Observer l’univers, c’est regarder vers le passé
La lumière des astres perçue depuis la Terre a effectué un voyage plus ou moins long avant de nous parvenir. Quand nous observons un ciel étoilé, ce sont des fragments lumineux des origines et du cosmos en pleine évolution qui nous parviennent.
Le télescope hexapode de l’observatoire du Cerro Armazones au Chili, 2006.
La mesure du temps est l’une des grandes problématiques de l’histoire humaine. En créant des calendriers basés sur l’observation de phénomènes stellaires cycliques, nos ancêtres ignoraient probablement que le spectacle de la Voie Lactée leur contait une histoire du temps bien plus vaste encore.
Dans un précédent article, l’astrophysicienne Katherine Freese de l’Université du Texas indiquait à National Geographic que « plus on regarde loin dans l’univers, plus on remonte le temps » et qu’en ce sens, les télescopes étaient de véritables machines temporelles. Les lumières scintillantes d’un ciel étoilé nous parviennent de différentes époques de l’univers. À une vitesse dans le vide de 300 000 kilomètres par seconde, les photons mettent un certain temps à atteindre une zone éloignée de leur source d’émission. Par exemple, la lumière émise par notre Soleil voyage pendant 8 minutes avant de venir éclairer la surface de notre planète.
« De même, si quelqu’un prend une photo de la ville de New York et prend l’avion pour rentrer à Paris, sa photo aura 6 heures de décalage » entre le moment où elle a été prise et celui où elle est arrivée à destination, explique Marie-Christine Angonin, astrophysicienne, professeure à la Sorbonne Université, et ancienne vice présidente de l’Observatoire de Paris. La photographie qui aura capturé une scène précise à New York, avec un temps ensoleillé par exemple, sera présentée en l’état à Paris, quand bien même entre temps le ciel aurait pu se voiler sur la scène d’origine. C’est exactement le même principe avec les étoiles observables depuis la Terre.
« Quand les astronautes [de la Mission Apollo 11, en 1969] étaient sur la Lune », raconte Marie-Christine Angonin, « on entendait toujours un petit décalage entre le moment où Houston leur parlait et le moment où ils répondaient, parce que les ondes hertziennes des communications, autrement dit de la lumière, mettent deux secondes à faire l’aller-retour de la Terre à la Lune ». Dans la même logique, la lumière qui nous parvient des étoiles les plus proches de la Terre a été émise relativement récemment, il y a quelques années tout au plus. On observe dans ce cas des caractéristiques relativement fidèles au présent de ces étoiles. Cependant, quand la source lumineuse est plus lointaine, la lumière perçue a dû effectuer un chemin plus long et correspond donc à un passé plus éloigné.
Cet étrange voile temporel imposé par le décalage de perception de la lumière en fonction de l’endroit de l’univers dont elle provient soulève nombre de questionnements pour les astronomes. On peut voir le passé, mais pas ce qu'il est advenu aujourd’hui de ce passé. Par exemple, la communauté scientifique est particulièrement divisée quant à l’estimation de la date de l’explosion en supernova de l’étoile Bételgeuse qui se trouve dans la constellation d’Orion. Les fluctuations lumineuses de l’étoile indiquent en effet une explosion prochaine. Dans l’absolu, dans sa tranche temporelle, l’étoile est peut-être déjà passée au stade de supernova. À une telle distance, la lumière doit en effet voyager pendant 642,5 années avant d’atteindre la Terre.
CARTOGRAPHIER L'UNIVERS
La lumière des étoiles a donc été produite sur des échelles de temps plus ou moins éloignées de la nôtre. Constat qui est d’autant plus impressionnant que le temps qui sépare la production d’une source lumineuse, notamment lors de la fusion nucléaire qui survient dans le cœur des étoiles, produit des photons qui mettent des millions d’années avant d’atteindre la surface de l’étoile et d’entamer enfin leur voyage dans l’univers. Mais comment parvenir à ce constat ?
« On y est allés petit à petit », souligne Marie-Christine Angonin. Plusieurs étapes ont été nécessaires pour déterminer à quelle distance de la Terre se trouvaient les objets célestes observables. Tout a commencé par la mesure de la distance de la Terre au Soleil. La mesure de cette distance, qui est de 149 millions de kilomètres, a été calculée au 18e siècle. « En réalisant des mesures d’angles simultanées [depuis deux positions opposées du globe] lors de phénomènes d’éclipses solaires, notamment quand Vénus passait devant le Soleil, la différence mesurée, en connaissant la taille de la Terre, permettait alors de connaître, par triangulation, la taille du système solaire », explique Marie-Christine Angonin.
