La chasse aux météorites est lancée en Allemagne après le passage d’un astéroïde
L’astéroïde 2024 BX1 est entré dans l’atmosphère terrestre au-dessus de l’Allemagne. Les chercheurs et les astronomes amateurs se sont réunis pour en collecter des fragments dans le Brandebourg, au nord-ouest de Berlin.
Une partie du groupe de recherche du Musée d'histoire naturelle de Berlin, de la Freie Universität Berlin et du Centre allemand pour l'aéronautique et l'astronautique, se lancent à la recherche de météorites dans le Havelland.
Il est 7h19 lorsque nous recevons un SMS du professeur Lutz Hecht. « Nous serons toute la journée près de Berge, au nord de Nauen, si vous souhaitez vous joindre à nous ». Dehors, Berlin est encore plongée dans l’obscurité et la pluie tombe.
Lutz Hecht est géochimiste et pétrologue à l’Institut Leibniz pour la recherche sur l’évolution et la biodiversité du Musée d'histoire naturelle de Berlin (Museum für Naturkunde ou MfN), et professeur adjoint à l’Institut des sciences géologiques de l’université libre de Berlin. Mais depuis trois jours, ce scientifique se consacre à une autre activité : la recherche de météorites. Ces précieux fragments de roche venus d’ailleurs sont tombés sur Terre, dans le Brandebourg, la nuit du 21 janvier dernier. Personne ne connaît leur localisation exacte, mais Lutz Hecht et son équipe sont déterminés à les retrouver.
Nous sommes autorisés à suivre l’équipe du scientifique au quatrième jour des recherches. « Prévoyez des vêtements imperméables. Il devrait arrêter de pleuvoir, mais une tempête est prévue », nous recommande le géochimiste.
UNE VISITE SURPRISE DEPUIS L’ESPACE
C’est sous la forme d’une météorite que l’astéroïde 2024 BX1 (aussi connu sous le nom de Sar2736) est entré dans l’atmosphère terrestre à 1h30 du matin, au-dessus de l’est de l’Allemagne. La boule de feu était si lumineuse qu’elle a été observée à Leipzig et Prague, en République tchèque. Les chercheurs et les astronomes amateurs soupçonnaient que des fragments de l’astéroïde (des météorites) étaient tombés dans le Pays de la Havel, dans le Brandebourg, au nord-ouest de Berlin.
Le 24 janvier, Lutz Hecht avait déjà passé trois journées infructueuses à la recherche de ces fragments venus d’ailleurs. Il n’était et n’est pas seul dans cette quête : entre quatorze et vingt scientifiques se sont joints à lui, notamment des collègues du MfN, des étudiants de l’université libre de Berlin, des scientifiques du Centre aérospatial allemand (DLR) sans oublier l’astronome néerlando-américain Peter Jenniskens de l’Institut SETI, venu tout droit de San Francisco. Expert dans le domaine de la recherche de météorites provenant d’astéroïdes, il apporte à l’équipe ses connaissances. L’astronome a déjà pris part à trois recherches fructueuses, dont la dernière a eu lieu en France en 2023. Celle qu’il mène aujourd’hui en Allemagne a une signification particulière pour lui, les météorites de taille moyenne s’écrasant rarement sur des terres émergées faciles d’accès.
Vers 9 heures, nous retrouvons le professeur Hecht dans un champ en bordure du village de Ribbeck, dans l’arrondissement du Pays de la Havel, dans le Brandebourg. Emmitouflé dans une parka chaude, un bonnet rouge et bleu sur la tête et des chaussures de randonnée marron aux pieds, il doit élever la voix pour se faire entendre malgré le vent. 15 personnes sont aujourd’hui présentes, et malgré le temps changeant et l’heure matinale, la bonne humeur est au rendez-vous. On plaisante et on discute des premiers fragments de roche trouvés.
