Astronomie : les sursauts radio rapides existent-ils vraiment ?
En détectant une brève décharge d'énergie capable de parcourir plusieurs milliards d'années-lumière, un astronome pensait avoir fait une découverte spectaculaire. Puis les décennies se sont écoulées sans le moindre signe du phénomène…
Si une scientifique aperçoit une licorne, elle préférera probablement attendre d'en voir d'autres avant d'informer le monde de sa découverte.
Pourtant, parfois, une seule licorne suffit.
En 2007, l'astronome Duncan Lorimer avait annoncé la découverte d'un nouveau genre d'événement céleste spectaculaire. C'était une brève décharge d'énergie si puissante qu'elle pouvait atteindre la Terre depuis une galaxie située à plusieurs milliards d'années-lumière. Le chercheur baptisa sa découverte Fast Radio Burst (FRB), ou sursauts radio rapides en français, car ils ne duraient pas plus d'une seconde et seul un radiotélescope permettait de les détecter.
La découverte n'était pas anodine. Si leur existence était confirmée, les FRB pourraient être utilisés pour mesurer la quantité de matière dans l'espace séparant les galaxies, comme une jauge pour la densité de l'univers.
Seulement voilà, Lorimer n'avait observé qu'une seule occurrence de ce nouvel événement spectaculaire. Il prévoyait d'en identifier bien plus par la suite, mais en 2007 il n'y en avait qu'un.
Bien entendu, ce ne serait pas la première fois qu'une simple découverte ouvre la voie à un tout nouveau domaine de recherche scientifique. Un fragment d'auriculaire mis au jour dans une grotte sibérienne a bien conduit les anthropologues à inférer l'existence d'une espèce humaine contemporaine des Néandertaliens.
Cela dit, cela reste rare.
Lors de la publication de l'article de Lorimer dans la revue Science, j'officiais en tant que correspondant pour la science au sein de la National Public Radio des États-Unis. Malgré une chronique consacrée à la découverte de Lorimer dans l'émission All Things Considered cet après-midi là, je restais sceptique : « Parfois, ce qui semble être une découverte scientifique extraordinaire n'est en fait qu'une erreur dans les données, » pouvait-on lire dans mon compte-rendu pour cette émission.
Les sursauts Lorimer, comme certains aimaient à les surnommer sarcastiquement à l'époque, étaient-ils simplement le fruit d'un problème technique ?
Cette explication a bénéficié de l'appui d'une étude réalisée par une jeune doctorante prénommée Sarah Burke-Spolaor. Son directeur de thèse lui avait confié la tâche d'identifier de nouveaux sursauts radio rapides. En s'intéressant aux données du radiotélescope de l'observatoire Parkes en Australie, celui utilisé par Lorimer pour détecter son FRB, la scientifique a découvert d'autres sursauts semblables à des FRB. Cependant, compte tenu de leur profil dans les données du télescope, Burke-Spolaor était presque certaine d'être face à une sorte d'interférence radio en provenance de la Terre. Alors que l'origine exacte de ces événements reste alors un mystère, elle décide de leur donner un nom : les perytons.
Depuis, les années ont passé et aucun autre FRB n'a été découvert. Certains astronomes ont commencé à penser que Lorimer n'avait rien trouvé d'autre qu'un spécimen inhabituel de peryton.
Ces années ont tout de même vu émerger quelques signes prometteurs de l'existence des FRB. En 2011, un second sursaut a été signalé, mais les sceptiques ont rapidement pointé le fait qu'il provenait du même radiotélescope Parkes qui avait produit le sursaut Lorimer et les perytons. En 2013, quatre autres FRB ont été détectés, là encore depuis l'observatoire Parkes.
En 2014, un nouveau FRB a été identifié, cette fois à l'aide d'un autre radiotélescope, celui de l'observatoire Arecibo à Porto Rico. Dès lors, les découvertes en provenance d'autres radiotélescopes ont commencé à s'accumuler à un rythme régulier.
Le débat sur les FRB a fini par changer d'axe. Au lieu de se demander s'ils étaient bien réels, les scientifiques se sont intéressés à leur origine.
« Dès le départ, les magnétars étaient les suspects numéro un, » indique Shami Chatterjee, astronome à l'université de Cornell. « Les magnétars sont des étoiles à neutrons dotées d'un champ magnétique extraordinairement intense. » Pour les astronomes, ces objets sont les résidus de l'explosion en supernova d'une étoile massive. Les magnétars sont suffisamment imposants pour générer le niveau d'énergie perçu dans les FRB. De plus, ils sont connus pour émettre des impulsions de rayons X et de rayons Gamma.
