Voyager à la vitesse de la lumière : quand la science-fiction met les scientifiques au défi

Voyager à une vitesse supérieure à celle de la lumière sera-t-il un jour possible ? Cette idée, explorée depuis des décennies par les auteurs de science-fiction, est étudiée par les physiciens - en théorie seulement...

De Romy Roynard
Publication 22 juin 2022, 10:40 CEST
Voyager à une vitesse supérieure à celle de la lumière sera-t-il un jour possible ? Cette ...

Voyager à une vitesse supérieure à celle de la lumière sera-t-il un jour possible ? Cette idée, explorée depuis des décennies par les auteurs de science-fiction, est étudiée par les physiciens - en théorie seulement...

PHOTOGRAPHIE DE Tomislav Jakupec de Pixabay

Rien ne peut aller plus vite que la lumière dans le vide. C’est une constante physique qui détermine notre compréhension de l’univers depuis la fin du 20e siècle. L’étude de sa vitesse remonte à l’Antiquité et aux premières expériences de pensée, méthode permettant de trouver une explication à un phénomène, ici physique, par le seul biais de l’imagination.

Après plusieurs siècles de débats, Ole Rømer, un astronome danois du 17e siècle, fut le premier à démontrer que la vitesse de la lumière est finie, ce qui signifie qu’elle peut être calculée. Sa valeur exacte est établie à 299 792 458 mètres par seconde (la valeur de 300 000 kilomètres par seconde est une norme internationale). Elle s’applique pour tout objet émettant de la lumière : la vitesse de la lumière émise par une étoile et la vitesse de celle émise par une ampoule est la même.

« La vitesse de la lumière, c'est la vitesse ultime que l'on peut atteindre dans l'espace-temps dans lequel on vit » explique Marie-Christine Angonin, professeure à l’Université Pierre et Marie Curie et vice-présidente de l’Observatoire de Paris. « La vitesse de la lumière, c'est en fait la vitesse de propagation de l'énergie, quelle que soit cette forme d'énergie. »

Nos connaissances actuelles ne permettent à aucun objet de se déplacer plus vite que 300 000 kilomètres par seconde. « Pour pouvoir atteindre cette vitesse ultime, une particule massive doit, si on suit la relativité générale, recevoir une quantité d'énergie infinie. Elle doit se désintégrer pour devenir purement énergétique. C'est à ce moment-là qu'elle pourra aller à la vitesse de la lumière » étaye Marie-Christine Angonin.

Mais admettons un instant, comme les auteurs de science-fiction le font depuis des décennies maintenant, que cela soit possible. Ignorons le nombre incalculable de défis matériels que cela représenterait et arrêtons-nous sur les deux solutions imaginées par la science-fiction pour voyager à la vitesse de la lumière et au-delà : l’hyperespace et la distorsion, mis en images dans nombre de productions, de Star Trek à Star Wars en passant par le plus récent exemple, celui de Buzz l’Éclair, le dernier film Disney Pixar*. Au début du film, Buzz l’Éclair, sa supérieure et un équipage composé de plus d’un millier de scientifiques et techniciens rentrent chez eux après une mission spatiale. À environ 4,2 millions d’années-lumière de la Terre, le système de navigation de leur vaisseau leur signale qu’ils se trouvent non loin d’une planète inexplorée potentiellement riche en ressources. Suite à une erreur de jugement, ils endommagent gravement leur vaisseau et se retrouvent coincés sur cette planète, appelée T’Kani Prime. L’équipe de scientifiques travaille dès lors à la mise au point d’un carburant hyperrapide. Et à chaque tentative, le personnage de Buzz livre une bataille insensée contre le temps : les quatre minutes de son premier vol d’essai équivalent à quatre années sur T’Kani Prime, et chaque tentative est plus chronophage que la précédente.

 

L’HYPERESPACE, UNE JUSTIFICATION NARRATIVE

Pour passer d’un monde à l’autre facilement, les personnages d’œuvres de science-fiction aussi diverses que Dune et Star Wars, voyagent à des vitesses supraluminiques. C’est un procédé narratif rarement explicité en détails, permettant de justifier les voyages interstellaires ou intergalactiques à des échelles de temps humaines. Un impératif essentiel pour construire une histoire à laquelle le lecteur ou le spectateur puisse s’identifier. Encore faut-il que les éléments d’explication semblent crédibles.