L’équipe traverse lentement les champs, les pâtures recouvertes de roseaux et un petit ruisseau des environs du village de Berge. Formant une longue ligne s’étalant de part et d’autre d’un champ, les scientifiques scrutent le sol, séparés de quelques mètres pour couvrir le plus de terrain possible. De loin, ils donnent l’impression de rechercher des champignons ou une personne portée disparue. Comme ils n’ont pas emmené de matériel ou de chiens renifleurs avec eux, ils s’aident de simples loupes pour examiner de plus près les pierres trouvées.
Il y a quelques jours, le sol était gelé et recouvert d’une fine couche de neige. Aujourd’hui, les recherches s’effectuent dans la boue. « La météo ne nous facilite pas la tâche », souffle Lutz Hecht.
Lorsque des fragments de roche provenant de l’espace tombent sur Terre, il n’y a pas de temps à perdre. Les facteurs environnementaux comme la pluie et les processus biologiques des sols contaminent les météorites et les rendent de plus en plus semblables aux roches terrestres avec le temps. Il est alors plus difficile de les identifier.
UNE TRAJECTOIRE IDENTIFIÉE
S’appuyant sur des calculs mathématiques, les chercheurs ont pu déterminer la trajectoire du corps céleste et ainsi restreindre la zone de recherche à une bande de quelques kilomètres carrés. En fonction de leur taille et de leur poids, les fragments de l’astéroïde sont tombés au sol à différents endroits du champ de dispersion : les plus gros à l’ouest et les plus petits à l’est.
« Nous nous sommes d’abord rendus à Nennhausen, où l’on pensait que les météorites étaient tombées, confie le Dr Ansgar Greshake, collègue de Lutz Hecht et directeur scientifique de la collection de météorites du MfN. Mais de nouveaux calculs prenant en compte la vitesse du vent ont démontré que nous devions chercher un peu plus à l’est ». Le temps était en effet orageux la nuit où les météorites sont tombées sur Terre à une vitesse de 15 km/s depuis une altitude de 30 kilomètres. Ces paramètres ont influencé la vitesse à laquelle les corps célestes se sont écrasés au sol et leur direction.
« L’astéroïde ne mesurait qu’environ 1 mètre de diamètre », explique Ansgar Greshake. Il s’est embrassé en entrant dans l’atmosphère terrestre et ce qui en restait s’est fragmenté en milliers de petits morceaux qui sont tombés en se dispersant sur quelques kilomètres. « Si la chance nous sourit, nous en trouverons dans l’un de ces champs », ajoute-t-il.
DES MÉTÉORITES CONVOITÉES
Dès les premières heures, le dimanche matin, les chasseurs de météorites étaient déjà à la recherche de fragments de l’astéroïde. Ce qui s’apparente pour certains à une pluie dangereuse de roches a à leurs yeux une valeur scientifique et financière.
Les météorites contiennent des informations sur l’espace, et donc des preuves éventuelles de l’existence de formes de vie. Si les scientifiques trouvent ce qu’ils recherchent, ils examineront ensuite les météorites en laboratoire. « Grâce à des analyses menées en laboratoire, nous pouvons déterminer avec exactitude depuis combien de temps la météorite est sur Terre, la durée du voyage qu’elle a entrepris et même le temps qu’elle a passé dans l’espace avant ça », détaille le Dr Ansgar Greshake. Et ce n’est pas tout : il est aussi possible d’identifier le type d’astéroïde dont il est question, son orbite et son origine (à savoir, la zone de l’espace qu’elle a quitté et quand).
Ces informations aideront les scientifiques à mesurer plus précisément les astéroïdes et à mieux prévoir les éventuels dommages qu’ils pourraient occasionner.
Ces pierres ont à peu près la taille de fragments de météorites. Mais il est probable que les morceaux de roche venus de l'espace soient encore plus petits.
