Mais où est passée l'eau martienne ?
En s'appuyant sur l'étude des minéraux de la croûte martienne, une équipe de chercheurs réécrit l'histoire de l'eau sur la planète rouge.
Autrefois, l'eau ruisselait à la surface de Mars, puis elle a disparu il y a des milliards d'années. Une nouvelle étude suggère qu'en plus de s'être évaporée dans l'espace, une grande partie de cette eau serait retenue dans les minéraux de la croûte martienne.
Si aujourd'hui Mars est un désert froid, les deltas et les lits de rivières asséchés nous montrent que l'eau a un jour parcouru la surface de la planète rouge. Mais alors, où cette eau a-t-elle bien pu passer ? Les scientifiques tentent de répondre à cette question depuis des dizaines d'années, en espérant comprendre comment Mars est devenu un paysage aride alors que sa voisine, la Terre, a su retenir son eau et devenir un véritable paradis de biologie.
À présent, grâce aux nouveaux modèles établis à l'aide des observations de la planète rouge, une équipe de géologues et de scientifiques de l'atmosphère esquisse un nouveau portrait du passé de Mars : une grande partie de l'eau qui s'y écoulait autrefois aurait été piégée dans les minéraux de la croûte et le serait encore à ce jour.
Les précédentes études suggéraient que la majorité de l'eau martienne se serait évanouie dans l'espace à mesure que l'atmosphère de la planète succombait aux radiations du Soleil. À l'inverse, la nouvelle étude publiée le 16 mars dans la revue Science et présentée virtuellement lors de la 52e Lunar and Planetary Science Conference conclut que l'eau de la planète rouge aurait subi à la fois un exode atmosphérique et un emprisonnement géologique.
En fonction du volume initial, le nouveau modèle estime qu'entre 30 et 99 % de l'eau aurait été incorporé dans les minéraux de la croûte martienne pendant que le reste aurait disparu dans l'espace. C'est une plage étendue et les deux processus ont probablement eu un rôle à jouer, donc « la réalité est quelque part dans cette fourchette, » déclare Briony Horgan, planétologue de l'université Purdue qui n'a pas pris part à l'étude.
Si le nouveau modèle est fiable, alors l'adolescence de la planète rouge nécessite une réécriture. D'après les estimations du volume actuel d'eau piégé dans la croûte martienne, la planète devait avoir bien plus d'eau de surface dans sa jeunesse que le suggèrent les modèles précédents et, par conséquent, ces jeunes années ont dû être plus favorables à la vie microbienne que nous ne le pensions.
« Cette étude laisse entrevoir la possibilité d'une planète Mars autrefois bleue, ne serait-ce que pour une courte période, » indique Paul Byrne, planétologue de l'université d'État de Caroline du Nord qui n'a pas pris part à la nouvelle étude.
DES OCÉANS AU DÉSERT
La multitude de lits de rivières, deltas, bassins lacustres et mers intérieures asséchés ne laisse aucun doute quant à la présence abondante d'eau sur Mars dans le passé. Il est même probable que la planète ait compté un ou plusieurs océans différents dans son hémisphère Nord, bien que ce point fasse l'objet de débats animés. De nos jours, hormis une poignée de possibles lacs saumâtres et aquifères souterrains, la majorité de l'eau de Mars est retenue dans les calottes polaires ou dans la glace enfouie sous la surface.
En analysant la composition chimique de météorites martiennes d'âges variés et en utilisant le rover Curiosity de la NASA pour étudier les roches anciennes ainsi que l'actuelle atmosphère de la planète, les scientifiques ont pu estimer le volume d'eau de surface (sous forme solide, liquide ou gazeuse) à différents points de l'histoire de Mars. Ils pensent que durant la période la plus lointaine, si toute l'eau était sous forme liquide, la planète aurait pu être recouverte d'un océan d'une profondeur comprise entre 45 et 240 mètres.
L'atmosphère de Mars était plus épaisse autrefois et sa pression permettait à l'eau de subsister sous forme liquide en surface. Cependant, une étude utilisant les données de l'orbiteur MAVEN de la NASA suggère que la planète aurait en grande partie perdu son atmosphère sous l'effet du vent solaire, des particules chargées émises par le Soleil, à peine 500 millions d'années après sa formation. Les causes de ce phénomène restent incertaines, bien que la perte précoce du champ magnétique protecteur de la planète ait probablement sa part de responsabilité.
Quoi qu'il en soit, cette annihilation de l'atmosphère a vaporisé environ 90 % de l'eau de la surface martienne, laissant la vapeur d'eau à la merci du rayonnement ultraviolet et transformant par la même occasion Mars en un monde déshydraté.
LES SECRETS DES ROCHES MARTIENNES
Ou du moins, c'est ce que dit la théorie actuelle, mais elle n'est pas sans défauts.
Les précédentes hypothèses s'appuyaient sur les types d'hydrogène contenus dans l'actuelle atmosphère martienne. Lorsque la vapeur d'eau est bombardée par le rayonnement ultraviolet du Soleil, l'hydrogène est arraché à l'oxygène dans les molécules d'eau. Compte tenu de sa légèreté, l'hydrogène s'échappe facilement dans l'espace. Cependant, une partie de la vapeur d'eau contient une version alourdie de l'hydrogène appelée deutérium, plus susceptible de rester dans l'atmosphère.