À partir de cette première mesure essentielle qu'est l’orbite terrestre autour du Soleil, les scientifiques pouvaient s’intéresser aux distances qui séparent la Terre d’autres étoiles. Quand on observe une étoile, ou bien une constellation à une époque donnée de l’année, elle pointe dans une direction qui ne sera pas la même six mois plus tard, quand la Terre aura avancé dans sa révolution autour du Soleil. « C’est un peu comme lorsqu’on se trouve dans un train », compare l’astrophysicienne. Tandis que l’on reste statique, « les objets autour de nous se déplacent ». Dans le cas de l’observation du cosmos, cet effet de parallaxe induit que « ce mouvement est d’autant plus fort quand les étoiles sont proches de nous ». C'est ainsi que les scientifiques sont parvenus à produire une première cartographie des astres les plus proches.
Au début du 20e siècle, on a commencé à réaliser que les objets les moins brillants étaient aussi les plus lointains, et les premières galaxies ont été repérées. Les différences de luminosité des étoiles lointaines, comparées aux étoiles plus proches de nous, a permis par la suite de déterminer à quelle distance se trouvaient une multitude de galaxies.
MESURER LA VITESSE DE LA LUMIÈRE POUR COMPRENDRE LE TEMPS
« On s’est aperçu que la vitesse de la lumière était finie quand on a commencé à s’intéresser au système solaire », explique Marie-Christine Angonin. En 1610, Galilée constatait en observant Jupiter à travers sa jumelle que des objets semblaient tourner autour de façon cyclique. Longtemps ignoré, il posait pourtant les bases d’un constat qui allait bouleverser notre conception du monde.
Il fallut attendre 1667, au moment de la construction de l’Observatoire de Paris, pour que Cassini fasse venir l’astrophysicien danois Ole Römer, et que l’on en arrive au constat que des objets célestes pouvaient graviter autour d’autre chose que de notre soleil, qui n'est pas le centre de l’univers. Ils firent alors une autre découverte majeure. « Le mouvement [perçu] se décale suivant le moment de l’année », explique Marie-Christine Angonin.
« Or le décalage maximum qu’ils observent est de huit minutes. Décalage qui correspond à la différence observée d’un bout à l’autre de l’orbite terrestre », ce qui correspond précisément au temps que met la lumière du Soleil à nous atteindre. Les scientifiques touchaient alors à l’époque, avec une impressionnante précision, à la valeur de la vitesse de la lumière. Deux siècles avant de connaître la taille de l’orbite terrestre, ils avaient compris que la lumière avait une vitesse.
C’est en connaissant la taille de l’orbite terrestre qu’on a donc pu mesurer la vitesse de la lumière. « Mais il fallait tout de même la vérifier », interpelle l’astrophysicienne. C’est au 18e siècle, précisément en 1849, grâce à l’expérience de la roue dentée du physicien Hippolyte Fizeau, construit par Gustave Froment, que la mesure d’environ 300 000 kilomètres par seconde a été vérifiée. « Il s’est arrangé pour que la lumière fasse des allers-retours entre plusieurs miroirs ». Bien évidement, il ne pouvait pas chronométrer le temps qu’il fallait à la lumière pour effectuer ce trajet. Du moins, pas avec un chronomètre classique.
Il utilisait une roue dentée en rotation, au travers de laquelle il faisait passer un faisceau lumineux. Le point fort de cette expérience est qu’il pouvait mesurer la vitesse de rotation de cette roue. En regardant sur son détecteur, il constatait que soit le rayon lumineux revenait, soit il était occulté, et se trouvait donc bloqué dans sa course entre le rebond sur le miroir et le retour au récepteur.
C’est en menant l'expérience à différentes vitesses que le physicien est parvenu à déduire la vitesse de la lumière. En 1850, le physicien Léon Foucault réitéra l'expérience, mais cette fois-ci avec un miroir tournant à la place de la roue. « Les créneaux de la roue qui défilent sont remplacés par le miroir qui réfléchit ou pas la lumière suivant sa position » explique Marie-Christine Angonin. Cette modification a permis de préciser la valeur de la vitesse de la lumière.
JUSQU'AUX ORIGINES DE L’UNIVERS ?
L’expansion de l’univers a été mesurée par l'effet Doppler, qui en acoustique correspond au changement de son rapide que l’on entend quand un véhicule passe à côté de nous. Appliqué au contexte lumineux de l’étude stellaire, « une étoile qui émet de la lumière jaune va nous apparaître bleue si elle s’approche de nous », explique Angonin. « Si elle s’éloigne, cette étoile va nous apparaître plutôt rouge ». Or, les étoiles sont toutes composées d’hydrogène, élément qui présente des raies spectrales, apparaissent dans leur totalité, décalées vers le rouge.
Expliqué autrement, les astres, tout autour de nous, où qu’ils soient, s’éloignent. « C’est comme un cake aux raisins », explique la vice présidente de l’Observatoire de Paris, « en gonflant, chaque fruit va s’éloigner des autres ». Cette expansion suit les lois de la théorie de la relativité d’Einstein, ce qui fait qu’elle ne peut pas aller plus vite que la vitesse de la lumière, sans quoi, on ne pourrait pas voir ce qui nous entoure. Dans la mesure où cette théorie de la relativité reste cohérente partout, on peut remonter dans le passé jusqu’au moment du Big bang.