Que savons-nous du cortège de comètes extrasolaires de Beta Pictoris ?
L'institut d'astrophysique de Paris (IAP) a récemment dénombré les comètes extrasolaires (ou exocomètes) du système Beta Pictoris. Connu depuis 30 ans, celui-ci reste encore bien mystérieux.
Vue d'artiste des exocomètes en orbite autour de l'étoile β Pictoris, ou Beta Pictoris.
Y a-t-il des comètes en dehors de notre système solaire ? Si la question peut sembler anodine, elle a pourtant fasciné les astrophysiciens pendant des années et a trouvé sa réponse en 1987, grâce au travail de Alfred Vidal-Madjar et Roger Ferlet, de l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP).
« Les premières comètes ont été observées dès 1984 », raconte Alain Lecavelier des Étangs, directeur de recherche du CNRS et chercheur de l’IAP. « La découverte a été publiée en 1987, car il a fallu quelque temps pour comprendre ce dont il s’agissait. »
C’est dans le système Beta Pictoris (β Pictoris) que les deux scientifiques ont observé les premières exocomètes : ce dernier avait en effet des conditions d’observation idéales pour les astrophysiciens, donnant parfaitement de profil à notre planète. La plupart des objets gravitant autour de son étoile passent ainsi entre elle et la Terre, ce qui permet l’observation de son passage.
C’est grâce à cette particularité que l’équipe de M. Lecavelier des Étangs a pu estimer la taille d’un grand nombre d’exocomètes dans une étude publiée en avril dans la revue Scientific Reports de Springer Nature.
COMÈTES ET EXOCOMÈTES
Ni lunes ni planètes, les comètes sont de petits corps célestes également en orbite autour du Soleil. Spécifiques à notre système solaire, elles n’en sortent que très rarement et restent généralement sur une orbite définie.
Constituées d’un noyau de roche et de glace, elles peuvent être de taille et de nature variées, et se différencient des astéroïdes par leur queue de gaz et de poussière formée par la sublimation de la glace du noyau.
Issues des mécanismes de formation des planètes, il y a de ça plusieurs milliards d’années, elles seraient susceptibles d’être présentes non loin de ces dernières, aussi bien dans notre système solaire qu’en dehors.
« Ces corps sont en quelque sorte les résidus des briques élémentaires qui ont formé les planètes […], une partie de ce qui n’a pas été utilisé pour former des corps planétaires plus gros », explique M. Lecavelier des Étangs. « Il est attendu qu’à côté des planètes massives d’un système planétaire, nous trouvions de nombreux petits corps, astéroïdes et comètes. »
Contenant de nombreux composants élémentaires, ce sont également de formidables archives de la formation du système solaire. Étudiées avec attention par les astrophysiciens, elles leur permettent ainsi de retracer les premiers jours de notre bout d’univers.
« Les comètes ont été figées telles quelles […], en restant longtemps très loin de leur étoile. [Lorsqu’elles s’en rapprochent], elles libèrent le gaz et les poussières qu’elles avaient emprisonnés dans leurs glaces, et forment de magnifiques queues que nous pouvons étudier pour décrypter leurs messages en provenance d’un passé lointain. »
Le télescope spatial Hubble offre la vision la plus proche à ce jour de la région la plus interne d’une comète, d’où jaillissent des geysers de glace formant une queue de comète spectaculaire.
BETA PICTORIS SOUS SON MEILLEUR PROFIL
Étudiée attentivement depuis 1983, l’étoile Beta Pictoris fait partie de l’association stellaire du même nom, qui rassemble quatre autres étoiles visibles à l'œil nu.
Elle est entourée d’un disque de poussières dues à des collisions d’astéroïdes et à l’évaporation de comètes, l’étoile est encore jeune et se situe à soixante-trois années-lumière de nous. Une distance considérée comme assez proche en astronomie.
Autre particularité de son système : son angle avec la Terre nous permet de le voir de profil depuis notre planète, « par la tranche ». Une aubaine pour les astronomes qui peuvent ainsi observer le transit de nombreux objets devant l’étoile.
Après plus de trente années d’observation, ils ont ainsi pu rassembler de nombreuses informations sur l’état du système et son niveau de développement, mais également sur ses comètes.
