De mystérieux anneaux de poussière ont été repérés aux confins de notre galaxie
Le télescope spatial James Webb a photographié d'étonnants anneaux dans la Constellation du Cygne. Enfantés par un système stellaire à deux corps, ils contiennent des éléments à l’origine de toute structure complexe dans l’univers, y compris la vie.

Ces anneaux de poussière cosmique encerclent le système binaire Wolf-Rayet 140 et résultent de l'interaction des deux étoiles qui le composent. Leur espacement régulier vient du fait qu'ils se forment au cours du cycle orbital de huit ans des deux astres, lorsque leur proximité est la plus forte.
Quelque part, perdu dans la constellation du Cygne à 5 600 années lumières de notre bien-aimée planète bleue, se trouve un système stellaire très particulier. En 2022 et 2023, le télescope spatial James Webb est parvenu à capturer les images d’une époustouflante étreinte entre deux étoiles massives. La danse gravitationnelle qui unit les deux astres de la binaire Wolf-Rayet 140 (WR 140), se manifeste en projetant périodiquement d’importantes quantités de poussière stellaire régulièrement espacés autour du système.
Selon une étude publiée en janvier dans la revue scientifique The Astrophysical Journal Letters, cette confection cosmique en forme d’empreinte digitale de trois années lumière de circonférence, parcourt l’espace à une vitesse avoisinant 1 % de la vitesse de la lumière. Elle transporte ainsi une multitude d'éléments chimiques, comme le carbone, composant constitutif de toute matière – inerte ou vivante.
UNE BINAIRE WOLF-RAYET COMME ON NE L'AVAIT JAMAIS VUE
« Nous travaillions sur WR 140 depuis les années 1960, et il est à ce jour l’un des systèmes stellaires binaires les mieux étudiés », explique Emma P. Lieb, autrice principale de cette étude. Il a été découvert pour la première fois en 1867 par Charles Wolf et Georges Rayet, deux astronomes français de l’Observatoire de Paris. En pointant leur télescope de Foucault vers la constellation du Cygne, les scientifiques ont pu détecter des émissions inhabituelles provenant d’étoiles massives à l’aide d’un spectroscope.
« Toutes les étoiles, au cours de leur vie, connaissent un processus de fusion en leur cœur, détaille Emma Lieb. Pour les étoiles massives en particulier, cette fusion commence par les éléments les plus légers et progresse vers les plus lourds. Une étoile massive brûle donc d’abord l’hydrogène, puis l’hélium, ensuite l’oxygène, puis le carbone, et ainsi de suite. » Ainsi, la signature spectroscopique des étoiles permet de déterminer leur composition chimique et notamment leur stade évolutif.
Le travail de Wolf et Rayet a permis de déterminer que ces étoiles massives sont à la fin de leur cycle d’évolution. Elles ont achevé leur processus de fusion et épuisé toutes leurs ressources d’hydrogène. Il se créer alors un déséquilibre avec la pression gravitationnelle, libérant progressivement les couches externes de l’étoile, riches en carbone, oxygène et azote. « Les étoiles WR génèrent donc des vents stellaires très puissants », reprend la chercheuse.
Les systèmes stellaires binaires Wolf-Rayet possèdent deux étoiles : une de type Wolf-Rayet qui a donc atteint un stade riche en carbone, et une autre, encore plus massive et chaude (une étoile bleue dite de type OB, aussi puissante que sa vie est brève). Cette configuration à deux corps célestes est aussi théoriquement possible dans un système stellaire à trois corps, bien plus instable, où trois étoiles, dont une Wolf-Rayet, gravitent les unes autour des autres. C’est l'interaction des étoiles qui engendre la formation et la projection d’immenses quantités de gaz et de poussières.

