Les plus anciennes galaxies de l’Univers sont désormais à portée de télescope
En révélant l’existence d’amas lointains d’étoiles s’étant formés quelques millions d’années à peine après le Big Bang, le télescope spatial James-Webb pose aussi de nouvelles énigmes quant à la façon dont l’Univers a évolué.
Grâce au télescope spatial James-Webb, des astronomes ont pu scruter l’Univers primordial et ont découvert des galaxies qui existaient déjà 300 à 400 millions d’années après le Big Bang.
Lorsqu’il n’en était qu’à ses balbutiements, l’Univers n’était en rien semblable au cosmos que nous connaissons aujourd’hui. Au début régnait l’obscurité : pas d’étoiles, ni de galaxies, mais une soupe céleste en train de mijoter. Quelques centaines de millions d’années après le Big Bang, l’apparition des premières galaxies (dont la formation demeure en grande partie une énigme) a initié une suite de transformations qui ont eu pour effet de peupler le cosmos de nouvelles galaxies telles que la nôtre, la Voie lactée.
Récemment, des astronomes scrutant notre passé lointain ont découvert des galaxies primitives qui seraient apparues plus tôt et auraient grandi plus rapidement qu’on ne le pensait.
La lumière émise par certaines de ces galaxies, captée par le télescope spatial James-Webb (JWST) de la NASA, a parcouru le cosmos à toute allure pendant 13,4 milliards d’années environ avant de heurter les miroirs dorés de l’appareil. S’il n’est entièrement opérationnel que depuis six mois, le JWST n’a pas attendu pour commencer à lever le voile sur l’aube de l’histoire galactique. Le télescope a notamment découvert deux galaxies qui sont les plus lointaines à avoir jamais été observées et a identifié d’autres candidates intrigantes qui attendent d’être authentifiées.
« Nous voyons ce à quoi les galaxies ressemblaient à une époque où l’Univers n’avait que 300 ou 400 millions d’années », a annoncé Jane Rigby, coordinatrice scientifique des opérations du JWST, devant un auditorium bondé à l’occasion de la réunion de l’Union américaine d’astronomie (AAS) qui s’est tenue au mois de janvier à Seattle.
De multiples équipes se servent du JWST pour scruter l’obscurité primordiale où se tapissent des galaxies primitives qui pourraient fournir de nouvelles perspectives cosmogoniques. Dans l’Univers, tout a commencé par un « bang » il y a 13,7 milliards d’années environ, et l’ensemble des étoiles, des planètes et des individus qui le peuplent aujourd’hui sont le produit de milliards et de milliards d’années d’évolution cosmique. Mais leurs racines, qui ont germé dans la prime enfance du cosmos, demeurent dissimulées derrière un voile de poussière. Le JWST et son œil infrarouge extrêmement sensible ont été conçus pour transpercer ce voile.
Il tarde aux astronomes ravis par les premiers succès du JWST de découvrir jusqu’où ce dernier peut voir. Certaines galaxies dont l’éclat remonte peu ou prou aux premiers temps de l’Univers posent d’ores et déjà de nouvelles énigmes.
« Il y en a énormément, trop nombreuses, trop grosses, trop brillantes, trop chaudes, trop matures et trop primitives », déclarait John Mather, chef de projet scientifique du JWST, lors de la réunion de l’AAS à Seattle.
SONDER LES PROFONDEURS DE L’ESPACE ET DU TEMPS
Les télescopes comme le JWST sont en quelque sorte des machines à voyager dans le temps. Les braquer sur des objets lointains revient à regarder dans un passé tout aussi lointain. La lumière captée ainsi nous livre ces objets tels qu’ils étaient lorsqu’ils ont commencé à briller, parfois il y a plusieurs millions ou milliards d’années.
En voyageant dans le cosmos en expansion, la longueur d’onde de la lumière s’étire et rougit de plus en plus. Les astronomes savent mesurer l’ampleur de cet étirement, qu’on nomme « décalage vers le rouge » ou « redshift », et peuvent s’en servir pour calculer la distance d’un objet. Plus ce décalage vers le rouge est important, plus un objet est lointain.
En 800 expositions réalisées entre 2003 et 2004, le télescope spatial Hubble a capturé le panorama le plus profond et le plus détaillé jamais réalisé de l’Univers visible jusqu’alors : le « champ ultra-profond de Hubble », que l’on voit ici. En braquant le JWST sur la même région du ciel, des astronomes ont découvert certaines des plus anciennes galaxies connues à ce jour.