« L’étoile étant jeune (environ une vingtaine de millions d’années), son système planétaire est encore dans sa phase de nettoyage des petits corps qui ont donné naissance aux planètes », présente M. Lecavelier des Étangs. « De nombreuses comètes passent devant l’étoile à un moment de leur orbite ; ce sont ces passages ou "transits" que l’on étudie pour détecter et décortiquer le contenu des comètes. »
Ce contexte d’observation est idéal, permettant de rassembler de nombreuses données sur des exocomètes qui sont autrement très difficiles à observer. Ces petits corps célestes s’observent plus facilement dans le cas des étoiles aux systèmes encore récents, mais se font plus rares dans les autres systèmes connus des astronomes.
« Nous avons quelques autres étoiles jeunes pour lesquelles nous avons déjà observé la présence d’exocomètes », explique le chercheur de l’IAP. « Mais ces étoiles sont peu nombreuses, tout au plus une dizaine, et les détections sont rares [et] quelques fois controversées. »
FAITES DE POUSSIÈRE D'ÉTOILES
Pour étudier les exocomètes, les scientifiques ont pu compter sur l’utilisation de deux techniques différentes : la spectroscopie et l’astrophotométrie. Utilisables à plusieurs millions de kilomètres de distance, ces techniques reposent sur l’étude de la lumière de Bêta Pictoris traversant la queue des comètes lors de leurs passages devant l’étoile.
« Il n’est pas question de pouvoir observer les noyaux de ces comètes qui ne font que quelques kilomètres de diamètre », précise l’astronome. « En revanche […], lors de ce passage, une partie de la lumière de l’étoile est absorbée par la queue cométaire [et] nous mesurons une diminution de la luminosité. [À partir] de cette mesure, nous pouvons faire des conclusions sur les propriétés physiques de la queue de la comète. »
La spectroscopie est une technique d’analyse permettant de déterminer la nature d’un composant gazeux à partir des longueurs d’onde de son rayonnement. Chaque gaz rayonne et absorbe la lumière à une longueur d’onde (ou couleur) qui lui est propre. En décomposant la lumière reçue par le télescope à la manière d’un arc-en-ciel, il est possible de déterminer quelle longueur d’onde spécifique est absorbée par la queue de la comète, et d’identifier les gaz qui la composent.
La photométrie repose quant à elle sur la mesure de l'absorbtion de la luminosité globalge de Beta Pictoris. Il s’agit alors de mesurer la baisse de sa luminosité lors du passage de la queue de la comète, entre cette dernière et le télescope.
Pouvant s’étendre sur plusieurs milliers, voire plusieurs millions de kilomètres, ces trainées de gaz et poussière sont facilement détectables, même à plusieurs années-lumière de distance.
« À partir des observations des queues de poussières détectées par photométrie, nous pouvons déduire la quantité de poussières produites », explique le chercheur de l’IAP. « Et en comparant avec les comètes du système solaire dont nous avons mesuré la taille des noyaux et la quantité de poussière, nous pouvons déduire la taille des noyaux des comètes de Beta Pictoris. »
C’est grâce à ces résultats que la taille d’un grand nombre de comètes a pu être estimée, offrant une vue d’ensemble aux chercheurs. Selon ces analyses, la majeure partie d’entre elles sont de petite taille, tandis que les plus grosses comètes se font particulièrement rares.
« La mesure et la distribution de taille de trente exocomètes de Beta Pictoris sont une grande première qui nous permet d’affirmer que ces objets sont issus de processus de fragmentation de corps plus gros », ajoute M. Lecavelier des Étangs. « [C’est] ce qui explique que nous observons beaucoup plus de petites comètes que de grosses, tout comme l’on a peu de gros morceaux et énormément de miettes lorsque l’on fragmente un verre. »
Si ces découvertes sont particulièrement importantes, de nombreuses données restent encore à exploiter.
Forts des observations de Beta Pictoris, les astronomes de l’IAP espèrent pouvoir découvrir des exocomètes dans d’autres systèmes planétaires.
« Nous espérons découvrir de nouveaux systèmes exocométaires avec les observatoires spatiaux comme l’observatoire CHEOPS de l’ESA et les missions Kepler et TESS de la NASA », s’enthousiasme M. Lecavelier des Étangs. « Nous observerons dès le printemps prochain les comètes de l'étoile HD172555 avec le télescope Spatial Hubble : de nouvelles découvertes sont en vue ! »