Le télescope spatial James Webb est parvenu à prendre ces clichés époustouflants en très haute résolution du système Wolf-Rayet 140 à une année d’intervalle. Le cliché de gauche a été pris en 2022 tandis que celui du centre correspond à l’année 2023. L'image de droite compare les secteurs encadrés dans chacune des images et révèle la distance parcourue en une année par les 17 coquilles de poussière régulièrement espacées qui entourent le système.
Le phénomène dure plusieurs mois et se produit cycliquement tous les huit ans. Les étoiles de WR 140 sont en effet toutes deux sur une orbite oblongue, et c’est le temps qu’il leur faut pour « faire un tour complet » et se rapprocher à nouveau l’une de l’autre. Lorsqu’elles sont à proximité, les vents stellaires que chacune génère entrent en collision, comprimant les matériaux qui s'y trouvent.
Cette action crée des sortes de « bulles de matière » riche en éléments comme le carbone, qui grandissent et s’écartent peu à peu des deux astres. Plus elles s’éloignent, plus elles se refroidissent et se condensent pour former les incroyables anneaux de poussière immortalisés par le JWST. Puis, continuant leur trajet sur leur orbite respective, les deux étoiles s’écartent à nouveau, avant de se retrouver huit ans plus tard et de créer un nouvel anneau.
Les images exceptionnelles prises par le télescope spatial James Webb à précisément quatorze mois d’écart, outrepassent toutes les analyses photométriques et observations radio réalisées jusqu’alors. Elles apportent une compréhension inédite de ce système à deux étoiles et aux dix-sept anneaux de poussière.
« On estime que les anneaux de WR140, chargés à chaque nouveau cycle de plusieurs centaines de masses terrestres de poussière, sont propulsés dans la Voie Lactée depuis environ cent-cinquante ans et viennent enrichir le milieu interstellaire. » Pour la première fois, les scientifiques peuvent également mesurer la distance parcourue par cette poussière en une année, et en estimer la vitesse. « Nous avons calculé qu’elle s’éloigne des étoiles à 2700 km/s, soit presque 1 % de la vitesse de la lumière, fait remarquer l'astrophysicienne. C’est une vitesse extrêmement élevée, mais pas surprenante, car elle correspond à peu près à la vitesse des vents stellaires (WC7) de ces étoiles massives. »
Connaître ces données permet d’envisager une compréhension plus complète du processus d’enrichissement chimique des galaxies.
LA POUSSIÈRE STELLAIRE, GRANDE ARCHITECTE DU COSMOS
« Le champ de dispersion de la poussière autour de WR 140 s’étend bien au-delà des dix-sept anneaux visibles. Il englobe des dizaines de milliers d’unités astronomiques (UA : distance Terre-Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres, ndlr), soit des centaines de fois la taille de notre système solaire », explique Emma Lieb. Et ce phénomène est primordial.
« Il existe un facteur appelé le budget de poussière, qui correspond à la quantité de poussière présente dans une galaxie », détaille la chercheuse. Les composants, éléments et atomes fondamentaux contenus dans cette poussière contribuent à la formation de molécules plus complexes dans le cosmos environnant. Ces molécules permettent à leur tour la formation de corps célestes. Plus ce budget est élevé au sein d’une galaxie, plus la probabilité de formation de systèmes stellaires et planétaires augmente.
« Or, là où des planètes se forment, il existe une possibilité que la vie émerge. »

Dans cette image infrarouge, les vents stellaires d'une étoile géante provoquent la formation d'ondulations dans la poussière interstellaire. Ces poussières d'étoiles existent en très grandes quantités, et contiennent de l'oxygène, du carbone, du fer, du nickel et tous les autres éléments. Une partie de cette poussière finit par se retrouver dans notre organisme.
Cette poussière qui contient les « briques fondamentales de la vie » et de la matière peut être produite dans différents contextes et par plusieurs sortes de « réacteurs » :
- Certains systèmes WR, comme WR140 que l'on vient de voir, bien que l'on ignore encore la place qu’ils occupent dans la production de poussière.
- Les étoiles AGB (Asymptotic Giant Branch) : un type d’étoile très massive, riche en carbone et capable de produire de la poussière tout au long de son évolution. Elles sont à ce jour considérées comme les premiers producteurs de poussière.
- Les supernovas : des explosions qui peuvent survenir à la mort d’une étoile et éventuellement contribuer à l'enrichissement de l’environnement chimique de l’univers si l’étoile en question est suffisamment massive.
La Voie Lactée compte probablement une centaine de systèmes binaires de type WR. L’astrophysicienne fait cependant remarquer que « les producteurs de poussière sont plus rares, car ils doivent être riches en carbone et disposer d’une configuration permettant aux vents stellaires d’entrer en collision. » Seuls quelques systèmes semblables à WR 140 ont été découverts, notamment dans le Grand et le Petit Nuage de Magellan. « Il n’y en a probablement pas plus d’une douzaine dans notre galaxie et l’un de nos principaux objectifs est de déterminer s’ils sont des contributeurs significatifs de poussière. »
« La quantité de poussière produite par un système comme celui-ci joue un rôle important dans la définition de notre voisinage cosmique d’exoplanètes, confie Emma Lieb. Plus nous comprenons cet environnement, plus nous avons d’informations pour déterminer quelles sont les planètes similaires à la Terre, où elles se trouvent et quelle est la probabilité qu’elles puissent héberger la vie. »
