Influence de la Lune : entre mythes et réalités
La pleine lune nous rend-elle insomniaques ou criminels ? Provoque-t-elle des accidents de la route ? Une astrophysicienne démêle le vrai du faux.
Une "Super Lune" s'élevant derrière le cerro Armazones, une montagne du Nord du Chili. Malgré les idées reçues, la Lune n'a que peu d'influence sur les humains.
La pleine lune nous rend-elle insomniaques ? Réveille-t-elle nos pulsions criminelles ? Provoque-t-elle des accidents de la route ?Cet astre peuple nos imaginaires depuis la nuit des temps. Parmi les phénomènes attribués à la Lune, le vrai se mêle aux croyances. Bien souvent, les affirmations qui circulent ne reposent en fait que sur des traditions et de puissants biais cognitifs. Tour d’horizon des idées reçues sur l’influence de la Lune avec Yaël Nazé, astrophysicienne à l’Institut d’astrophysique et de géophysique de l’Université de Liège, et autrice du livre Astronomie de l’étrange paru en 2021 aux éditions Belin.
LA PLEINE LUNE EST-ELLE RESPONSABLE DES NUITS SANS SOMMEIL ?
À la suite d’une mauvaise nuit, nous sommes nombreux à blâmer la pleine lune. Des études scientifiques (contestées) ont même validé ces accusations. En 2013, une étude suisse a démontré que la pleine lune dégradait un peu le sommeil, y compris lorsque l’on dormait dans une pièce aveugle. « Toute la communauté scientifique a sursauté » soupire Yaël Nazé.
Les doléances des chercheurs ? Cette étude se basait seulement sur trente-trois sujets, et n’analysait pas le sommeil de la même personne au cours de plusieurs mois lunaires. Elle se contentait de comparer le sommeil d’une personne A pendant une phase donnée à celui d’une personne B pendant une autre phase. Et A et B n’avaient pas le même âge, or l’âge est un facteur essentiel dans la qualité du sommeil... Résultat, l’étude ne peut prouver l’impact de la Lune sur le sommeil.
D’autres études reprennent régulièrement ce flambeau pour creuser le lien entre cet astre et nos insomnies. « En 2021, des chercheurs ont publié une étude dans la revue Sciences Advances. Ils écrivent que certaines communautés sans électricité dorment moins à la pleine lune. Mais c’est simplement parce qu’il y a plus de lumière à cette période-là, et qu’elles en profitent pour poursuivre leurs activités. C’est devenu par la suite une tradition » détaille Yaël Nazé. Quand les laboratoires d’études du sommeil ressortent les données concernant les nuits de centaines de patients, c’est très clair : la Lune n’a pas d’effet sur notre sommeil.
Plus de suicides ou de meurtres à la pleine Lune ? Toujours pas. « Dans les études avec de grands échantillons et des durées longues, sans sélection de données, on n’observe aucun effet de la pleine lune sur ces faits divers » explique Yaël Nazé.
Reste un type d’accident où l’on peut enfin accuser la Lune en toute bonne conscience : les collisions entre les voitures et les sangliers, les cerfs, ou même les marsupiaux en Australie ! Ces derniers se déplacent plus souvent lorsque leurs chemins sont illuminés par la pleine lune. Conséquence ? Une hausse de ce type d’accidents.
LA LUNE PROVOQUE-T-ELLE DES CATASTROPHES NATURELLES ?
C’est une idée que l’on entend peut-être moins souvent sur les effets de la Lune : elle causerait séismes et éruptions volcaniques. Et cette fois-ci, il y a une part de vérité. Avec les marées océaniques, la Lune déplace de grandes quantités d’eau, ce qui augmente ou diminue la pression sur la croûte terrestre. Pour une faille proche du basculement, ou un volcan prêt à entrer en éruption, « la Lune pourrait parfois être responsable de la pichenette qui va faire basculer le système » explique Yaël Nazé.
