L'une des plus grandes comètes jamais observées se rapproche de nous

Pour toute une génération d'astronomes, la comète Bernardinelli-Bernstein offre une occasion rêvée d'étudier un objet en provenance des confins du système solaire.

De Michael Greshko
Publication 1 oct. 2021, 09:57 CEST
Comet

D'après les estimations, la comète Bernardinelli-Bernstein, illustrée ci-dessus, serait environ 1 000 fois plus massive qu'une comète standard.

PHOTOGRAPHIE DE NOIRLab, Nsf, Aura, J. da Silva Spaceengine

À plus de 4,3 milliards de kilomètres du Soleil, un éclat de lumière a ricoché sur un objet filant tout droit vers notre chère étoile, un objet glacé, gigantesque et d'un âge incommensurable.

Quatre heures plus tard environ, aux aurores du 20 octobre 2014, un télescope situé dans le désert d'Atacama au Chili a posé son regard sur le firmament pour immortaliser un vaste pan du ciel austral, capturant au passage les traces de cette lumière réfléchie.

Il faudra ensuite sept ans aux chercheurs pour identifier cet étrange point de lumière comme étant une énorme comète primordiale, peut-être la plus grande jamais étudiée avec les télescopes modernes. Baptisée Bernardinelli-Bernstein, la comète a été présentée en juin dernier et les chercheurs ont désormais rassemblé toutes leurs connaissances sur cet objet dans un article de découverte soumis à la revue The Astrophysical Journal Letters.

« Mon téléphone n'a pas arrêté de sonner, je ne m'attendais pas à un tel accueil de la part de la communauté scientifique pour cette découverte, » déclare Pedro Bernardinelli, chercheur postdoctoral à l'université de Washington. Il a co-découvert la comète dans les dernières semaines de sa thèse à l'université de Pennsylvanie avec son tuteur de l'époque, Gary Bernstein. « C'était assez bouleversant. »

Selon les dernières estimations, la longueur du noyau de la comète serait de 150 km. C'est de loin la plus grande estimation de taille pour une comète depuis des décennies. À titre de comparaison, la comète 67P/Churyumov–Gerasimenko, autour de laquelle la sonde Rosetta de l'Agence spatiale européenne a orbité de 2014 à 2016, ne mesurait que 4 km.

« On passe d'une comète de la taille d'une ville à une comète de la taille d'une île, » illustre Michele Bannister, astronome à l'université de Canterbury en Nouvelle-Zélande, non impliquée dans l'article annonçant la découverte. La taille de la comète Bernardinelli-Bernstein pourrait même la placer parmi les « grandes comètes » historiques, notamment un objet d'une intense brillance et supposément massif qui aurait traversé l'intérieur du système solaire en 1729.

Ces dix prochaines années, la luminosité de Bernardinelli-Bernstein continuera de s'intensifier à mesure que la comète approche l'intérieur du système solaire, transperçant le plan orbital des planètes depuis le dessous. Elle sera au plus proche du Soleil le 21 janvier 2031, dans un rayon de deux milliards de kilomètres, soit un peu plus de la distance moyenne de Saturne au Soleil. La comète entamera ensuite sa longue retraite vers les royaumes en marge du système solaire, sans pour autant disparaître avant les années 2040, voire des décennies plus tard.

Selon la quantité de gaz libérée par la comète à mesure que sa glace se vaporise à l'approche du Soleil, Bernardinelli-Bernstein pourrait devenir aussi brillante dans le ciel nocturne que la plus grande lune de Saturne, Titan. Le cas échéant, elle devrait être visible en 2031 avec un simple télescope amateur.

La comète se distingue également par la distance qui la séparait du Soleil lors de sa première observation. Le corps glacé est originaire du nuage de Oort, un vaste ensemble sphérique d'objets qui entoure le Soleil. Le rayon de cette sphère équivaut à plusieurs milliers de fois la distance Terre-Soleil, également appelée unité astronomique.

D'après les calculs des astronomes, cette comète mettrait plusieurs millions d'années à faire le tour du Soleil. Seules trois comètes du genre, dites « à longue période », ont été découvertes en provenance du nuage de Oort et Bernardinelli-Bernstein se trouvait à plus de 4,3 milliards de kilomètres lors de sa découverte, un record pour une comète. Grâce à cette découverte précoce, c'est toute une génération d'astronomes qui aura l'opportunité de percer ses secrets.

 

UN PHARE DANS LA NUIT

Bernardinelli-Bernstein a été portée à l'attention de l'humanité par une caméra numérique à la sensibilité remarquable installée au pied du grand télescope de l'observatoire interaméricain du Cerro Tololo, le télescope Víctor M. Blanco et ses 4,02 m de diamètre.