Les scientifiques connaissent le ratio naturel de l'hydrogène et du deutérium sur Mars et peuvent donc utiliser la quantité restante de deutérium pour calculer le volume de l'isotope plus léger autrefois présent sur la planète. Le deutérium fait ainsi office d'empreinte fantôme révélant le volume d'eau qui a disparu dans l'espace.
Aujourd'hui encore, de l'hydrogène échappe à la planète Mars et les scientifiques peuvent mesurer ce taux pour déterminer la quantité d'eau perdue à jamais. Si ce taux était resté constant au cours des 4,5 derniers milliards d'années, il ne suffirait en aucun cas à expliquer la disparition d'une telle quantité d'eau de surface, déclare l'auteure principale de la nouvelle étude, Eva Linghan Scheller, doctorante à Caltech.
Un autre indice provient de l'ensemble des orbiteurs et des rovers qui examinent les roches martiennes. Ces vingt dernières années, un grand nombre de minéraux porteurs d'eau ont été découverts, notamment une grande quantité d'argiles. Au départ, seules quelques parcelles ont été découvertes ici et là. Mais aujourd'hui, « on observe les traces d'un énorme volume de minéraux hydratés en surface, » indique Horgan.
Par leur âge avancé et leur teneur en eau, ces minéraux suggèrent qu'il y a bien longtemps le sol martien était parcouru d'une impressionnante quantité d'eau, bien plus que ne le laissent entendre les estimations basées sur le deutérium atmosphérique.
« Il a fallu du temps pour trouver toutes ces traces de minéraux hydratés, puis pour reconnaître leur importance à une échelle globale, » déclare Kirsten Siebach, planétologue externe à l'étude rattachée à l'université Rice.
DOUBLE TRANCHANT
Parmi les problèmes figurait notamment le fait que les modèles précédents ne tenaient pas compte de la capacité de la croûte à stocker de l'eau dans les minéraux, reprend Schelle. Avec ses collègues, elle a donc décidé de créer un nouveau modèle pour déterminer où était passée l'eau de la planète rouge au cours de ses 4,5 milliards d'années d'existence.
Le modèle en question pose certaines hypothèses, comme le volume d'eau initial sur Mars, celui apporté plus tard par les astéroïdes ou les comètes, la quantité d'eau vaporisée dans l'espace et celle déposée par l'activité volcanique à la surface de la planète. L'équipe a découvert que l'eau présente sur Mars aurait pu former un océan planétaire de 100 à 1 500 mètres de profondeur, selon les valeurs attribuées à ces variables.
Il y a 4,1 à 3,7 milliards d'années, le volume d'eau de surface a considérablement diminué à cause de l'aspiration par les minéraux et de l'évaporation dans l'espace. Aucun des minéraux hydratés découverts à ce jour n'est âgé de moins de trois milliards d'années, indique Scheller, cela montre que Mars a passé le plus clair de son existence sous la forme désertique qu'on lui connaît.
Le nouveau modèle n'est pas sans limites, car certains détails essentiels restent troubles. Cela dit, il constitue une étape importante qui « ne manquera pas de contribuer aux futures recherches sur l'histoire de l'eau sur Mars, » affirme Geronimo Villanueva, planétologue du Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt, dans le Maryland, non impliqué dans la nouvelle étude.
Tout d'abord, il permet de combler l'écart entre le volume d'eau estimé par les mesures au deutérium et la myriade de reliefs façonnés par l'eau visible en surface. Personne ne comprenait comment autant de rivières et de lacs avaient pu voir le jour avec si peu d'eau, indique Siebach, mais ce nouveau modèle offre une solution à ce mystère en identifiant un supplément d'eau qui aurait pu être présent sur Mars.
Néanmoins, l'étude ne change rien à l'actuel volume d'eau disponible sur Mars estimé par les scientifiques : il en reste très peu. Les astronautes pourraient un jour être amenés à chauffer les minéraux hydratés de Mars afin d'extraire leur eau, Horgan suggère, mais ce serait un processus hautement énergivore.
« Cette étude nous montre qu'il y avait plus d'eau à disposition au début de l'histoire de Mars, et c'est à cette époque que la planète était la plus habitable, » résume Siebach. En supposant que les microbes y aient un jour existé, ils auraient effectivement pu profiter de toute cette eau pour se propager, mais ils auraient eu beaucoup de mal à survivre à sa disparition il y a trois milliards d'années.
L'idée selon laquelle un important volume d'eau peut être absorbé par la croûte a des conséquences pour les autres mondes rocheux, observe Byrne de l'université d'État de Caroline du Nord.
Sur Terre également, l'eau est retenue dans les minéraux. Toutefois, la tectonique des plaques recycle ces minéraux en les délestant constamment de leur eau par le biais des éruptions volcaniques, explique Siebach. À l'inverse, la croûte inerte de Mars a peut-être condamné la planète à un avenir froid et désertique. Le même processus de transformation s'est-il produit sur Vénus ? L'eau finit-elle piégée dans la croûte des exoplanètes au-delà de notre système solaire ?
Pour Scott King, planétologue de Virginia Tech non impliqué dans l'étude, le nouveau modèle ouvre la voie à une compréhension encore plus riche de l'évolution de la planète rouge et d'autres mondes rocheux à travers les âges.
« Désormais, conclut-il, il y a toute une série de nouvelles questions sur lesquelles nous allons pouvoir nous pencher. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.