Vie sur Mars : Perseverance a prélevé son premier échantillon

En attendant leur retour sur Terre, le rover devra conserver ces échantillons immaculés qui vont bouleverser la science martienne.

De Maya Wei-Haas
Publication 7 sept. 2021, 17:12 CEST
L’astromobile Perseverance a recueilli avec succès son premier échantillon de roche martienne. Pour achever la mission ...

L’astromobile Perseverance a recueilli avec succès son premier échantillon de roche martienne. Pour achever la mission et enfin savoir si Mars a un jour abrité la vie, les prélèvements effectués devront être envoyés sur Terre.

Image by NASA, JPL Cal-tech, Msss

Un géologue robotique situé à 392 millions de kilomètres de nous vient d’entrer dans l’histoire. Dans un vrombissement de perceuse, il a recueilli son tout premier échantillon de roche martienne et le conservera en attendant qu’un camarade l’emporte sur Terre. Scellé dans un tube hermétique et immaculé, cet échantillon concrétise un investissement de plusieurs milliards de dollars et va enfin nous permettre de répondre à la fameuse question : La planète rouge a-t-elle un jour abrité la vie ?

Cette manœuvre couronnée de succès intervient après une première tentative infructueuse. Le mois dernier, Perseverance avait tenté de prélever à la surface du cratère un morceau de roche fragile et érodé qui avait fini par s’effriter. Cette fois-ci l’équipe a tenté sa chance à un autre endroit et a réussi à extraire une carotte d’un rocher plus consistant qui repose sur une crête de près de 800 mètres de long.

« Toute la science de la NASA ne fait pas d’ombre à ce moment vraiment historique », a assuré Thomas Zurbuchen, administrateur adjoint du Directoire des missions scientifiques (SMD) de la NASA, dans un communiqué de presse.

Cette petite carotte rocheuse (qu’on aperçoit ici à l’intérieur de l’instrument de forage) est le tout ...

Cette petite carotte rocheuse (qu’on aperçoit ici à l’intérieur de l’instrument de forage) est le tout premier échantillon prélevé sur Mars. La NASA prévoit d’en rapporter des dizaines sur Terre.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL Cal-tech, Asu

Le projet a toutefois connu quelques problèmes. Alors que les premières images envoyées par le rover montraient que la pierre brune et tachetée était correctement nichée dans son tube, l’échantillon a disparu après que le rover a secoué le tube pour l’épousseter. Une journée supplémentaire d’analyses aura été nécessaire pour se rendre compte que le trésor avait simplement glissé plus loin que prévu dans le tube, que Perseverance avait soigneusement rebouché et stocké dans son ventre.

Cet échantillon n’est que le premier. Des dizaines vont être prélevés dans les mois à venir. À la fin de sa mission, le rover déposera son butin sur le sol martien et une mission dédiée viendra le ramasser et l’amènera aux scientifiques qui trépignent ici sur Terre.

« C’est un peu irréel », confie Vivian Sun, du Laboratoire de recherche sur la propulsion par réaction (JPL) de la NASA, qui co-dirige la première phase de la mission. « Ce que nous sommes en train de faire va avoir un impact durable sur la science martienne. »

Perseverance est capable de prélever des échantillons, mais ça n’est pas tout. Le rover peut aussi renifler, goûter et scruter le paysage martien grâce à des outils embarqués plus précis que jamais qui permettent aux scientifiques de se plonger dans le passé de la planète et de se mettre en quête de traces d’une vie microbienne qui a peut-être proliféré dans les rivières et les lacs aujourd’hui évaporés de la planète. Cette quête spectaculaire prend place dans le cratère Jezero, bassin de 49 kilomètres de diamètre découpé par une météorite il y a des milliards d’années.

Perseverance a atterri près du bord du cratère en février dernier au terme d’une descente éprouvante de sept minutes dans la légère atmosphère de Mars. L’astromobile et ses six roues parcourent certes un terrain aride, mais les roches et le sable qui composent le sol martien regorgent d’indices qui trahissent une présence ancienne d’eau. L’équipe scientifique chargée d’explorer la région grâce aux instruments sophistiqués du robot sélectionnera des échantillons prélevés au niveau du cratère, au niveau d’un ancien delta et plus loin encore.

