Où se trouvent les limites de l'espace ? Cela dépend à qui vous posez la question
Alors que de plus en plus de pays et d’entreprises commerciales s’aventurent dans la stratosphère, le débat relatif à la définition de l’espace extra-atmosphérique s’intensifie.
Demandez à quelqu’un où se trouve l’espace extra-atmosphérique et il pointera sûrement en direction du ciel. C’est simple, en haut, non ?
Sauf que personne ne sait vraiment où l’ « espace aérien » prend fin et où l’ « espace extra-atmosphérique » débute. Ceci peut paraître sans intérêt, mais définir cette frontière pourrait avoir son importance pour diverses raisons, notamment mais pas seulement, pour déterminer quels humains réalisant un voyage spatial peuvent être définis comme astronautes.
Alors que Virgin Galactic semble sur le point de lancer des passagers payants dans des trajectoires suborbitales, de nombreuses personnes se demandent si ces chanceux touristes spatiaux obtiendront leurs ailes, un insigne américain décerné aux astronautes. Selon les pratiques américaines actuelles, ce sera le cas.
Est-ce un problème ? « Non, je trouve cela génial ! », confie Mike Massimino, un astronaute de la NASA qui a aidé à réparer le télescope spatial Hubble.
Quelle est la définition actuelle de l’espace ? Quelle est la confusion qui entoure la démarcation ? Que l’avenir nous réserve-t-il ? Nous allons tenter de répondre à ces questions.
EST-CE VRAIMENT IMPORTANT DE SAVOIR OÙ L’ESPACE COMMENCE ?
Les traités internationaux définissent l’« espace » comme libre d’être exploré et utilisé par tous. Toutefois, ceci ne s’applique pas à l’espace aérien souverain situé au-dessus des pays. Les lois régissant l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique sont différentes : ainsi, si vous lancez un satellite à environ 90 km au-dessus de la Chine et que l’espace commence à 80 km, tout va bien. Mais si l’espace débute à une altitude de 96 km, votre satellite risque d’être considéré comme un acte d’agression militaire.
« Où prend fin l’espace aérien d’un pays et où commence l’espace ? », demande Jonathan McDowell de l’Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics. « Une fois que vous parvenez à un accord concernant la frontière de l’espace, vous êtes d’accord sur une frontière où le droit spatial s’applique. »
Cependant, les États-Unis et certains autres pays se sont opposés à une délimitation formelle et internationale de l’espace, considérant que cela n’est pas nécessaire et qu’ « aucun problème d’ordre légal ou pratique n’a été soulevé en l’absence d’une telle définition. » D’autres estiment que le maintien d’une frontière distincte sera déterminant étant donné la hausse du nombre de programmes spatiaux nationaux et d’entreprises proposant des vols spatiaux commerciaux, qui augmentent le trafic suborbital.
COMMENT « L’ESPACE » EST-IL ACTUELLEMENT DÉFINI ?
Pour résumer, la plupart des spécialistes considèrent que l’espace débute au point où les forces dynamiques orbitales deviennent plus importantes que les forces aérodynamiques, ou lorsque l’atmosphère seule ne suffit plus à soutenir un vaisseau en vol à une vitesse suborbitale.
Traditionnellement, il a été difficile de fixer ce point à une altitude précise. Dans les années 1900, le physicien hongrois Theodore von Kármán a déterminé que la frontière se situait à environ 80 km au-dessus du niveau de la mer. Mais aujourd’hui, l’Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) a fixé la ligne de Kármán a une « frontière imaginaire » qui se trouve à environ 100 km d’altitude.
La Fédération aéronautique internationale (FAI), qui catalogue les standards et les données en matière d’astronautique et d’aéronautique, considère également que l’espace débute à 100 km au-dessus du niveau de la mer. Après tout, il s’agit d’un chiffre rond.
Mais la Federal Aviation Administration (« Administration fédérale de l’aviation »), l’U.S. Air Force (l’armée de l’air américaine), NOAA et la NASA utilisent en général la frontière établie à 80 km. L’Air Force décerne même le badge des ailes d’astronaute aux personnes qui sont allées au-delà de cette limite. Quant au centre de contrôle de mission de la NASA, il place cette ligne à 122 km d’altitude car c’est à « ce point que la traînée atmosphérique commence à se remarquer », avaient écrit en 2014 dans un exposé de synthèse Bhavya Lal et Emily Nightingale du Science and Technology Policy Institute.
POURQUOI N’ARRIVONS-NOUS PAS À UN ACCORD ?
« Il s’avère que cela est très politique », explique Jonathan McDowell.