La mission de cette caméra n'était pas de chercher des objets éloignés du système solaire, mais plutôt de fournir des données au Dark Energy Survey, un programme qui a collecté 80 000 vues grand-angles du ciel nocturne austral entre 2013 et 2019. Cette base de données a transformé la quête de l'énergie noire menée par les scientifiques, cette force mystérieuse qui alimente l'accélération de l'expansion de l'univers. Les images capturées pour étudier l'énergie noire et d'autres phénomènes cosmiques peuvent également servir à la découverte d'objets plus concrets.

Dans le cadre de son doctorat, l'objectif de Bernardinelli était de parcourir les images du Dark Energy Survey pour découvrir des objets en orbite autour du Soleil au-delà de Neptune, une tâche herculéenne. Étant donnée leur taille, l'affichage d'une seule de ces images en résolution complète nécessiterait une grille de 275 téléviseurs HD. Bernardinelli a sondé plusieurs dizaines de milliers d'images à la recherche de points de lumière ne dépassant pas les quelques pixels.

Pour l'aider dans sa traque, Bernardinelli a écrit un programme capable de chercher dans les images du Dark Energy Survey des points en mouvement par rapport aux étoiles distantes. Six mois de calculs effrénés, exécutés sur un réseau de 200 ordinateurs du Fermi National Accelerator Laboratory (Fermilab) dans l'Illinois, ont permis de réduire ce gigantesque ensemble de données à une liste finale de 817 objets nouveaux dont les orbites ne correspondaient à aucun autre corps du système solaire. En guise de dernière étape, Bernardinelli et Bernstein devaient ensuite vérifier cette liste à la main pour s'assurer que le code avait correctement fait son travail.

C'est à ce moment qu'ils l'ont aperçu : un objet dont la luminosité n'avait d'égal que les vastes mondes au-delà de Neptune, mais avec une orbite extrême, signe de son origine lointaine, à plusieurs billions de kilomètres du Soleil, tout comme les comètes à longue période.

Trouver la comète, c'était comme « trouver une aiguille dans une botte de foin, mais à l'échelle cosmique, » illustre Bernstein. « Mais nous avons réussi et voilà notre petite cerise sur le gâteau ! »

 

COMÈTE EN VUE

Bernardinelli et Bernstein ont envoyé leurs données sur la comète au Centre des planètes mineures, dans le Massachusetts, qui supervise le répertoire international des orbites de comètes, d'astéroïdes et d'autres corps de petite taille du système solaire. Le 19 juin, le centre a confirmé que l'objet n'avait pas encore été découvert. Cinq jours plus tard, il était officiellement identifié comme étant une comète et baptisé Bernardinelli-Bernstein en l'honneur du binôme.

La nouvelle de cette découverte s'est propagée comme une traînée de poudre à travers la communauté scientifique. En quelques jours, les astronomes du monde entier se sont mis à observer la comète et à parcourir leurs archives en quête d'éventuelles images passées inaperçues. Ils n'ont pas mis longtemps à retrouver la trace de la comète dans leurs archives, remontant pour certaines à 2010, ce qui a permis de préciser son orbite.

Dans les 24 heures suivant l'annonce, plusieurs équipes d'astronomes ont confirmé que la comète dégageait suffisamment de gaz et de poussière pour créer une queue observable, alors qu'elle était encore à plus de quatre milliards de kilomètres du Soleil.

Habituellement, les comètes ne dégagent que peu de matière avant d'être inondées par la chaleur du Soleil, ce qui provoque la sublimation de leurs éléments glacés. Bernardinelli-Bernstein semble quant à elle plutôt riche en éléments « volatiles » capables de se sublimer dans l'espace glacial au-delà de Neptune. Les observations suggèrent que la comète pourrait ne pas avoir passé beaucoup de temps dans la chaleur du système solaire interne par le passé, ce qui en ferait un objet singulièrement vierge.

Comprendre : le système solaire

De plus amples informations sur la queue de la comète ont été tirées des images prises entre 2018 et 2020 par TESS, un télescope spatial chasseur d'exoplanètes géré par la NASA. Curieusement, la comète était nettement plus lumineuse dans les données du TESS que dans les images du Dark Energy Survey. L'équipe s'est alors aperçue que les pixels du TESS couvraient une portion du ciel bien plus grande que celle couverte par les pixels du DES, ce qui signifie que la comète a dû générer une queue très longue et extrêmement diffuse.

