Lucy, la sonde de la NASA, va tenter de percer les mystères du système solaire
Le 16 octobre dernier, la NASA a lancé sa nouvelle sonde Lucy depuis Cape Canaveral. La sonde est la première à étudier d’aussi près un groupe d’astéroïdes gravitant sur la même orbite que Jupiter.
Pendant 12 ans, la sonde Lucy de la NASA va étudier sept astéroïdes situés aux abords de Jupiter, dont le système binaire Patrocle et Ménétios, offrant ainsi un premier aperçu des énigmatiques astéroïdes troyens de la géante gazeuse.
Par-delà la ceinture principale d’astéroïdes, à côté de la gigantesque Jupiter, des centaines de milliers de corps célestes inexplorés, au diamètre inférieur à 225 km, détiennent le secret de la formation de notre système solaire.
Le 16 octobre dernier, la NASA a lancé sa nouvelle sonde Lucy depuis Cape Canaveral, en Floride, pour une mission d’étude des astéroïdes troyens de Jupiter. Au cours de ce voyage de 12 ans et de plus de 6 milliards de kilomètres, Lucy plongera ponctuellement dans deux essaims d’astéroïdes précédant ou suivant Jupiter tandis qu’elle orbite autour du Soleil. La sonde survolera aussi sept troyens avant d’en étudier un huitième, situé dans la ceinture principale d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter.
« Lucy étudiera une zone encore inexplorée de notre système solaire », a confié Adriana Ocampo, responsable du programme Lucy au siège de la NASA, à Washington, lors d’une conférence de presse le 14 octobre 2021.
Des astéroïdes troyens de Jupiter, nous n’avons rien vu de plus que les points lumineux qu’ils créent dans le ciel la nuit. Lucy les approchera à une distance de 965 km. Au cours de cette mission, la sonde décrochera le record du plus grand nombre d’astéroïdes visités par un engin spatial.
Sur ce cliché pris le 14 octobre 2021 sur la base de lancement Cape Canaveral en Floride, la fusée United Launch Alliance Atlas V, surmontée de la sonde Lucy, est acheminée jusqu’à la rampe de lancement du complexe de lancement spatial 41.
Lucy atteindra sa première étape, la ceinture principale d’astéroïdes, en 2025. Elle rejoindra ensuite les troyens de Jupiter, qu’elle étudiera de 2027 à 2033 au cours de plusieurs vols de reconnaissance. Les données collectées par la sonde relatives à la couleur des astéroïdes, leur composition, leur densité et leurs cratères, aideront les chercheurs à déterminer la période et la zone de leur formation dans le système solaire.
Lucy, qui n’est que la dixième sonde à s’aventurer aussi loin que Jupiter, permettra aussi de simuler l’origine du système solaire, en dévoilant la manière dont se sont formés nos voisins célestes qui orbitent autour du Soleil.
Le nom « Lucy » n’a pas été choisi au hasard ; il est inspiré du célèbre fossile du même nom, un squelette vieux de 3,2 millions d’années qui appartenait à un cousin ancestral des hommes modernes. Les astéroïdes troyens de Jupiter sont en quelque sorte les équivalents cosmiques de ces ossements emblématiques : en préservant les vestiges d’un passé lointain, ils aident les scientifiques à comprendre le présent.
« Ce sont les fossiles des éléments à partir desquels les planètes se sont formées », a expliqué Hal Levison, chercheur principal de la mission Lucy et également chercheur au Southwest Research Institute du Colorado, lors d’une conférence de presse le 13 octobre dernier. « Pour comprendre les origines du système solaire, il faut étudier ces petits corps ».
UN PÉRIPLE TITANESQUE
La mission de Lucy repose sur une trajectoire complexe au cours de laquelle la sonde orbitera pendant six ans autour du Soleil. Après une série de vols de reconnaissance à proximité de la Terre dans le but de bénéficier de sa pesanteur pour plus de performance, Lucy survolera l’astéroïde 52246 Donaldjohanson, situé dans la ceinture principale d’astéroïdes. Ce corps céleste de 4 km de diamètre a été nommé en l’honneur du paléoanthropologue à l’origine de la découverte du fossile de Lucy.
La sonde traversera ensuite l’essaim troyen précédant Jupiter en 2027, où elle survolera cinq astéroïdes en un passage. En 2033, elle plongera dans l’essaim suivant la géante gazeuse et s’approchera de Patrocle et Ménétios, un système binaire d’astéroïdes.
L’itinéraire tortueux emprunté par Lucy à travers le système solaire a été méticuleusement cartographié par Brian Sutter, architecte de la mission qui travaille pour Lockheed Martin. « Le rôle de Brian n’est pas purement scientifique ; c’est un artiste », déclare Hal Levison.
Alors qu’ils occupent deux bandes étroites du système solaire, les astéroïdes troyens de Jupiter affichent une variété de couleurs (du gris au rouge clair et intense), de taille (leur diamètre est compris entre un et 112 km) et des orbites différentes.
Certains astéroïdes ressemblent à d’autres petits corps célestes disséminés à travers le système solaire. Le grisâtre Eurybate rappelle ainsi ses homologues en orbite dans la ceinture principale d’astéroïdes située au-delà de Mars. Patrocle et Ménétios, le duo aux lents mouvements, évoquent quant à eux les systèmes binaires de la ceinture de Kuiper, une zone qui se trouve au-delà de l’orbite de Neptune.
« Notre mission a été pensée pour étudier la multitude de corps célestes de cette population », a indiqué lors d’une conférence de presse le 12 octobre dernier Cathy Olkin, chercheuse principale adjointe de la mission qui travaille également au Southwest Research Institute.
