Notre planète est-elle préparée à l’impact d’un astéroïde ?
Les scientifiques travaillent à ces sujets de défense planétaire depuis une vingtaine d’années. Des missions spatiales existent déjà pour dévier les astéroïdes qui pourraient frapper la Terre.

La mission Hera de l'ESA vers le système d'astéroïdes binaires Didymos transportera deux CubeSats nommés Juventas et Milani. Ces engins de la taille d'une boîte à chaussures contribueront à la réalisation des objectifs scientifiques de l'engin principal et feront la démonstration des techniques de liaison intersatellite dans l'espace lointain avec leur vaisseau mère.
Le 25 décembre dernier, la NASA a repéré un astéroïde d’une largeur comprise entre quarante et quatre-vingt-dix mètres, parcourant le système solaire à toute allure en direction de notre planète. Les agences spatiales internationales prédisent qu’en cas d'impact, le 22 décembre 2032, des dégâts considérables seraient à prévoir.
Le couloir d’entrée, c’est-à-dire, la possible zone d’impact, a été estimée entre l’océan Pacifique, l’Amérique du Sud et l’Afrique. « Sachant qu’il y a encore une incertitude sur la trajectoire même, le couloir peut être élargi de plusieurs centaines de kilomètres au nord et au sud de cette trajectoire », souligne Ian Carnelli, membre du groupe consultatif sur la planification des missions spatiales (SMPAG), responsable de la mission HERA et chef de département des systèmes spatiaux à l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Fort heureusement, « la NASA et l’ESA ont calculé il y a quelques jours que la nouvelle probabilité d’impact est de 0,28 % ». Le risque initial était de 3,1 %, bien au-delà du seuil de 1 %, considéré comme le seuil d’alerte.
QUELLES CONSÉQUENCES EN CAS D’IMPACT ?
À l’aide de modèles numériques, les agences spatiales internationales ont la capacité de déterminer les dégâts qu’un tel astéroïde pourrait causer. Pour être le plus précis possible, il faudrait connaître l’échelle et la composition de ce dernier, or « nous ne connaissons précisément aucun de ces deux éléments », rapporte Ian Carnelli. « Mais nous sommes tout du moins en mesure d’établir des scénarios ».
« Si l’astéroïde s’avère être d’une quarantaine de mètres de diamètre, un des scénarios probables est que l’astéroïde explose dans l’atmosphère », théorise le scientifique. « Comme pour les débris spatiaux, une partie s’évaporerait, le reste tomberait sur terre en morceaux ». Sur Terre, des vitres se briseraient et certains bâtiments seraient endommagés, « il y aurait probablement des blessés, mais pas de véritable atteinte à la vie humaine », rassure Ian Carnelli. Les civils devront impérativement être prévenus et se renseigner. Par exemple, « pour observer l’astéroïde, il ne faudra pas se rapprocher des fenêtres, mais plutôt sortir dehors », conseille le scientifique.
En revanche, dans le cas où le diamètre de l’astéroïde serait plutôt de l’ordre d’une centaine de mètres, « la situation serait un peu plus sérieuse [...]. L’astéroïde aurait le potentiel de détruire, par exemple, un petit pays européen, ou de causer des tsunamis qui ravageraient les côtes et causeraient certainement des morts ». Dans ce scénario, une seule solution : lancer une mission spatiale pour dévier l’astéroïde.
DÉVIER UN ASTÉROÏDE, DE LA SCIENCE-FICTION ?
Ce n’est pas de la science-fiction, les scientifiques travaillent à ces sujets de défense planétaire depuis une vingtaine d’années. « Les agences spatiales européennes et américaines ont été pionnières et aujourd’hui, la communauté est complétement alignée sur les trois techniques que nous pouvons utiliser », explique Ian Carnelli. L’ESA a lancé, sous l’égide de l’ONU, la mission HERA qui a pour objectif de développer ces trois techniques.
Pour les astéroïdes de très grande taille, d’au-delà d’un kilomètre et demi de diamètre, c’est la bombe nucléaire qui serait privilégiée. « Nous la ferions exploser à une certaine distance afin d’utiliser son énergie thermique pour sublimer une partie de la surface », explique le chef de mission. « Cette évaporation agirait comme un moteur qui pousserait l’astéroïde dans une certaine direction ».