« Nous allons avoir des surprises », annonce Nina Lanza, planétologue et superviseure de l’exploration spatiale et planétaire au laboratoire national de Los Alamos. « Nous allons apprendre des choses que nous n’aurions jamais pu imaginer. »

 

JEZERO, UNE INTRIGUE GÉOLOGIQUE

D’après la communauté scientifique, Mars fut un jour nappée d’une atmosphère épaisse, assez consistante pour piéger suffisamment de chaleur et empêcher l’eau de geler, et à la pression assez élevée pour que l’eau ne s’évapore pas. Mais à un moment donné, l’atmosphère s’est raréfiée et le climat de Mars a pris une tournure spectaculaire. Il y a trois milliards d’années, la planète s’est asséchée et Mars est devenue cette boule de poussière rouge que nous connaissons aujourd’hui.

Nous sommes incapables d’expliquer pourquoi et comment cela s’est produit. Les roches du cratère Jezero sont une occasion remarquable d’étudier cette transformation impressionnante, de saisir le moment crucial qui a vu ce grand assèchement surgir. « Comme nous explorons différentes parties du cratère Jezero, nous sommes en quelques sortes capables marcher dans le temps », illustre Kathryn Stack Morgan, chercheuse au JPL.

Jezero est en réalité un cratère à l’intérieur d’un cratère. Cette dépression, qu’on appelle aussi « pockmark », est juchée à la limite occidentale du bassin d’Isidis, cratère de quelque 1 200 kilomètres de diamètre creusé par l’impact d’un astéroïde gigantesque il y a 3,9 milliards d’années environ. Puis c’est un impact ultérieur qui a sculpté la cuvette intérieure qu’on appelle désormais Jezero. Enfin, sont venues les eaux.

Des rivières sinueuses ont débordé dans le cratère au point d’en faire un lac. À mesure qu’elle se déversait dans le bassin, l’eau s’agitait moins. Cela a permis au sable et à la boue qui y étaient en suspension de se déposer au fond du lac et de former deux deltas qui se sont déployés selon les ramifications des cours d’eau.

Le rover va explorer les vestiges déshydratés du plus vaste des deux deltas du cratère, sur le bord occidental de Jezero. Il est possible que ces sédiments aient formé ce delta assez rapidement pour avoir recouvert et préservé des signes de vie (si toutefois il y en a eu) avant l’assèchement des rivières il y a environ 3,5 milliards d’années.

Une brèche sur le bord opposé à ce cône de déjection sablonneux, récemment nommé Pliva Vallis, indique l’endroit par lequel s’est écoulé l’eau du lac. La présence d’une entrée et d’une sortie suggère que les eaux du lacs étaient renouvelées en permanence. Cela a empêché le sel de s’accumuler dans des proportions qui auraient nui à de nombreuses formes de vie, et donc peut-être fait de Jezero l’endroit idéal pour que les microbes prolifèrent.

« En tant que géologue, je ne peux qu’être enthousiaste à l’idée qu’on en apprenne plus sur Mars », commente Bethany Ehlmann, planétologue à l’Institut de technologie de Californie (Caltech).

 

« UN BOUT DE ROCHE »

Pour prélever le trésor géologique de Jezero, le système de prélèvement de Perseverance se compose d’un trio de robots qui travaillent ensemble pour découper des carottes de sol, les sceller dans des tubes sous vide, et les déposer dans un compartiment de stockage dans le ventre de l’astromobile. « C’est un vaisseau spatial à l’intérieur d’un vaisseau spatial », analyse Ian Clark, ingénieur systèmes au JPL qui fait partie du projet.

Lors de sa première tentative, le rover avait ciblé une mosaïque imbriquée de pierres brun-roux constituant des portions entière de la surface du cratère ; ce sont vraisemblablement les plus anciennes roches que le rover trouvera à Jezero. L’origine volcanique de ces « dalles de pierre » (c’est le surnom que leur donnent les scientifiques du projet) est tout indiquée par les indices recueillis en orbite et les analyses effectuées par le rover. Si elle s’avère, il sera alors possible de les dater avec précision à leur retour sur Terre grâce à leur radioactivité et de reconstituer le passé complexe de la région.