Bernardinelli et Bernstein se sont à nouveau tournés vers les données du DES en recoupant de nombreuses images de leur comète pour essayer d'identifier sa queue. Ils ont fini par trouver un signal extrêmement faible dissimulé dans leurs données et ont découvert que la comète avait commencé à dégager du gaz à près de 3,8 milliards de kilomètres du Soleil, soit près d'une fois et demie la distance moyenne d'Uranus.

En suivant l'évolution de la queue au fil du temps et la luminosité de la comète à l'approche du Soleil, l'équipe de Bernardinelli a pu commencer à modéliser les propriétés chimiques de l'objet. En tenant compte de la faiblesse du rayonnement solaire à ces distances extrêmes, ils ont conclu que la comète devait émettre du dioxyde de carbone ou du nitrogène gazeux.

« On est capable d'observer cet objet à l'autre bout du système solaire et d'émettre de solides hypothèses sur sa composition, c'est fantastique, non ? » se réjouit l'un des coauteurs de l'étude, Ben Montet, planétologue à l'université de Nouvelle-Galles du Sud de Sydney, en Australie, et spécialiste des données du TESS. « C'est incroyable ce qu'on peut faire avec une poignée de photons. »

 

UN AVENIR FLAMBOYANT

Les scientifiques s'interrogent déjà sur les moyens qui pourraient nous permettre de rendre visite à Bernardinelli-Bernstein. Pour le moment, aucune mission officielle n'a vu le jour, mais si les différentes agences spatiales se décident rapidement à agir, elles pourraient intercepter la comète à l'horizon 2033, en supposant que le lancement ait lieu avant 2029.

Les chercheurs travaillent également d'arrache-pied au déchiffrage des précédents voyages de la comète à travers le système solaire pour savoir si elle porte les marques du Soleil. L'équipe de Bernardinelli et Bernstein estime que la comète effectuera en 2031 son passage le plus proche du Soleil en trois millions d'années.

En revanche, il sera difficile de remonter plus loin dans le temps. Les comètes du nuage de Oort sont extrêmement éloignées et leurs orbites peuvent être modifiées par les étoiles qu'elles côtoient, c'est pourquoi la modélisation de leur orbite nécessite de retracer le mouvement des étoiles à travers la Voie lactée. De nouvelles données suggèrent qu'une étoile particulièrement turbulente pourrait réduire à néant les efforts visant à retracer l'orbite de la comète.

Depuis un moment déjà, les chercheurs savent que l'étoile HD 7977 est passée à proximité du système solaire il y a 2,8 millions d'années environ, mais personne ne sait où exactement. Dans une étude récemment soumise à la revue Astronomy & Astrophysics, les chercheurs Piotr Dybczyński et Sławomir Breiter de l'université Adam-Mickiewicz en Pologne vont encore plus loin : nous ne savons même pas de quel côté du système solaire HD 7977 est passée.

Du fait de cette incertitude, nous ne sommes pas en mesure de comprendre l'effet gravitationnel de l'étoile sur le nuage de Oort, un effet qui pourrait avoir des répercussions majeures sur la dernière visite de Bernardinelli-Bernstein et son point de passage le plus proche du Soleil.

À mesure que la comète se rapproche, les observations liées à sa taille pourraient également changer. L'estimation de 150 km s'appuie sur sa luminosité actuelle ainsi que les modélisations de la quantité de gaz et de poussière dégagée. Cependant, estimer la taille d'une comète en suivant cette méthode est une affaire délicate. Si les modèles liés au dégazage de la comète sont incomplets, la taille du noyau peut paraître supérieure à la réalité.

« Ils ont fait un travail incroyable, mais je pense que l'on va s'apercevoir, probablement, que cet objet est légèrement plus petit que ce qu'ils annoncent, » indique Luke Dones, spécialiste de la dynamique des comètes au Southwest Research Institute de Boulder, dans le Colorado.

Reste tout de même une bonne nouvelle, Bernardinelli-Bernstein offre aux astronomes du monde entier un cadeau rare et précieux : du temps. L'observatoire Vera C. Rubin du Chili devrait être opérationnel en 2023 et il lui restera encore dix ans, si ce n'est plus, pour suivre la trajectoire de l'objet. Ce télescope à la pointe de la technologie s'apprête à transformer notre perception du système solaire et il y a fort à parier qu'il découvrira bon nombre de comètes telles que Bernardinelli-Bernstein.

En attendant, à mesure que la comète progresse dans notre direction, les scientifiques et les amateurs du monde entier pourront braquer leurs télescopes sur le ciel étoilé et tenter d'apercevoir un visiteur hors du commun : une boule de glace géante et sa longue traînée de gaz et de poussière céleste. « Spectacle garanti, » conclut Montet.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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