Pourquoi les signes de vie sur Mars restent un grand mystère

La tentation est grande d'interpréter les récentes découvertes des rovers de la NASA comme les signes d'une vie extraterrestre, mais ce ne serait pas la première fois que Mars se joue de nous.

De Nadia Drake
Publication 3 févr. 2022, 09:25 CET
Le rover Curiosity de la NASA a prélevé des échantillons dans le cratère Gale, représenté ci-dessus, ...

Le rover Curiosity de la NASA a prélevé des échantillons dans le cratère Gale, représenté ci-dessus, qui contenait un isotope léger du carbone, un élément associé à la vie sur Terre.

PHOTOGRAPHIE DE NASA/Caltech-JPL/MSSS

Pour les scientifiques à la recherche de formes de vie extraterrestres, il devient difficile d'ignorer le chant des sirènes martiennes. Les récentes observations faites par les rovers sur la planète rouge laissent deviner la signature des microbes, cela signifierait-il que la Terre n'est pas l'unique refuge de la vie dans le système solaire ?

Il y a quelques semaines, la NASA a partagé une nouvelle réjouissante : le rover Curiosity a observé un mélange d'isotopes du carbone dans les roches du cratère Gale qui, sur Terre, serait signe de vie. Le véhicule a également enregistré des pics de méthane à la fois aléatoires et saisonniers, un gaz principalement produit de façon biologique sur Terre.

À environ 3 700 km de là, le dernier-né des rovers de la NASA, Perseverance, a immortalisé d'étranges pellicules violettes sur les roches jonchant le plancher du cratère de Jezero. Ce type de revêtement est répandu sur la planète rouge et ressemble aux vernis du désert que l'on retrouve sur Terre en présence de microbes.

Curiosity a pris ce selfie sur un site baptisé Mary Anning, en hommage à la paléontologue ...

Curiosity a pris ce selfie sur un site baptisé Mary Anning, en hommage à la paléontologue anglaise du 19e siècle. Le rover a ensuite prélevé trois échantillons de roche sur ce site en quittant la région de Glen Torridon, qui aurait pu accueillir la vie autrefois d'après les scientifiques.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL Cal-tech, Msss

Pour le moment, les scientifiques ne sont pas prêts à affirmer que notre voisine écarlate a un jour été habitée. Chaque indice évoquant la biologie pourrait également être expliqué par un aspect encore méconnu de géologie ou de chimie martienne, c'est dire à quel point nous en savons peu sur le fonctionnement de cette planète : ce que nous percevons comme les empreintes de la vie pourrait être le fruit de phénomènes inertes.

« Nous sommes face à un monde extraterrestre, nous n'avons probablement pas pensé à tout, » déclare Abigail Fraeman, responsable scientifique adjointe du projet Curiosity pour le Jet Propulsion Laboratory de la NASA.

La prochaine étape de notre quête de forme de vie martienne sera de rapatrier des morceaux de la planète en laboratoire, sur Terre, où les instruments les plus puissants à notre disposition pourront chercher les réponses à la question qui occupe l'humanité depuis la nuit des temps. Le rover Perseverance s'affaire déjà à recueillir les premiers échantillons pouvant contenir les preuves de la présence de microorganismes dans le cratère de Jezero il y a plusieurs milliards d'années.

Quelle que soit la réponse, elle nous apportera de précieuses informations quant aux origines de la vie sur notre propre planète.

« L'histoire ancienne des deux planètes présente de nombreux points communs, c'est à se demander pourquoi elles ont ensuite évolué de manière si différente, » déclare l'astrobiologiste Amy Williams de l'université de Floride. « S'il n'y a pas de vie sur Mars, alors pourquoi ? Qu'est-ce qui a changé ? Et s'il y en a eu un jour, que lui est-il arrivé ? »

 

DE ZIGGY À CURIOSITY 

Dans notre imaginaire, Mars a presque toujours été habitée, tantôt par des extraterrestres, tantôt par nos futures colonies. Malheureusement, les sondes envoyées par l'Homme ont rapidement détruit les rêves de civilisation avancée, de végétation saisonnière ou même de petits êtres végétariens gélatineux et sans défense.

« Il n'y a rien de fluorescent, rien qui puisse dire bonjour et nul besoin de pistolet laser pour s'y poser, » plaisante Andrew Steele de la Carnegie Institution for Science.

Les images aériennes et les expériences menées en surface par les atterrisseurs Viking de la NASA ont clairement indiqué que Mars n'était pas une planète foisonnante de vie facilement détectable. « Il a fallu du temps pour que la recherche sur Mars se remette de ce constat, » indique Steele.

