Mariana Van Zeller ou l'importance du journalisme d'investigation

« On ne peut se faire une opinion que si on a accès à la vérité. Et chercher la vérité pour la révéler, c'est le travail du journaliste. »

De Romy Roynard
Publication 13 janv. 2021, 07:00 CET, Mise à jour 21 janv. 2021, 11:54 CET
Mariana van Zeller est une journaliste portugaise lauréate d'un prix Peabody et correspondante pour la chaîne ...

Mariana van Zeller est une journaliste portugaise lauréate d'un prix Peabody et correspondante pour la chaîne de télévision National Geographic. Tous les mardis à 21.00, découvrez la série d'investigation Face au Crime sur National Geographic.

PHOTOGRAPHIE DE National Geographic

Comment enquêter sur les marchés noirs les plus dangereux du monde si ce n'est en immersion ? Comment montrer l'humanité d'interlocuteurs si souvent décriés, voire ostracisés ? C'est le pari (réussi) de Mariana Van Zeller, qui livre pour National Geographic une série documentaire d'investigation, « Face au Crime », dans laquelle son sens de l'écoute et son empathie mettent en confiance les plus dangereux trafiquants du monde, qui acceptent de déposer les armes pour livrer leur réalité le temps d'une interview.

Car pour dépeindre des milieux si fantasmés sans sensationnalisme, Mariana Van Zeller se met au niveau des personnes qu'elle rencontre et prend le temps de les connaître sans jugement. En ressort une série d'investigation d'une grande justesse, saisissante -voire terrifiante- dans ce qu'elle donne à voir : des hommes et des femmes que des motivations si communes (subvenir aux besoins leurs familles) ont poussé au crime.

Chaque épisode de « Face au Crime » explore un marché noir différent, de la drogue aux armes à feu en passant par le trafic illégal de tigres, et trace les contours de ces économies parallalèles qui génèrent chaque année plusieurs milliers de milliards de dollars. 

Rencontre virtuelle avec Mariana Van Zeller depuis son domicile de Los Angeles.

 

Vous vous êtes spécialisée dans les enquêtes d'investigation sur les trafics et marchés noirs. Vous pourriez très bien mener vos enquêtes de manière plus distantes, par exemple par le biais d'informateurs. Pourquoi est-ce si important pour vous d'enquêter sur le terrain ?

Je crois au journalisme de terrain un peu vieille école - et c'est aussi la ligne de National Geographic, ce qui en fait le parfait partenaire pour réaliser ce type de séries documentaires. Je pense qu'aujourd'hui plus que jamais, ce genre journalistique est essentiel. L'investigation est un genre journalistique de moins en moins pratiqué et c'est la raison pour laquelle il est important pour moi de continuer de faire mon travail ainsi. On ne peut se faire une opinion, et on ne peut créer du savoir que si on a accès à la vérité. Et chercher la vérité pour la révéler, c'est le travail du journaliste.

 

Le tour de force de la série, c'est de parvenir à montrer différents marchés noirs sans tomber dans le sensationnalisme, ce qui est assez rare dès lors que l'on parle de drogues ou de trafic d'armes à feu. Comment êtes-vous parvenue à maintenir ce fragile équilibre entre investigation et sensationnalisme ?

C'est une bonne question. Je pense que le plus important pour moi dans cette série était d'humaniser les personnes que l'on rencontrait. Ces hommes et ces femmes sont sans doute les plus stérotypés et ostracisés de nos sociétés. Ce sont ceux que l'on considère comme les « méchants ». Il est à mon sens crucial de passer du temps avec eux, de les écouter, de comprendre leur histoire, ce qui n'est pas toujours facile. 