L’étude des objets cosmiques au décalage vers le rouge élevé est l’une des priorités du JWST. Juché à des millions de kilomètres de la Terre, le télescope capte les rayonnements infrarouges. Cela en fait un instrument idéal pour détecter des longueurs d’onde plus élevées, c’est-à-dire plus rouges. D’ailleurs, les galaxies identifiées par le JWST obligent d’ores et déjà les astronomes à redéfinir ce qu’on entend exactement par redshift élevé (ou « high-z »).
« Le JWST a bouleversé notre définition de ce qu’est un high-z élevé », nous écrit par e-mail Guido Roberts-Borsani de l’Université de Californie à Los Angeles. Selon lui, en 2015, le redshift des galaxies les plus lointaines que l’on connaissait était de 8 ou de 9. Mais l’identification par le télescope Hubble d’une galaxie (GN-Z11) dont le décalage vers le rouge était d’environ 11 nous a révélé que les premières galaxies étaient nées bien plus tôt encore.
« Aujourd’hui, grâce au JWST, c’est de l’histoire ancienne », indique-t-il. L’horizon du redshift a été repoussé à 12 ou 13, ce qui correspond à des âges de 13,3 ou 13,4 milliards d’années.
À LA RECHERCHE DU ROUGE
Depuis des décennies, les astronomes se bousculent pour découvrir les galaxies aux redshifts les plus élevés, d’abord avec les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer, et aujourd’hui avec le JWST. La compétition entre équipes cherchant à identifier une tenante du titre a toujours été assez féroce, mais cela pourrait être en train de changer. Lors d’une réunion scientifique qui s’est tenue au mois de décembre à l’Institut des sciences du télescope spatial (STScI), à Baltimore, Emma Curtis-Lake, astrophysicienne de l’Université du Hertfordshire, a coupé le souffle à l’assistance entière lorsqu’elle a présenté de nouvelles galaxies battant tous les records.
« Nous avons complètement changé de régime, c’est la première fois que nous avons la confirmation [qu’il existe] des choses au-delà de ce que Hubble pouvait voir, et ce n’est que le début », s’est réjouie Emma Curtis-Lake, qui est également membre du groupe « JWST Advanced Deep Extragalactic Survey (JADES) », auprès de National Geographic.
La galaxie du Fantôme, M74, brille de tous ses feux sur cette photo qui est en fait l’assemblage d’une image combinée produite par Hubble et d’un cliché capturant des infrarouges moyens réalisé par le JWST. L’étude des toutes premières galaxies de l’Univers peut aider les astronomes à comprendre comment des galaxies modernes telles que M74 ont pu se former.
Pendant l’été, le JADES a sondé une région du ciel de l’hémisphère sud déjà bien balisée (un pan du célèbre champ ultra-profond de Hubble) à la recherche de galaxies primordiales. Les chasseurs de galaxies du groupe ont d’abord trié les 100 000 galaxies saisies en un seul cliché par la NIRCam du JWST. Cet instrument est capable de donner des estimations du décalage vers le rouge en appliquant divers filtres à la lumière émise par une galaxie. Ils ont ensuite braqué un autre instrument du JWST, le spectromètre NIRSpec, sur les cibles les plus intrigantes.
Ce spectromètre est en mesure de révéler le redshift exact d’une galaxie, et donc son âge et sa distance, grâce aux intervalles qu’il décèle dans le spectre de lumière provenant de ces galaxies. D’après Brant Robertson, membre de l’équipe JADES et professeur à l’Université de Californie à Santa Cruz, ces mesures spectroscopiques sont plus précises que jamais, raison pour laquelle les astronomes considèrent qu’elles ont valeur de confirmation en ce qui concerne le redshift d’une galaxie.
Emma Curtis-Lake, Brant Robertson et leurs collègues ont confirmé les distances de quatre galaxies qui peuplaient le cosmos primordial lorsque ce dernier n’avait que 300 ou 400 millions d’années. Deux d’entre elles, bien qu’elles se trouvent à une distance sidérante, avaient également été épiées par Hubble. Les deux autres se trouvent bien au-delà du champ de vision de Hubble et ont des redshifts de 12,6 et de 13,2. Ces galaxies sont en grande partie composées d’éléments plus légers comme l’hydrogène et l’hélium, car elles ont vu le jour avant que des éléments plus lourds n’aient le temps de se former et d’exister en grandes quantités.
« Elles sont un peu comme des bambins dans un Univers qui n’a pas encore vraiment démarré », illustre Emma Curtis-Lake.
UNE FAMILLE DE GALAXIES PRIMITIVES
Des astronomes du programme Cosmic Evolution Early Release Science (CEERS) effectuant un autre balayage afin de découvrir des galaxies primitives ont annoncé avoir découvert de nouvelles de galaxies lors de la réunion de l’AAS, dont bon nombre ont un redshift qui se situe entre 8 et 9. La première mosaïque du CEERS, un composite constitué de 690 vues individuelles qui détaille une région du ciel située au niveau de la poignée de la Grande Casserole de la Grande Ourse, est le plus grand balayage photographique réalisé par le JWST à avoir été publié à ce jour.