En 1996, des scientifiques ont annoncé la découverte d'une météorite martienne dans la région des collines d'Allan, en Antarctique. Cette météorite semblait contenir des microfossiles en forme de vers, peut-être les vestiges minéralisés d'une forme de vie qui s'était tortillée à la surface de la planète 4,1 milliards d'années plus tôt. Ces observations étaient ambiguës et extrêmement clivantes, si bien que les débats autour de la découverte se poursuivent encore aujourd'hui. Mais il faut voir le bon côté des choses.

« La controverse des collines d'Allan a réellement fait progresser l'astrobiologie, » témoigne Kennda Lynch, astrobiologiste au sein du Lunar and Planetary Institute. « Nous devons beaucoup à cette météorite, car elle nous a vraiment forcés à reconsidérer ce que nous savions sur la vie. »

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    Cette image montre le forage Highfield réalisé par le rover Curiosity lors de sa collecte d'échantillon à Vera Rubin Ridge dans le cratère de Gale, sur Mars. L'échantillon ainsi prélevé était enrichi en isotope léger du carbone, un possible signe de vie non confirmé à ce jour.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA/Caltech-JPL/MSSS

    Une nouvelle ère de l'exploration martienne a vu le jour en 2012, lorsque le rover Curiosity a posé ses six roues au creux du cratère Gale. De nos jours, ce renfoncement de 154 km de diamètre abrite une vaste montagne composée de nombreuses couches de sédiments où s'est écrite l'histoire de Mars. L'objectif principal de Curiosity est de traquer les signes d'une habitabilité passée, comme de l'eau, des composés organiques ou une source d'énergie, les ingrédients nécessaires à la vie telle que nous la connaissons.

    Le rover n'a eu aucun mal à identifier les marqueurs de l'eau ; après tout, les scientifiques soupçonnaient déjà le cratère d'avoir contenu un lac profond par le passé. Curiosity a presque immédiatement détecté une série de roches dont la formation n'est possible qu'en présence d'eau.

    Le reste de la mission s'est avéré plus difficile.

    Au fil des années, Curiosity a découvert dans le cratère la trace de nombreuses molécules organiques, les éléments chimiques essentiels aux formes de vie carbonées. Il a également détecté les signes d'une ancienne activité hydrothermale, où chaleur et composants chimiques se mélangeaient à une eau en mouvement, créant de potentielles sources d'énergie.

    Le rover a également déterminé que la concentration en méthane gazeux dans le cratère évoluait au fil des saisons, avec des pics massifs de temps à autre, confirmant les observations faites depuis la Terre et restées sans explication depuis plus de dix ans. Sur notre planète, une telle fluctuation est un indicateur solide de la présence d'êtres vivants possédant un métabolisme actif.

    Pour le moment, aucune de ces observations n'a pu être associée à un phénomène biologique et il est toujours possible que des processus dont nous ne comprenons pas le fonctionnement imitent les signatures de la vie.

    « Sur Terre, les processus impliquant du carbone sont pour la plupart d'origine biologique, il faut donc modifier notre façon de penser et envisager un monde où cela n'est pas forcément vrai, mais c'est un réel défi, » explique Christopher House, astrobiologiste à l'université d'État de Pennsylvanie. « Une fois sortis de cet état d'esprit centré sur la Terre, nous pourrons réfléchir aux potentiels mécanismes propres à la planète Mars. »

     

    L'AFFAIRE DU CARBONE MARTIEN

    La découverte la plus étrange et fascinante de Curiosity ne nous est apparue que tout récemment. Dans divers échantillons de roche prélevés à différents endroits du cratère, le rover a identifié des composés organiques présentant de surprenantes concentrations en isotopes du carbone, des atomes de carbone dont le noyau contient un nombre différent de neutrons.

    Sur Terre, les organismes préfèrent utiliser la version plus légère du carbone dans les réactions métaboliques ou photosynthétiques, ce qui se traduit par un rapport biaisé dans lequel la forme plus légère est nettement plus abondante que la forme plus lourde.

    C'est exactement ce qu'ont découvert les scientifiques dans cinq sites du cratère Gale : une nette prévalence des isotopes légers du carbone sur leurs homologues plus lourds, par rapport aux analyses de l'atmosphère martienne et des météorites. Ces observations rappellent les rapports isotopiques des échantillons prélevés dans la formation de Tumbiana en Australie, un affleurement rocheux âgé de 2,7 milliards d'années qui contient les signatures d'anciens microbes producteurs de méthane.

    « Cette altération des isotopes du carbone est vraiment intrigante. Elle parle d'elle-même. Sur Terre, la seule façon d'obtenir ce résultat, c'est par la biologie, » déclare Williams.

    Mais pour House, auteur de cette analyse, l'histoire est loin d'être terminée. Au total, lui et ses collègues ont proposé trois explications pour ce déséquilibre isotopique.