Trouver une météorite peut aussi être financièrement intéressant. « Il existe un véritable marché de collection, comme pour les timbres, mais plus petit », indique le Dr Ansgar Greshake. Certaines personnes sont prêtes à débourser une véritable fortune pour acquérir l’une de ces pierres : une météorite découverte en 2023 dans le jardin d’une maison d’Elmshorn, dans le nord de l’Allemagne, est actuellement en vente pour la modique somme de 200 000 euros.
LES CHASSEURS DE MÉTÉORITES SUR LE COUP
« Chaque année, je reçois environ 150 demandes du monde entier, la plupart du temps de particuliers, pour classer les météorites découvertes », rapporte le Dr Ansgar Greshake du MfN. Parmi eux figurent Michael Kobusch et sa femme Yilda Conquista, qui recherchent seuls des météorites quelques champs plus loin que l’équipe sur le terrain. Depuis le week-end du 20-21 janvier, le couple qui vit près de Brunswick passe au crible le Brandebourg.
« Les plus grandes météorites que nous avons à la maison pèsent deux kilos », rapporte Michael Kobusch avant de souligner que chaque pays dispose de sa propre législation relative à la possession de telles roches, qui peut fortement différer d’un État à l’autre, même au sein de l’Europe.
Le collectionneur est scientifique au Physikalisch-Technische Bundesanstalt (PTB) de Brunswick. « Nous avons loué un logement pour une semaine afin d’être sur le terrain », explique-t-il. Le couple obtient des informations sur le champ de dispersion des météorites sur Internet, sur le site de l’International Meteor Organization (IMO) et le blog d’astronomie Skyweek Two Point Zero.
COMMENT TROUVER UNE MÉTÉORITE
Tamina Dreßler, étudiante en géologie, participe aujourd’hui aux recherches avec l’équipe. « Nous avons vu des météorites de la collection lors de nos études, donc nous avons une idée de ce que nous cherchons, mais on est jamais trop sûrs », déclare-t-elle. Les météorites peuvent avoir une variété d’aspects différents. Les chercheurs qui s’activent dans le Brandebourg doivent donc chercher une aiguille dans une botte de foin, sans savoir précisément à quoi ressemble cette aiguille.
« Nous cherchons des pierres de quelques centimètres et pesant jusqu’à cinq grammes », précise Peter Jenniskens, le spécialiste des météorites venu des États-Unis. Les météorites sont souvent des pierres compactes présentant une fine croûte de fusion. « En général, elles sont noires sur l’extérieur et peuvent comporter différentes couleurs à l’intérieur selon la matière qui les composent », poursuit l’astronome. Contrairement à ce que bon nombre d’entre nous pensent, la surface de la plupart des météorites n’est pas lisse, mais veloutée.
POURQUOI LES MÉTÉORITES TOMBENT-ELLES SUR TERRE ?
Si Peter Jenniskens est venu tout droit des États-Unis, c’est parce que les météorites du Brandebourg sont extraordinaires. Rares sont les astéroïdes dont on sait tant de choses sur leur impact et dont des fragments visibles depuis l’espace tombent dans des zones habitées. Bien que des astéroïdes s’enflamment dans l’atmosphère terrestre et que des météorites tombent sur Terre chaque jour, les fragments ne mesurent la plupart du temps que quelques millimètres et passent donc inaperçus.
Les météorites de plus grande taille s’écrasent principalement dans les océans ; un tout petit nombre tombent dans des déserts de glace ou de sable, comme l’Antarctique, le désert d’Atacama au Chili ou les déserts nord-africains comme le Sahara ; un nombre encore plus faible atteint les zones habitées. Pourquoi ? Parce que les océans représentent 70 % de la surface terrestre. Les chasseurs de météorites tendent à chercher ces corps célestes dans les déserts, où ils sont plus faciles à repérer sur le sol à la texture lisse et homogène qu’au beau milieu d’un champ cultivé en Allemagne.