Et j'ai réalisé que si on prend le temps de les écouter et d'apprendre à les connaître, on réalise que nous avons plus de points communs que de différences. Après tout, nous sommes tous des êtres humains. Ces personnes sont aussi des mères, des pères, des filles ou des frères. Ils ont des rêves et des aspirations, des buts. Ils aiment leurs familles. Je pense que les motivations de la plupart des êtres humains sont très communes. Mais malheureusement dans leurs cas, la vie leur a distribué une mauvaise main. Et les opportunités qui s'offrent à elles - et surtout celles qui ne s'offrent jamais à elles - les mènent à la criminalité. Ce n'est pas le cas pour toutes les personnes que j'ai rencontré mais pour une grande majorité d'entre elles.

 

Dans une interview accordée à Indie Wire, vous expliquez qu'être une femme vous a aidé à naviguer dans les milieux de la pègre internationale. Peut-être que cela vous a aidée au début, mais à mon sens c'est sans doute davantage votre approche, votre sens de la compassion et ce respect de l'autre qui invitent vos interlocuteurs à baisser leur garde.

Bien sûr ! Mais je pense que ce sont des qualités très féminines. Notamment l'empathie. Nous avons un sens de l'empathie plus développé que les hommes. Je le pense vraiment. C'est en ce sens qu'être une femme m'aide dans mon métier. Ce n'est pas le genre lui-même mais les qualités attachées à notre merveilleux sexe.

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    L'épisode dédié au trafic de tigres a été pour moi le plus difficile à regarder, et on a le sentiment que c'est aussi celui qui a été le plus compliqué à produire... Sans parler de l'échange très tendu avec Doc Antle (la dernière star en date de la série « Tiger King » qui fait l'objet de 15 chefs d'accusation pour trafic d'espèces sauvages, ndlr)...

    Encore une fois, il est très facile pour moi de nouer des liens avec les autres. Mais dans certains cas, comme avec Doc Antle, c'est une autre histoire. Dès que nous avons commencé l'interview, il était sur la défensive. En fait non, il n'était pas sur la défensive, il est tout de suite passé à l'attaque dès le début de l'interview. Et quand ce genre de choses se produit, on sait que notre interlocuteur a des choses à cacher et que nos questions le dérangent. La première question que j'ai posé était sur l'histoire du parc et à partir de la deuxième question, je l'ai mis en difficulté sans cesser de le relancer. Et dès que la première question difficile a été posée, il a comparé les journalistes et mes collègues à Al-Qaïda. Dans ces cas-là c'est dur de resister à la tentation de se lever et de partir. Je suis sure que ça a aussi été difficile pour lui de ne pas mettre fin à l'entretien et de nous mettre dehors. Si nous n'avions pas filmé notre échange, il l'aurait probablement fait. Dès que nous avons éteint la caméra il nous a dit combien il regrettait de s'être prêté à l'exercice. 

    Face au crime | Bande annonce

     

    Quelle est la découverte la plus surprenante que vous ayez faite pendant le tournage de « Face au Crime » ?

    Deux choses. La première, comme je vous le disais, c'est le facteur humain. Apprendre à connaître les personnes que nous considérons les moins fréquentables et réaliser qu'elles nous ressemblent plus que nous ne le croyons. La seconde, c'est quand j'ai réalisé à quel point le marché noir était présent dans des lieux très familiers. Vous savez, beaucoup de lieux dans lesquels nous avons filmé se trouvaient à seulement quelques kilomètres de chez moi, à Los Angeles, ce qui m'a vraiment surprise. Nous avons pu filmer un deal d'armes à feu, des KR15 et des AK-47 stockés dans le coffre d'une voiture à 15 ou 20 kilomètres de mon domicile, en pleine rue. Ces armes ont été envoyées au Mexique le soir-même. Et tout cela à la vue de tous ! 

    C'est vraiment ce que j'ai appris avec « Face au Crime » : on pense que les marchés noirs sont orchestrés dans des lieux reculés, des ruelles sombres, des bars clandestins. Mais non ! Et c'est très intelligent quand on y pense, de se cacher en étant à la vue de tous. Dans les villes touristiques, tous les rouages du tourisme sont utilisés, tous les moyens de locomotion sont empruntés pour se fondre dans la masse de touristes. C'est tentaculaire et bien plus courant que ce que l'on imagine.

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