Il fallut rapidement aux auteurs trouver des théories à la fois « scientifiquement acceptables » et compréhensibles par le plus grand nombre – d’où l’absence de détails. Bien que les moyens permettant les voyages interstellaires varient d’une œuvre à l’autre, la plupart font intervenir des concepts issus des théories de la relativité générale et restreinte, comme les trous de ver de Wheeler-Misner ou le pont d’Einstein-Rosen. Un trou de ver tel qu’imaginé par Charles W. Misner et John A. Wheeler désigne les connexions hypothétiques entre deux régions distinctes de l'espace-temps. D’un côté, un trou noir, de l’autre, un trou blanc. Le trou de ver formerait ainsi un raccourci dans l’espace-temps.

Pour Einstein et son collaborateur le physicien Nathan Rosen, le caractère atomique de la matière pouvait, si l’on poussait la solution de Schwarzschild, être interprété comme l'existence d'un pont entre deux feuillets d'espace-temps. Cette théorie constitue de fait les premières spéculations sérieuses sur des raccourcis possibles dans l'espace-temps ou des passages entre des univers parallèles.

« La solution de Schwarzschild considère une masse qui est à symétrie sphérique, et l'on se trouve à l'extérieur de cette masse, qui peut être le Soleil, la Terre, un trou noir... Et il y a une distorsion de l'espace-temps qui fait un trou. À partir du moment où on a un trou, on peut imaginer qu'il se fasse dans deux endroits de l'univers et que cela fasse une courbure » illustre Marie-Christine Angonin. Le problème, c'est que si la solution de Schwarzschild imagine l'existence de trous de ver, voire des espaces-temps déjà courbés, en entrant dans le trou noir il serait très improbable de parvenir à ressortir par le trou blanc. On tomberait d'un côté ou de l'autre, comme si nous nous retrouvions coincés dans une cuve.

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    Schéma d'un trou de ver de masse négative et de l'hyperespace.

    Schéma d'un trou de ver de masse négative et de l'hyperespace.

    PHOTOGRAPHIE DE Wikipedia

    « Maintenant, si on rajoute une charge, ce qui ferait une énergie électrique en plus de l'énergie gravitationnelle, cela permettrait de contourner ce problème et de se faire repousser [de l'autre côté du trou de ver]. Comme un gigantesque aimant, on serait attirés par le pôle nord et puis repoussés par le pôle sud. Seulement une fois que l'on a fait ça, on ne peut pas repasser dans l'autre sens. » Dans le cadre de narrations prévoyant un voyage retour, ce raccourci initial permettrait certes de se déplacer rapidement, mais nous obligerait au retour à faire le tour de l'univers pour revenir au point de départ. « C'est comme si vous preniez un raccourci pour aller à l'église mais que pour revenir chez vous, vous deviez faire le tour du village » image Marie-Christine Angonin.

    Pour pouvoir voyager dans les deux sens du trou de ver, comme dans Interstellar, il faudrait une énergie dont la densité serait plus faible que le vide, une masse qui puisse nous repousser vers un trou blanc lorsque l'on s'approche d'elle. « Pour ça, il faudrait que l'on ait une masse négative quelque part » relève Marie-Christine Angonin. « Ce serait de l'anti-gravité, c'est-à-dire un lieu d'où on serait rejetés au lieu d'être attirés. L'anti-gravité est très présente dans la science-fiction, mais dans la vie quotidienne, ça n'a jamais été mis en évidence, même dans les énergies du vide. »

    Des notions difficiles à interpréter par des néophytes, tout fans de science-fiction soient-ils. C’est pourquoi la justification narrative de l’hyperespace a été développée. Les vaisseaux pilotés par les personnages de fiction passent entre deux extrémités d’un trou de ver à une vitesse supérieure à celle de la lumière, justifiant ainsi un déplacement rapide ne retardant pas l’intrigue. À noter que l’hyperespace mis en scène dans la science-fiction ne fait qu'emprunter certains termes à la science, mais qu’il ne correspond à aucune théorie scientifique.