Mais la première tentative de prélèvement a laissé l’équipe scientifique bredouille. Même si le système de prélèvement semblait au premier abord fonctionner comme prévu, le tube scellé est resté vide. D’après des analyses ultérieures, l’interaction des sédiments rocheux avec l’eau aurait largement ôté la glue géologique qui les maintenait ensemble. C’est cela qui a provoqué l’effritement de l’échantillon sous les coups du carottier.

À en croire ce qu’a écrit dans un post de blog Ken Farley, scientifique du projet, l’équipe n’a cependant pas perdu l’espoir de parvenir à prélever un échantillon à la surface du cratère. Ses membres ont d’ailleurs prévu de partir à la recherche de pierres moins érodées.

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    Pour sa deuxième tentative de forage, l’équipe a dirigé le rover vers l’ouest afin de trouver des rochers qui soient « aussi différents que possible » des dalles de pierre. L’astromobile s’est focalisé sur un rocher juché au sommet d’Artuby, arête de près de 800 mètres de long. Surplombant le paysage, ce rocher semble résister aux caprices de la météo depuis la nuit des temps et pourrait donc être assez solide pour supporter un forage.

    D’après Roger Wiens, planétologue au laboratoire de Los Alamos et opérateur en chef de la SuperCam du rover, ce rocher est semblable aux autres « rochers dressés », comme les appelle l’équipe, qui ressortent du sol du cratère. L’équipe avait prévu dès le départ de forer un de ces rochers dressés, en plus des dalles. « Mais nous voulions commencer par ce qui nous semblait le plus facile, c’est-à-dire par les moins solides, et euh… oups », s’amuse-t-il.

    Comme le soupçonnait Ken Farley, la carotte qu’ils viennent de prélever confirme que le premier échantillon n’était qu’un « bout de roche pas sage » et qu’il n’y a pas de problème avec les instruments de forage et de stockage du rover.

     

    EFFECTUER PLUS DE PRÉLÈVEMENTS ET LES ENVOYER SUR TERRE

    Les premiers échantillons à l’abri, l’astromobile ne va pas tarder à mettre les bouchées doubles vers l’est et se dirigera ensuite vers le nord en direction du delta avec pour mission l’étude des formations rocheuses rencontrées en chemin. Les stratifications rocheuses sont une des caractéristiques que les scientifiques ont le plus hâte d’étudier. On retrouve ce genre de feuilletage sur Terre dans les sédiments déposés par l’eau, par le vent et parfois par les volcans.

    Dans l’eau, ce feuilletage se forme grâce à de lents dépôts successifs de boue, qui recèlent peut-être des traces de vie et pourraient nous informer sur la chimie du lac évaporé de Jezero. D’après Keyron Hickman-Lewis, géo-biologiste au muséum d’histoire naturelle de Londres et chercheur chargé de l’étude des prélèvements à leur retour, ce sera « une véritable archive » des conditions de formation de ces roches.

    On retrouve fréquemment ce phénomène de stratification dans les deltas, et celui de Jezero n’échappe à la règle. En plus, le rover a déjà pu apercevoir des feuilletages prometteurs sur des roches présentes à la surface du cratère. Lors d’une conférence de presse donnée en juillet, Ken Farley a montré la photo d’un dépôt sur le sol du cratère qui ressemble à un empilement irrégulier de feuilles brunes. « C’est exactement le genre de roches qui nous intéresse le plus dans nos recherches », a-t-il expliqué. Mais d’après Roger Wiens, les scientifiques cherchent toujours à connaître les processus qui ont mené à la formation de ces roches, qu’elles soient sédimenteuses, volcaniques, ou les deux.

    En remontant le delta, il y aura deux autres cibles de choix : l’argile et les carbonates que Bethany Ehlmann et ses collègues ont repéré pour la première fois à Jezero il y a plus de dix ans à l’aide de données recueillies en orbite. Sur Terre, les carbonates entretiennent souvent des liens étroits avec la vie et peuvent préserver des structures de toute beauté comme les strates légèrement froissées formées par les stromatolithes, ces anciens lits microbiens. L’argile peut quant à elle recouvrir rapidement des matières organiques, et s’il en existe sur Mars, alors elles sont peut-être à l’abri des radiations cosmiques destructrices qui bombardent la surface de la planète.