L’équipe responsable de la mission Lucy a dû concevoir une sonde capable d’endurer un voyage de plus de 6,5 milliards de kilomètres. Au point le plus éloigné de son périple, la sonde sera à plus de 800 millions de kilomètres du Soleil, où la lumière de ce dernier est infime par rapport à la quantité reçue sur Terre. Lucy dispose donc de vastes panneaux photovoltaïques doubles : composés de presque 8 000 cellules solaires individuelles, ces derniers affichent une taille équivalente à trois places et demie de parking. Lorsque la sonde se trouvera dans les environs des troyens, les panneaux ne généreront que 500 watts d’énergie ; c’est moins que ce que consomme un micro-ondes classique.
Lors des vols de reconnaissance, Lucy s’approchera des astéroïdes à visiter à une distance de 965 km et à une vitesse avoisinant les 24 000 km/h. Par conséquent, ses instruments ont dû être montés sur un cadran ultra précis. La L’LORRI, la caméra haute résolution de la sonde, sera capable de détecter des éléments de surface ne mesurant que sept mètres de diamètre quand la sonde se sera rapprochée le plus possible de chaque astéroïde.
« Les données que vous obtenez de près, que ce soit pour la géologie ou la composition des corps célestes, ne sont pas quelque chose que vous pouvez reproduire à partir d’un point lumineux », souligne Andy Rivkin, spécialiste des petits corps au Laboratoire de physique appliquée de l’université John Hopkins.
L’ARMÉE D’ASTÉROÏDES DE JUPITER
Selon les astronomes, plusieurs centaines de milliers d’astéroïdes troyens de Jupiter orbitent autour de la géante gazeuse. Depuis 1906, date de découverte du premier troyen de la planète, les astronomes ont identifié près de 11 000 de ces corps célestes. Plus de la moitié d’entre eux ont été découverts depuis 2010 grâce aux progrès constants des télescopes de sondage qui scrutent le ciel la nuit.
Les astéroïdes portent les noms de guerriers ayant combattu lors de la guerre de Troie : des héros grecs pour l’essaim d’astéroïdes précédant Jupiter, des héros troyens pour celui qui la suit. Mais, alors que les astronomes s’attendent à découvrir des centaines de milliers d’autres astéroïdes troyens au cours de la prochaine décennie, tous les noms tirés de L’Iliade ont été utilisés.
Les nouveaux corps célestes tiennent donc désormais leur nom d’athlètes olympiques modernes. En 2020, l’équipe responsable de Lucy a fait part de la découverte d’un petit corps en orbite autour d’Eurybate, un astéroïde que la sonde survolera. Il a été nommé Queta, en l’honneur de l’athlète mexicaine Norma Enriqueta Basilio Sotelo, seule femme à avoir allumé la vasque olympique.
Pendant des décennies, les scientifiques ont cru que les astéroïdes n’étaient que de simples vestiges de la formation des plus grandes lunes de Jupiter. Mais, depuis 25 ans, ils ont pris conscience des indices majeurs que pouvaient livrer les troyens de la géante gazeuse sur la formation de notre système solaire.
LE MODÈLE DE NICE
Grâce aux télescopes terrestres, les astronomes savent que les astéroïdes troyens existent dans une large palette de couleurs, ce qui suggère que leur composition diffère. Pourtant, d’une façon ou d’une autre, ce mélange de petits corps a fini par se retrouver dans les orbites extrêmement stables et difficilement pénétrables avec Jupiter.
« Ils partagent la même orbite de Jupiter ; ce sont donc en quelque sorte des témoins de tout ce qui a pu se produire avec cette planète », explique Simona Pirani, chercheuse postdoctorale à l’université de Copenhague qui étudie la formation du système solaire. Démêler l’histoire de Jupiter, la plus grande des planètes, est essentiel pour connaître le passé du système solaire tout entier.
En 2005, Hal Levison et ses collègues de l’Observatoire de la Côte d’Azur de Nice ont publié le « modèle de Nice », une hypothèse décisive selon laquelle une période de chaos est survenue lors de la formation du système solaire.
D’après ce modèle et d’autres scénarios similaires, le système solaire comptait à son origine bien plus de corps célestes qu’aujourd’hui. Lorsqu’elles se sont formées, les planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune auraient migré vers l’intérieur du système. Une fois devenues de grandes planètes, les danses gravitationnelles des géantes gazeuses avec des « planétésimaux » auraient quelque peu décalé leur orbite, avant d’entrer dans une configuration instable.
Les géantes auraient alors soudainement quitté leurs positions actuelles, se déportant vers l’extérieur en vrillant. Elles auraient dispersé par la même occasion une multitude de petits corps hors du système solaire et mélangé certains de ceux qui restaient. Plusieurs théories évoquent même l’éjection hors du système solaire d’une cinquième géante gazeuse à la même période.
C’est pendant tout ce raffut que Jupiter aurait « capturé » ses astéroïdes troyens, dont la plupart ont sans doute été formés au-delà de Neptune. Quelques années après sa parution, le modèle de Nice a été mis à jour par des théoriciens pour tenter d’expliquer un plus grand nombre des caractéristiques inhabituelles des astéroïdes troyens. D’autres chercheurs ont vérifié si certains de ces astéroïdes pouvaient avoir été capturés à un stade antérieur de la formation du système solaire, peut-être même à une période où une jeune Jupiter faisait la taille de la Terre.
Mais pour vérifier ces théories relatives à la formation et l’évolution du système solaire, les scientifiques doivent étudier les astéroïdes troyens de Jupiter de près.
« J’ai hâte de trouver quelque chose d’inattendu, ça, c’est sûr ! », s’exclame Hal Levison.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.