    Commençons par la plus intéressante : la signature pourrait bel et bien être celle d'anciens microbes. Autre scénario, le système solaire pourrait avoir traversé il y a fort longtemps un nuage de poussière interstellaire à la composition isotopique particulière, comme il en existe, et celui-ci aurait laissé son empreinte sur Mars. Dernier cas de figure, le rayonnement ultraviolet aurait pu interagir avec le dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère martienne pour créer cette étrange signature.

    « Nous n'avons pas la réponse, » reconnaît House. « C'est peut-être biologique, ou pas. Les trois explications correspondent aux données. »

     

    MYSTÉRIEUSE PELLICULE

    Le rover Perseverance de la NASA s'est posé dans le cratère Jezero l'année dernière, et lui aussi mène son enquête à la recherche d'une forme de vie passée.

    En traversant Jezero, Perseverance a croisé le chemin de nombreuses roches recouvertes d'une pellicule violette riche en fer. Bradley Garczynski étudie ces pellicules dans le cadre de son doctorat à l'université Purdue et d'après lui, jamais un rover n'avait observé pareil revêtement sur la planète Mars, même si d'autres roches avec des revêtements différents ont déjà été aperçues à divers endroits de la planète.

    Sur Terre, ce type de vernis se retrouve dans les déserts, là où prospèrent des conglomérats de microbes dévoreurs de roche.

    « Ces pellicules sont fascinantes ; sur Terre, elles présentent un intérêt biologique certain, ce qui se traduit par un immense intérêt astrobiologique lorsque nous les voyons se former sur d'autres planètes, » déclare Williams.

    Pour Lynch, qui étudie les analogues terrestres des environnements martiens, il n'est pas impossible de trouver des biosignatures dans les vernis des roches de Jezero. « Les microbes sont incroyables. Ils recouvrent de vernis les roches parce qu'ils aiment les grignoter, » explique-t-elle.

    Cependant, les scientifiques ont bien plus de contexte pour les environnements terrestres dans lesquels se forment ces vernis, poursuit Lynch, et le contexte est primordial pour interpréter correctement une observation. Même sur notre planète, les chercheurs doivent conduire une évaluation rigoureuse pour déterminer si ces pellicules sont produites par un organisme vivant ou un autre processus. Il est plus difficile de répondre à cette question à distance.

    « Le système que nous explorons sur Mars est merveilleusement complexe, » déclare Fraeman.

     

    UN MONDE D'AMBIGUÏTÉ

    Pour l'heure, notre recherche de vie extraterrestre devra se poursuivre en rapatriant des fragments de Mars sur Terre, que les scientifiques pourront étudier scrupuleusement à l'aide de leur arsenal technologique. L'une des missions premières de Perseverance est de recueillir des échantillons de roche à nous renvoyer par le biais d'une future sonde spatiale.

    « Les échantillons que nous collectons actuellement sont triés sur le volet, » indique Fraeman. « Nous savons globalement de quel contexte ils proviennent. Ce sera primordial pour répondre à ces grandes questions. »

    Toutefois, il serait faux de penser que la présence d'éclats de Mars en laboratoire nous soulagera de toute ambiguïté. La communauté scientifique s'interroge encore sur ce qui aurait pu vivre ou ne pas vivre dans ALH84001, ce vestige de la croûte martienne qui s'est écrasé en Antarctique il y a 13 000 ans. Après avoir étudié la météorite pendant plus de 25 ans, Steele a récemment publié une analyse de sa composition.

    « J'ai continué à m'y intéresser pour répondre à une question : si ce n'est pas vivant, qu'est-ce que c'est ? » témoigne-t-il.

    Il y a quelques semaines, Steele et ses collègues déclaraient que les composants organiques complexes découverts dans ALH84001 s'étaient formés sans le concours de la vie, mais par des réactions chimiques ordinaires provoquées par la rencontre des fluides souterrains, de la roche et des minéraux.

    « Cela signifie-t-il que cette météorite ne contient pas de vie martienne ? Non, je ne peux pas le prouver, » répond Steele. « S'il y a un organisme martien dans cette roche, il ne nous montre rien de similaire aux organismes terrestres. C'est quelque chose de totalement différent, et je continue de le chercher. »

    De telles réactions géologiques pourraient-elles être la source du méthane martien ? Ou des matières organiques qui jonchent la planète ? Ou des pellicules du cratère Jezero ? C'est tout à fait possible, répondent les astrobiologistes. Mars est un autre monde, un lieu à la chimie étrange et aux paysages qui, même s'ils nous rappellent la Terre, n'en sont pas moins extraterrestres.

    « Mars a une nouvelle fois démontré qu'elle n'était pas la Terre. Ce n'est pas une version primitive de la Terre figée dans le temps, » illustre Williams. « C'est une planète à part entière avec une évolution qui lui est propre ; il s'y déroule encore des processus similaires à la Terre, et d'autres résolument aliens. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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