatisme : les silicates. Le Dr. Siegler explique que ces éléments silicatés retrouvés à Compton Belkovich par exemple sont la résultante d’une série de réactions dans la cristallisation des minéraux au moment du refroidissement du magma, que l’on appelle réactions de Bowen. Ce qui implique une activité volcanique, comme le rapporte un article publié dans la revue Nature il y a peu.
La face visible de la Lune, mais également la quasi-totalité de la surface de sa croûte, sont composées de fines couches de basalte. Cette roche contient de faibles quantités de silicates. « Or, dans un système volcanique, ce basalte peut être refondu », précise le Dr. Siegler. « Le matériau fondu recueille plus de silicate, mais aussi plus d’uranium et de thorium ». La présence de silicates permet également la tenue de structures rocheuses en relief.
Chaque fois que la roche est refondue, elle s’enrichit un peu plus de ces minéraux particuliers. Ils sont en effet incompatibles avec d’autres structures rocheuses et vont s’agglomérer dans le processus de fonte. Quand la roche formée est chargée à plus de 65 % de silicate, alors il s’agit de granite. Il résulte donc d’un basalte refondu plusieurs fois par une activité magmatique. De plus, un bloc de granit, chargé en éléments radioactifs comme l’uranium, « produit beaucoup plus de chaleur qu’un bloc de basalte ». Cela joue un rôle dans la variation thermique observée.
Modélisation de la zone Procellarum de la Lune, à une époque où elle avait une activité sismique. Les anomalies de gravité sont ici interprétées comme d’anciennes failles solidifiées et inondées de lave qui sont maintenant enfouies sous la surface des sombres plaines volcaniques.
Les géologues ont longtemps été intéressés par la zone de Procellarum, zone qui se trouve sur la face visible de la Lune, car elle pourrait bien présenter des roches rares « très radioactives », enfouies dans ses couches profondes, explique le Dr. Feng. « Tandis que pour la zone de Compton Belkovich, on ne pensait pas qu’il s’y trouvait une quelconque particularité ».
Or, il s'avère, grâce à la récente découverte, que Compton-Belkovich, est le seul site qui présente les anciennes traces d’une activité volcanique sur la face cachée de la Lune. Tous les autres sont dans la région de Procellarum. La mission GRAIL de la NASA avait pour objectif de mesurer les caractéristiques gravitationnelles sur la Lune. Elle a permis de mettre en lumière des preuves que les stries dans la croûte lunaire étaient autrefois de grandes fissures d’où pouvait émerger du magma. « Cela pourrait être différent pour le volcanisme découvert sur la face cachée », précise le Dr. Siegler.
UN MODÈLE SISMIQUE FIGÉ
« Il y a cent ans, nous pensions que chaque cratère sur la Lune était un volcan », remarque le Dr. Siegler. Puis, avec l’exploration humaine sur la Lune dans les années 1960 et 1970, « on a décidé qu’il ne s’agissait que de cratères ». Au cours des 20 dernières années, nous avons découvert qu’en fait, « certains de ces cratères étaient de petits volcans ».
Matthew Siegler indique qu'un grand système alimentant le point chaud granitique profond a été trouvé. Les fluctuations géothermiques actuelles rendent compte d’une ancienne activité sismique sur la Lune. Une activité qui a poussé le volcan de Compton Belkovich à entrer en éruption il y a 3,5 milliards d’années. « Mais il n’y a plus rien d’actif dans ce système ». Il s’agit en quelque sorte d’un système volcanique gelé.
Le mystère de cette découverte réside dans le fait que, sur Terre, des endroits comme celui-ci se forment normalement en raison d’une tectonique des plaques, qui enfouit la matière en profondeur, l’exposant ainsi à d’importantes pressions et températures. Dans le cas du déplacement de plaques, des volcans auraient pu être produits par un mécanisme de points chauds. La présence d’eau peut également permettre une fonte des matériaux en cas de températures plus basses. Le volcanisme sur la Lune doit ainsi pouvoir s’expliquer selon deux origines probables. Soit il y avait un contexte de « températures extrêmement élevées », soit il y a eu une « présence d’eau sur la Lune ».
La possibilité qu’il y ait eu de petites quantités d’eau, « de l’ordre de 1 à 2 % », n’est pas exclue. Le volcan découvert a en effet laissé des « traces d’éruptions passées », explique le Dr. Siegler. Un large périmètre de débris autour de la zone pourrait bien être des cendres issues de la dernière éruption. Or, sur Terre, ce genre d’éruptions explosives se produit grâce à la présence d’eau.
Il y a une idée traditionnelle selon laquelle la planète Théa, ainsi qu’un morceau de Mars, auraient percuté la Terre, avant de s’agglomérer et de former des anneaux rocheux, comme ceux de Saturne. Ces « nuages » rocheux aux températures très élevées auraient formé la Lune. Or, au moment de cette formation, les températures étaient telles que toute eau aurait dû s’évaporer, ce qui correspond au profil totalement aride que l’on connaît aujourd’hui de la Lune. « Ces découvertes de volcans », souligne le Dr. Siegler, « pourraient bien laisser penser que la Lune était peut-être plus humide que nous ne le pensions. »