Mais attention ! On n’annonce pas de grandes catastrophes naturelles toutes les veilles de pleine lune, de marée haute, ou autre agitation d’origine lunaire. « Soyons clairs : les études montrent que, si effet il y a, il est minime et donc inutilisable pour prédire quoi que ce soit. Enfin, les analyses montrent aussi des effets plutôt variés (ce qui, de nouveau, n’aide pas la prédiction). À Hawaï, les éruptions du Mauna Loa ne montrent aucune préférence de phase lunaire alors que le Kilauea semble se fâcher de préférence lors des vives-eaux (marée d’amplitude supérieure à la moyenne, ndlr). Le Stromboli, pourtant semblable au Kilauea, paraît, lui, préférer les mortes-eaux (marée plus faible, ndlr) pour ses éruptions ».
Une éclipse lunaire totale. L'image a été prise dans la nuit du 15 mai 2022 depuis l'observatoire Paranal de l'Eso au Chili.
FAUT-IL SUIVRE LA COURSE DE LA LUNE POUR JARDINER ?
C’est une pratique en vogue ; jardiner en fonction des phases de la Lune permettrait d’avoir de plus belles plantes. D’où vient cette croyance ? « Tout repose sur une analogie simple : la forme de la Lune croît entre la nouvelle lune et la pleine lune, donc notre satellite favoriserait tout ce qui doit croître, et ce serait ainsi le bon moment de semer. Le temps passant, certains ont modifié la tradition initiale, et se réfèrent plutôt à la position de la Lune dans le ciel pour déterminer les moments propices » explique Yaël Nazé.
Mais cela relève du folklore. Le directeur des jardins de Louis XIV, Jean-Baptiste de La Quintinie, l’avait déjà remarqué : « Tout ce que j’ai appris par mes observations longues, fréquentes, exactes et sincères a été que ces décours (phase décroissante de la Lune, ndlr) ne sont simplement que de vieux dires de jardiniers mal habiles » écrit-il dans son Instruction pour les jardins fruitiers et potagers.
La lumière de la Lune est en effet bien trop faible pour avoir une quelconque influence sur les plantes. Une pleine lune envoie en effet 2 lux (unité de mesure de la luminosité) sur la Terre, contre 120 000 lux pour les rayons du soleil. Peut-elle, comme pour les marées, agir sur l’eau présente dans les plantes ? Non plus : les volumes d’eau sont bien trop petits. La preuve : la Lune provoque des marées dans les océans, pas dans les lacs ou les ruisseaux. Si ces jardiniers ont de belles plantes, c’est simplement parce qu’ils sont généralement attentifs aux autres facteurs importants : la qualité des sols, les engrais, la consommation d’eau... Ils ont une connaissance poussée du milieu dans lequel ils interviennent.
POURQUOI CES CROYANCES PERSISTENT-ELLES ?
Si l’on continue d’attribuer tant de pouvoirs à la Lune, c’est à cause de traditions et de croyances, renforcées par de puissants biais cognitifs.
« Le personnel médical fourbu après une grosse journée de travail remarquera la pleine lune en retournant chez lui, mais oubliera toutes les autres fois où c’était pleine lune sans surcroît de travail, ou bien les fois où il y avait beaucoup de travail mais rien de particulier dans le ciel. Sur une base nourrie par la tradition, on retiendra l’association, même rare, et elle viendra renforcer la croyance initiale » explique Yaël Nazé, tout en poursuivant « c’est parfois très difficile d’accepter que quelque chose arrive par hasard. Une dernière anecdote qui le montre : une étudiante infirmière a compilé les statistiques de son hôpital pour comparer les accouchements en fonction des phases lunaire. Résultat ; il n’y a aucune influence de la Lune. Mais lors de sa soutenance, personne n’a voulu la croire ! »
Une preuve de plus que la Lune n’a pas fini de faire parler d’elle.