Évidemment, « cette technique reste théorique, nous n’avons aucune intention de la tester puisque nous n’en avons pas besoin », affirme Ian Carnelli. La plus grande partie des efforts de détection des astéroïdes est focalisée sur les astéroïdes de grande taille. En raison de leur taille et de la lumière qu’ils réfléchissent, ils sont plus faciles à détecter. « Aujourd’hui, nous en connaissons plus de 95 % et aucun de ces objets n'a une probabilité d’impact avec la Terre dans les prochains siècles », rassure le chef de mission.

Le vaisseau spatial Hera de l'ESA pour la défense planétaire contre les astéroïdes lors de sa campagne d'essais avant vol au Centre d'essais de l'ESTEC aux Pays-Bas. Hera mesure environ 1,6 m de côté, avec une antenne principale de 1,13 m de diamètre et des propulseurs d'angle recouverts d'étiquettes rouges qui seront enlevées avant le lancement.
La deuxième technique, elle, a déjà été testée et validée dans le cadre de la mission HERA sur des astéroïdes de petite taille : c’est ce qu’on appelle l’impacteur cinétique. Le but est d’envoyer une sonde spatiale qui viendra frapper l’astéroïde à très grande vitesse, entraînant la destruction de la sonde et la déviation de l’astéroïde dans une direction souhaitée.
L’expérience a été testée sur un astéroïde double, Dimorphos et sa lune Didymos. Cette dernière avait à l’origine une orbite de douze heures, mais depuis l’impact de DART, son orbite n’est plus que de onze heures et demie. « Le problème est que nous avions estimé un changement de période orbitale de cinq minutes uniquement », témoigne Ian Cornelli. « Tout le monde a été surpris lorsque nous avons constaté un résultat six fois supérieur ».
L’expérience, malgré tout positive, pousse les scientifiques à recueillir plus d’informations sur ce qui s’est passé. « Il est opportun de pouvoir corriger nos modèles mathématiques et un jour, utiliser cette technique plus précisément sur des objets comme YR4 », explique le chef de mission.
Fin 2026, la sonde HERA reviendra sur la scène du crime et commencera les opérations scientifiques en janvier 2027. Six mois plus tard environ, l'ESA estime que les modèles numériques d’astéroïdes auront été corrigés.
La troisième technique a l’avantage de ne pas avoir besoin de plus amples connaissances sur les propriétés physiques de l’astéroïde à dévier. C’est le tracteur gravitationnel. Elle consiste à utiliser la force de gravité réciproque entre deux corps dans l’espace. « Tout corps a une force de traction proportionnelle à sa masse », indique Ian Carnelli. « Une sonde suffisamment massive pourrait à l’aide de sa force d’attraction tracter l’astéroïde dans la direction souhaitée ».
Bien que plus élégante, la technique présente deux problèmes. Tout d’abord, « construire une sonde aussi massive nécessiterait des matériaux très chers et très grands, ce qui n’est pas évident », précise le chef de mission. Mais aussi, « il faudrait attendre plusieurs décennies pour exercer une traction mesurable ».
Ainsi, « le temps avant l’impact doit être suffisamment important et l’astéroïde doit être suffisamment petit, d’un diamètre compris entre cinquante et cent mètres, pour que cette troisième technique fonctionne », affirme-t-il.
COMMENT SE PRÉPARER AU MIEUX ?
Aujourd’hui, pour se préparer au mieux à l’approche de l’astéroïde 2024 YR4, les plus grands télescopes à disposition de l’humanité, dont l’observatoire James Webb, ont été réquisitionnés. « Cela montre qu’en dépit du contexte politique parfois difficile, nous arrivons quand même, dans ce domaine, à avoir une collaboration efficace », partage Ian Carnelli.
En parallèle, le groupe de travail de préparation de missions spatiales (SPMAG) s’occupe d’étudier différents scénarios. « Dans ce cas précis, le scénario de l’impacteur cinétique a été validé », explique le chef de mission.
La bonne nouvelle est que les sondes HERA et DART ont déjà été construites, facilitant leur refabrication. « Pour cette raison, la communauté scientifique est très sereine à l’approche d’YR4 », commente le chef de mission. « Nous sommes prêts, l’humanité est capable de se défendre face à ce danger naturel », conclut-il.