Comme presque toutes les météorites, celles qui sont tombées dans le Brandebourg proviennent de la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Les astéroïdes y tournent en orbite autour du soleil, comme les planètes. Il arrive parfois que deux d’entre eux se percutent ; les fragments résultant du choc sont alors catapultés hors de l’orbite et peuvent être entraînés dans l’atmosphère par la gravité terrestre s’ils passent suffisamment près de notre planète. Plus de 90 % de la masse d’un astéroïde se consume à son entrée dans l’atmosphère, ce qu’il reste correspond aux météorites qui finissent par tomber sur Terre.
Lutz Hecht utilise une loupe pour déceler les moindres détails des roches - et donc les preuves potentielles qu'il s'agit bien d'un fragment de météorite.
DES RECHERCHES DIFFICILES
Il est maintenant 13 heures et toujours aucun signe de météorite. L’équipe passe à l’étape suivante et se dirige vers une nouvelle zone de recherche. « Nous sommes désormais dans la zone où les météorites tombées mesurent entre deux et cinq grammes. Celles retrouvées lors des derniers passages d’astéroïdes se situaient dans cette gamme de masse », indique Peter Jenniskens. Les petits morceaux de météorites tombent sur une zone très étroite mesurant entre 200 et 700 mètres. « Nous devons d’abord localiser cette zone », ajoute l’astronome.
Au bout de quelques minutes, Lutz Hecht se penche pour ramasser un morceau de roche pas plus gros qu’une olive, de couleur noire et aux angles arrondis. « Du silex », souffle-t-il en l’examinant avec une loupe. Pas de chance.
« Si vous vous y connaissez, vous pouvez rapidement déterminer de quel type de pierre il s’agit, explique le géologue. Dans les champs de la région, il y a beaucoup de boulders, des morceaux de roche de Scandinavie arrivés ici lors de la dernière période glaciaire ». On y trouve aussi des morceaux de goudron, de charbon ou d’agate, une variété de quartz, des excréments d’animaux et quelques fois de petites météorites.
Dans l’après-midi, les scientifiques sont rejoints par une collègue accompagnée de son fils de quatre ans. Tout le monde commence à être fatigué. « Chaque paire d’yeux compte, même les yeux d’un très jeune scientifique », souligne le Dr Ansgar Greshake. Le vent dans le dos, le groupe se remet en route vers l’est dans la ligne de la trajectoire.
Les recherches continuent jusqu’à la tombée de la nuit, en vain. Peter Jenniskens souhaite poursuivre les efforts jusqu’au week-end. L’équipe de scientifiques prévoit d’être sur le site chaque jour. Quelle est la probabilité qu’ils trouvent quelque chose ? « Cela dépendra de notre persévérance et de notre chance », confie le Dr Ansgar Greshake.
DES MÉTÉORITES EXTRÊMEMENT RARES
Le vendredi 26 janvier, c’est la délivrance. Alors qu’une équipe originaire de Pologne est parvenue à trouver une météorite la veille au soir, l’équipe composée des scientifiques du MfN, de l’université libre de Berlin et du DLR fait elle aussi une découverte de taille. Les immenses sourires que l’on voit sur la photo transmise à la presse en disent long.
Les deux fragments de l’astéroïde 2024 BX1 que l’équipe a trouvé près de Berge à la mi-journée le 26 janvier font à peu près la taille d’une noix. Contre toute attente, ils ne sont pas noirs, mais grisâtres, et comportent des inclusions blanches. Ils sont donc extrêmement rares. Renferment-ils des preuves de l’existence d’éléments constitutifs de formes de vie extraterrestre ? Cela reste à voir. En tout cas, c’est un nouveau chapitre de la passionnante recherche des météorites du Brandebourg qui s’ouvre.
Lutz Hecht et Peter Jenniskens posent avec des étudiants de l'université libre de Berlin et des scientifiques. L'avant-dernier jour de Jenniskens en Allemagne, l'équipe a réussi : deux météorites présumées de la taille d'une noix clôturent une opération de recherche de près d'une semaine.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.de en langue allemande.