« Vous allez passer un bon bout de temps à naviguer sur ces images en zoomant », prévenait Steve Finkelstein de l’Université du Texas à Austin au STScI de Baltimore. « Vous risquez de bien vous amuser. »
Bien qu’aucune des galaxies authentifiées par le CEERS ne soient aussi lointaines que les quatre repérées par le groupe JADES, une galaxie qui reste à authentifier et que les astronomes continuent d’étudier pourrait battre tous les records. La candidate en question ressemble à une tache floue et son décalage vers le rouge est estimé à 16, ce qui signifie que cet objet pourrait être extraordinairement jeune (ou ancien selon la perspective) et lointain. L’équipe a également dévoilé une galaxie en forme de tomate, qui a été nommée « galaxie de Maisie » en l’honneur de la fille de Steve Finkelstein, et dont le redshift serait de 12.
« Il s’agissait d’une candidate tout à fait plausible, et ça valait bien la peine de rédiger un article le jour de l’anniversaire de ma fille, d’où le nom de ‘galaxie de Maisie’ », a-t-il expliqué lors de la réunion de Baltimore.
Ces deux galaxies sont en attente d’une validation spectroscopique. Pendant ce temps, d’autres équipes s’échinent à identifier des candidates à redshift élevé sur les premières images qui nous parviennent du JWST. L’une de ces équipes, dirigée par Haojing Yan de l’Université du Missouri, affirme avoir repéré quatre-vingt-sept galaxies dont le décalage vers le rouge s’échelonne de 11 à 20. Ces prétendantes au titre suprême doivent elles aussi encore être authentifiées.
« Je parie 20 dollars et une bière – une très grande – que le taux de réussite devrait être de plus de 50 % », a clamé Haojing Yan devant des journalistes lors de la réunion de l’AAS.
D’après lui, si ne serait-ce qu’une petite fraction de ces candidates s’avéraient aussi lointaines qu’estimé initialement, alors « il faudra revoir la façon dont nous aimions autrefois à nous représenter la formation des galaxies dans l’Univers primordial».
TESTER LES LOIS DE LA NATURE
À première vue, il semble que l’Univers primordial ait été plus doué pour mijoter des étoiles et des galaxies que ne l’avaient anticipé les scientifiques.
« Les galaxies que nous découvrons à ces [niveaux de] décalage vers le rouge sont plus nombreuses que ce qu’on pouvait espérer sur la foi de précédentes observations, et elles sont également plus lumineuses qu’attendu pour des décalages vers le rouge de ce type, écrit Guido Roberts-Borsani. Pour s’adapter à ce ‘nouveau’ cadre, on doit partir du principe que les galaxies ont commencé à se former plus tôt et qu’elles l’ont fait plus rapidement qu’on ne le pensait. »
Guido Roberts-Borsani est membre du groupe GLASS-JWST, qui est lui aussi à la recherche de galaxies à redshift élevé et qui les étudie afin de comprendre l’évolution cosmique. Le groupe s’est intéressé à un pan de ciel tapi derrière un amas géant de galaxies et a déjà découvert une poignée de ce qui semble être des galaxies primordiales ; davantage que ce que les simulations avaient prédit. « Quelque chose cloche un peu par là-bas », a annoncé Guido Roberts-Borsani aux astronomes de Baltimore.
Il y a toutefois selon lui des façons d’expliquer cette surabondance apparente sans avoir à rompre avec les lois admises de l’Univers. Des télescopes comme le JWST ne peuvent procéder que par petits pans de ciel et donc les astronomes pourraient être en train d’étudier des portions du cosmos qui se trouvent par hasard être exceptionnellement riches en galaxies. Une autre possibilité est que ces galaxies primitives sont simplement plus lumineuses qu’espéré, peut-être parce que la formation des étoiles fonctionnait autrement qu’on ne le croit. Une troisième possibilité est que les estimations réalisées à partir des observations de Hubble sont incomplètes à cause des capacités d’observation limitées du télescope et peut-être, pour des raisons qui restent à éclaircir, que l’Univers primordial était plus doué pour produire de la lumière que nous ne l’avions anticipé.
De futures études élucideront, on peut l’espérer, ces questions. Une chose est certaine, comme le rappelle Steve Finkelstein, le JWST a d’ores et déjà prouvé aux astronomes que l’Univers primordial était « plus riche en étoiles que nous ne le pensions ! ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.