Il n’est pas facile de différencier « l’espace » du « non espace », en partie parce que l’atmosphère terrestre ne disparaît tout simplement pas : au-delà de 965 km, elle devient plutôt de plus en plus fine. En théorie, la Station spatiale internationale qui orbite à environ 390 km d’altitude ne se trouve pas dans l’espace si nous définissons ce dernier comme l’absence d’atmosphère.
De plus, il n’existe pas une seule altitude au-dessus de laquelle un satellite peut rester en orbite de façon stable ; cela dépend du type de satellite et de sa trajectoire orbitale comme le souligne Jonathan McDowell.
Prodigieux faiseur de listes, Jonathan McDowell compilait des données pour les fusées, les astronautes et d’autres objets spatiaux et a décidé de se mettre en quête d’une frontière internationale acceptée qui l’aiderait à déterminer quelles données inclure. Réalisant qu’il n’en existait aucune, il décida de trouver une frontière en revoyant les types de calculs que van Kármán avait effectués.
Il a récupéré les trajectoires orbitales de 43 000 satellites rendues publiques et les a triées en fonction du point le plus bas de leur orbite, appelé le périgée, pendant leur mise hors service et leur rentrée dans l’atmosphère. À partir de là, il a réalisé que les satellites pouvaient orbiter autour de la planète de nombreuses fois à une altitude inférieure à 100 km, mais que ceux qui descendaient sous la barre des 80 km au-dessus du niveau de la mer connaissaient le plus souvent une fin rapide et enflammée.
À la suite de cela, Jonathan McDowell a refait les calculs de von Kármán et a découvert que les contributions atmosphériques sur un vaisseau spatial en orbite devenaient négligeables vers 80 km d’altitude.
« Vous ne voyez pas les satellites descendre à 110 km d’altitude revenir », a-t-il indiqué. « Il existe une frontière assez nette, raisonnablement nette, entre le point le plus bas du périgée et l’endroit où vous n’arriverez pas à revenir. »
2019 SERA-T-ELLE L’ANNÉE DE LA DÉFINITION FORMELLE DE CETTE FRONTIÈRE ?
Pour Jonathan McDowell, ceci est peu probable. Toutefois, il est certain que le sujet gagnera de l’ampleur avec les vols spatiaux commerciaux qui commencent à passer plus de temps entre 80 et 320 km d’altitude, où la Station spatiale est en orbite.
« Je pense qu’au fur et à mesure que l’activité spatiale se déplace vers cette tendance, la pression sera plus grande pour s’accorder sur une frontière », explique-t-il.
En fait, la FAI a fait savoir qu’en raison de récentes analyses « irréfutables » suggérant que l’espace commencerait à partir de 100 km d’altitude, elle tiendra une réunion cette année afin d’évaluer l’idée.
LES PASSAGERS PAYANTS À BORD DE VOLS SPATIAUX SUBORBITAUX SERONT-ILS APPELÉS « ASTRONAUTES » ?
Au vu de la situation actuelle, la réponse est oui, si toutefois ils réalisent le voyage depuis un site de lancement américain. La FAA et l’U.S. Air Force sont toutes deux d’accord pour dire que chaque personne ayant volé au-delà de 80 km d’altitude au-dessus de notre planète remplit les conditions requises pour obtenir la désignation.
QU’EN PENSENT LES ASTRONAUTES DE LA NASA ?
Certains pourraient estimer qu’aller en orbite est ce qui définit un astronaute. Cependant, « je pense qu’Alan Shepard et Gus Grissom ne seraient pas d’accord », confie Terry Virts, ancien commandant de la Station spatiale internationale qui a passé plus de 213 jours en orbite. « Ce sont les deux premiers astronautes américains à ne pas être allés en orbite. »
Selon Terry Virts, il existe une grande différence entre réaliser un vol suborbital de cinq minutes et faire une mission de six mois en orbite, même si après tout, ces deux catégories de personnes ayant participé à ces deux types de voyages ont mérité le titre d'« astronaute ».
« Si vous prenez place à bord d’une fusée, je pense que cela vaut quelque chose », ajoute Terry Virts. « Lorsque j’étais pilote de F-16, je n’étais pas jaloux des pilotes de Cessna que l’on appelait « pilotes ». Je pense que tout le monde sait faire la différence entre un passager qui paye pour un vol suborbital de cinq minutes et un commandant de véhicule spatial interplanétaire. Ce sont deux choses différentes. »
Mike Massimino s'accorde à dire qu’il existe une distinction importante entre être sélectionné comme astronaute de la NASA, avec « l’entraînement, les difficultés, les rejets, tout cela », et être un client payant. Mais il est aussi tout à fait d’accord pour que les touristes spatiaux se voient décernés le titre.
« Je pense que si vous allez au-delà de cette ligne, vous répondez sans aucun doute aux critères pour être un astronaute », indique-t-il. « Plus on est de fous, plus on rit ! »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.