     

    LA DISTORSION ET LA MÉTRIQUE D’ALCUBIERRE

    En 1994, le physicien mexicain Miguel Alcubierre a développé un moyen théorique de déplacement supraluminique qui ne violerait pas le principe physique selon lequel rien ne peut se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière dans le vide. La métrique d’Alcubierre, en théorie compatible avec la théorie de la relativité restreinte, imagine la possibilité de courber l’espace-temps. Le vaisseau spatial n’avance pas lui-même plus vite que la lumière, mais est pris dans une « bulle » lui permettant de se déplacer d’un point A à un point B plus vite que ne le ferait la lumière. Ladite bulle est formée par la dilatation de l’espace derrière le vaisseau d’une part, et la contraction de l’espace devant le vaisseau d’autre part.

    Seulement voilà, si cette théorie respecte a priori les lois de la physique, courber ainsi l’espace-temps pour voyager plus vite que la lumière nécessite là aussi une énergie dont la densité est plus faible que le vide. Or le principe de masse négative, imaginé par Einstein, n’est encore aujourd’hui qu’une hypothèse non-vérifiée et difficilement vérifiable.

    « Le problème, c'est qu'une particule qui va plus vite que la lumière restera toujours plus rapide que la lumière, parce que pour la freiner il faudrait une énergie infinie » indique Marie-Christine Angonin. « Réciproquement, amener un objet massif à la vitesse de la lumière nécessiterait une infinité d'énergie. Et ce n'est pas une infinité théorique, ça a été démontré par l'expérience. C'est pour cette raison que dans les accélérateurs de particules, ce ne sont pas des cubes de matière que l'on envoie mais une seule particule, parce qu'il faut déjà une quantité d'énergie colossale pour qu'elle soit simplement relativiste. »

    Qu'il existe des bulles d'espace-temps qui aillent à la vitesse de la lumière, voire plus vite que la lumière est théoriquement possible. Mais le problème majeur serait de mettre un vaisseau dans une de ces bulles. « Il faudrait arrêter la bulle, la faire aller moins vite que la vitesse de la lumière, et ça, ce n'est pas possible. Techniquement, il n'y a aucun moyen physique de traverser cette barrière de la vitesse de la lumière » appuie Marie-Christine Angonin.

    Mais alors, si l’on considère que les « moteurs à distorsion » – longuement théorisés par les scénaristes de Star Trek – ne peuvent pas être développés du fait même du besoin en énergie négative, ne relèveront-ils jamais que de la fiction ? Pas forcément. Les recherches d’un groupe international de scientifiques sur d’autres classes de « moteurs à distorsion » ont été publiées en 2021 dans la revue Classical and Quantum Gravity.

    Les scientifiques de ce groupe, appelé Applied Physics, se sont ainsi penchés sur un théorique « moteur à distorsion » ne nécessitant pas de masse négative. Pour que celui-ci soit physiquement possible, il faudrait disent-ils que le vaisseau ressemble à un bouclier, plat devant et derrière. Leur démonstration, bien qu’incomplète, a l’intérêt de montrer que d’un point de vue mathématique, un moteur à distorsion pourrait être construit.

    « La métrique d'Alcubierre, c'était une idée irréaliste et complètement impossible à mettre en œuvre dans la physique quotidienne pour de multiples raisons. [...] Ce que ces scientifiques ont démontré, c'est que la métrique d'Alcubierre est une solution parmi tant d'autres, qui sont plus faciles à mettre en oeuvre, si l'on peut dire. C'est intéressant, mais cela ne veut pas dire que cela soit réalisable » souligne Marie-Christine Angonin. « Si on prend en compte les fluctuations du vide, ce genre d'expériences n'existera que dans une théorie de l'espace-temps quantique avec de très petites énergies et donc avec de toutes petites particules. Un vaisseau spatial à la vitesse de la lumière, c'est complètement irréaliste à l'heure actuelle. »

    Malgré l'intérêt que portent les scientifiques pour ces questions depuis de nombreuses années, les voyages supraluminiques devraient donc rester, pour encore longtemps, l'apanage des auteurs de science-fiction.

    *The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.

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