La thèse des magnétars générateurs de FRB a gagné en popularité en 2020 lorsque les astronomes ont détecté un FRB dans notre propre galaxie, la Voie lactée. Grâce à cette proximité sur l'échelle des distances cosmiques, les astronomes ont pu déterminer avec précision son origine : un magnétar déjà répertorié.
Cette découverte n'a pas pour autant mis un terme au débat sur l'origine des FRB. Celui découvert dans la Voie lactée n'aurait pas été assez puissant pour être détecté s'il s'était produit dans une galaxie plus lointaine. Cela nous mène donc à deux possibilités : soit cette occurrence était un petit FRB, soit il existe un autre objet céleste capable de les générer.
« Nous ne comprenons pas totalement les mécanismes par lesquels le magnétar de notre galaxie a produit ce sursaut radio, » reconnaît Chatterjee. « Mais nous comprenons tout à fait que ce spécimen appartient à une certaine classe d'émission FRB. »
Comment les astronomes pouvaient-ils être aussi sûrs que les FRB provenaient d'une autre galaxie ? Voilà une question qui m'avait tourmenté dès le départ au sujet de ces sursauts radio. La réponse réside dans un phénomène appelé mesure de dispersion. Si un sursaut d'ondes radio est émis par une source voisine, toutes les fréquences radio qui composent le sursaut arrivent en même temps, dans l'ensemble.
Lorsque ces sursauts d'ondes radio percutent des électrons en traversant l'espace, ils ralentissent très légèrement, mais chaque fréquence n'est pas affectée de la même manière. La composante haute fréquence du sursaut est moins ralentie et arrive donc sur Terre avant la composante basse fréquence. En d'autres termes, le sursaut se retrouve dispersé dans le temps. Et même si les électrons ne sont pas très nombreux à errer dans l'espace intergalactique, sur les milliards d'années-lumière qui séparent la Terre de la source des FRB, il y a suffisamment d'électrons et d'autres particules pour causer la dispersion des signaux.
Voilà comment les FRB peuvent être utilisés comme jauge de la densité de l'univers (une formulation qui ne souffre pas de la répétition). L'intensité de la dispersion permet d'évaluer la quantité de « matière » traversée par les ondes.
Pour obtenir une estimation précise de cette densité intergalactique, nous devons connaître la distance qui nous sépare de la galaxie émettrice du FRB. Pour cela, les astronomes pointent d'autres types de télescopes dans la direction d'un sursaut afin de voir ce qu'il s'y passe.
À l'heure actuelle, les chercheurs ont identifié les galaxies natales d'une vingtaine ou d'une trentaine de FRB. Ce chiffre devrait augmenter considérablement avec l'arrivée en 2024 d'un nouvel ensemble de radiotélescopes. Ces nouveaux instruments viendront s'ajouter au réseau CHIME, en activité depuis 2017. Ce radiotélescope est particulièrement doué pour détecter des FRB, car il observe chaque nuit une vaste parcelle du ciel.
« Nous avons observé plusieurs milliers de FRB, » indique Victoria Kaspi, professeure de physique à l'université McGill et investigatrice principale de l'équipe CHIME/FRB. Grâce aux télescopes supplémentaires, Kaspi et ses collègues prévoient de déterminer la localisation et la distance de la plupart des FRB détectés par CHIME. Un tel nombre de sursauts radio rapides localisés devrait offrir aux astronomes « l'opportunité d'étudier la structure à grande échelle de l'univers. »
Imaginez un peu.
Pour faire suite à cette histoire : il y a quelques années, une équipe internationale d'astronomes a réanalysé les données du radiotélescope Parkes utilisées par Lorimer pour découvrir le premier FRB. « Ils en ont trouvé un second que nous n'avions pas vu, » témoigne aujourd'hui Lorimer, « simplement en utilisant de meilleures techniques. » Depuis, poursuit-il, d'autres équipes ont analysé des bases de données encore plus anciennes, dans lesquelles d'autres FRB ont pu être identifiés.
« Ils étaient là, attendant simplement d'être découverts, » conclut-il.
Joe Palca est un journaliste scientifique indépendant installé à Washington. Pendant trente ans, il a été correspondant pour la science au sein de la National Public Radio des États-Unis. Il est le coauteur du livre Annoying: The Science of What Bugs Us. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.