    Les roches riches en manganèse constituent une autre cible pleine de mystères. Ce minéral peut se former de plusieurs manières. Par l’action microbienne notamment.

    Nina Lanza et ses collègues de Los Alamos ont proposé, dans une étude publiée il y a peu, que des cyanobactéries puissent être à l’origine des vernis riches en manganèse qui nappent généralement les roches des déserts de notre planète. Il se pourrait que les microbes utilisent ce minéral comme une sorte de crème solaire pour se protéger des radiations ultraviolettes.

    Et on a déjà repéré du manganèse sur Mars, dans le cratère voisin de Gale, où Curiosity mène ses propres enquêtes. L’équipe pense en avoir découvert à Jezero également, mais ils poursuivent leur travail avant d’en confirmer la présence et la quantité. Sur Mars, le manganèse peut se présenter sous bien des formes et est peut-être à l’origine de l’apparence plus ou moins uniforme des roches du cratère.

    « Si nous voyons quoi que ce soit qui ressemble à du vernis sur des roches, nous devrions vraiment nous arrêter et aller les examiner de plus près », commente Nina Lanza.

     

    LA VIE TELLE QUE NOUS LA CONNAISSONS

    Une fois que des dizaines d’échantillons auront été collectés et stockés, une autre mission atterrira sur Mars pour les récupérer. La NASA et l’Agence spatiale européenne (ESA) sont en train de concevoir un engin tout-terrain équipé d’un « rover de récupération » qui pourrait être lancé dès 2026.

    Une petite fusée placée sur l’engin transportera les précieuses roches en orbite où un orbiteur les attrapera et ira les relâcher au voisinage de la Terre dans une petite sonde qui s’écrasera dans le désert de l’Utah.

    Une fois les échantillons arrivés à bon port, les scientifiques devront mobiliser des outils complexes pour dévoiler les secrets qu’ils renferment. Mais cela ne suffira pas. De nouveaux obstacles nous attendent déjà sur le chemin de la découverte d’une forme de vie ancienne. Un débat anime les experts depuis longtemps pour savoir ce qui constitue une véritable preuve de vie primitive ici sur Terre. Les affirmations au sujet de formes de vie qui auraient existé il y a des milliards d’années sur notre planète ont déjà engendré des disputes qui ont duré des années mais aussi des schismes dans la communauté scientifique.

    Un débat s’est récemment tenu au sujet d’un ensemble de roches âgées de 3,7 milliards d’années retrouvées sur le littoral sud-ouest du Groenland. En 2016, une équipe scientifique a soutenu que la série de triangles froissés à l’intérieur de ces roches étaient des traces d’activité microbienne. Cela en aurait fait la plus ancienne forme de vie fossilisée connue à ce jour. Mais la géologue Abigail Allwood et ses collègues du JPL ont eu des soupçons. Quand ils sont retournés étudier l’affleurement, c’est une autre photographie qui a émergé. Ce n’était pas l’agitation de microbes qui engendrait ces plissures, mais des processus géologiques aplatissant la pierre.

    « Rien ne vaut le fait de se tenir là, devant les affleurements, pour comprendre ce qui se passe vraiment. Il est impossible de le faire à travers l’objectif d’un appareil photo », explique Abigail Allwood. Ses paroles se coincent dans sa gorge au moment où elle se rend compte de ce qu’elle est en train de dire, et elle ajoute en riant : « Et c’est exactement ce qu’on essaie de faire sur Mars. »

    Puisque l’équipe ne peut être présente en personne sur Mars, Perseverance possède des instruments embarqués qui lui permettent d’observer les roches à différentes échelles : cela va des images panoramiques jusqu’aux analyses chimiques de morceaux de roches pas plus grands qu’une tête d’épingle. Abigail Allwood est l’opératrice principale de PIXL, un des instruments du rover capable de prendre des clichés d’aspérités minuscules et d’utiliser des rayons X pour déterminer la composition chimique des roches martiennes.

    Malgré cela, c’est tout ce qu’on peut savoir en étant si loin. Et c’est pour cette raison que ces prélèvements sont cruciaux. Quand ils reviendront, nous serons aux premières loges et nous pourrons scruter de la matière intacte en provenance de la planète rouge. Nina Lanza l’affirme : « Cela va bouleverser la science martienne. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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