Le FBI garderait un fichier de plus de 1 400 pages sur Einstein

Le physicien de renommée mondiale s'exprimait librement sur le racisme, le nationalisme et les bombes nucléaires, suscitant la suspicion de J. Edgar Hoover.

De Mitch Waldrop
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Einstein, prenant la parole lors d'une conférence intitulée « Science et Civilisation » en 1933, au Royal Albert Hall à Londres.
PHOTOGRAPHIE DE Hulton Archive, Getty Images

Albert Einstein était déjà un physicien de renommée mondiale lorsque le FBI a commencé à tenir un dossier secret sur lui, en décembre 1932. Sa femme Elsa et lui venaient tout juste de quitter leur Allemagne natale pour s'installer aux États-Unis et Einstein, qui s'était beaucoup exprimé sur les questions sociales de son époque, plaidait publiquement contre le racisme et le nationalisme. 

À la mort d'Einstein, le 18 avril 1955, ce dossier FBI aurait comporté 1 427 pages. Le directeur de l'agence J. Edgar Hoover se méfiait profondément du militantisme d'Einstein car pour lui, il était très probablement communiste et certainement « extrémiste.»

Si Einstein avait eu vent de toutes ces allégations, il aurait probablement ri aux éclats. Il avait entendu bien pire de la part des Nazis dans son pays. Et il n'était pas du tout intimidé par les autorités. « Le plus grand ennemi de la vérité est le respect irréfléchi pour l'autorité, » a-t-il déclaré en 1901.

Les milliers de personnes qui devraient se rassembler ce week-end pour la March for Science (la marche pour la science) approuveraient certainement. 

Animés par les restrictions du budget états-unien en faveur de la science ainsi que par les discours anti-science prononcés par l'administration Trump, un groupe de base composé de scientifiques, d'enseignants et d'autres défenseurs de la science ont organisé une marche sur Washington, similaire à celle de la Women's March (la marche des femmes), organisée en janvier dernier. Ce mouvement s'est depuis élargi et comprend des centaines de partenaires défilant dans les villes du monde entier. 

Les marcheurs affirment qu'ils se mobilisent pour tout ce que la science représente, notamment la logique, l'ouverture d'esprit et les prises de décisions basées sur des faits avérés, et ce à tous les niveaux de la société.  

Bien qu'ils bénéficient du soutien de plus de 170 organisations scientifiques, les participants se sont mobilisés devant quelques débats animés entre les scientifiques eux-mêmes. Dans le New York Times, un géologue sceptique a déclaré que la marche « ne servirait qu'à... convertir les scientifiques en un énième groupe pris dans les guerres culturelles. »

Mais au vu de la vie de rebelle d'Einstein, les partisans ne feront qu'agir dans l'esprit de l'un des plus grands scientifiques de tous les temps. 

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    Albert Einstein, physicien de réputation mondiale, est vu lors de son arrivée à Los Angeles, en route pour Passadena où il continuera ses merveilleuses aventures dans le domaine des mathématiques supérieurs, au California Institute of Technlogy (Caltech).
    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann Archive, Getty Images

    L'attitude défiante d'Einstein lui a valu une expulsion de son lycée en Allemagne, à l'âge de 15 ans, un événement qui l'a poussé à renoncer à sa nationalité à l'âge de 17 ans. Il ne voulait plus rien avoir à faire avec l'éducation autoritaire allemande ni avec le militarisme foisonnant qui le répugnait. 

    Au lieu de cela, Einstein a intégré l'Institut Polytechnique de Zurich en Suisse, est devenu citoyen suisse, et après avoir obtenu son diplôme, il est allé travailler à l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle à Berne, où il a entrepris tous ses travaux révolutionnaires sur la relativité et la physique quantique en 1905.

    Einstein n'est retourné vivre en Allemagne qu'en 1914, lorsque ses accomplissements lui ont valu un poste prestigieux à l'Université de Berlin. Là-bas, il a continué a développer ses idées sur la relativité et la gravité qui ont reçu une consécration spectaculaire en 1919 après les observations d'une éclipse solaire et qui ont façonné notre compréhension de l'univers depuis lors. 

    Le parti nazi montant a très vite dénoncé la relativité comme « une perversion juive » – une technique des années 1920 visant à colporter de fausses informations – et Einstein recevait tellement de menaces de mort anonymes qu'il évitait de marcher seul lorsqu'il sortait. 

    Mais les menaces ne l'ont pas découragé. Au lieu de cela, il a utilisé sa nouvelle notoriété à maintes reprises pour s'exprimer contre ce qu'il considérait comme les injustices du monde. Garder le silence face au diable, dit-il une fois, « me ferait sentir coupable de complicité. »

    Il dénonçait le nationalisme militant. « La rougeole de l'humanité, » qu'il l'avait appelé en 1929.

    Il contestait le capitalisme. « Je vois les différences de classes sociales comme contraires à la justice et, en dernier ressort, basées sur la force, » a-t-il écrit en 1931. « Tout homme devrait être respecté en tant qu'individu et non en tant qu'homme idolâtré. »

    Il protestait contre le racisme. En 1937, lorsque la chanteuse afro-américaine Marian Anderson s'est vue refusée une chambre d'hôtel à Princeton, la nouvelle ville natale d'Einstein, sa femme et lui ont invité Anderson à séjourner dans leur maison – le début d'une amitié qu'ils entretiendront toute leur vie. Il s'était aussi pris d'amitié pour le chanteur afro-américain Paul Robeson, qui avait été ostracisé pour ses idées communistes. Puis en 1946, dans un discours prononcé à la Liberty University de Pennsylvanie, une université traditionnellement réservée aux Afro-Américians, Einstein a déclaré que la ségrégation était une « maladie du peuple blanc. »

    Après 1933, la montée au pouvoir d'Hitler a forcé Einstein a reconnaître que le pacifisme n'était désormais plus réaliste. En août 1939, craignant que les physiciens allemands ne se saisissent de la fission nucléaire, un phénomène nouvellement découvert, Einstein a signé une lettre au Président des États-Unis Franklin Roosevelt, dans laquelle il l'avertit que « l'uranium est un élément qui, dans un avenir proche, pourrait être transformé en une nouvelle et importante source d'énergie » – c'est-à-dire une bombe. 

    En guise de réponse, Roosevelt lança le Projet Manhattan, un programme accéléré pour développer la bombe atomique avant Hitler. 

    Einstein n'a joué aucun autre rôle dans le projet. Mais au printemps 1945, dans une lettre adressée au Président américain, il lui demande de rencontrer les scientifiques du Projet Manhattan qui s'inquiètent de la précipitation pour finir la bombe et l'utiliser, même si l'Allemagne était proche de la défaite et avait clairement renoncé à l'uranium.

    Roosevelt est mort le 12 avril, avant qu'il ne puisse lire la lettre. Et août, lorsqu'Einstein a appris que la bombe atomique avait été lâchée sur la ville japonaise d'Hiroshima, il n'a pu murmurer qu'un « Oh mon dieu. »

    Durant le reste de sa vie, il a milité pour un contrôle international des armes nucléaires. À l'ère atomique, il a soutenu que la guerre était devenue une forme de folie.

    Nous ne pouvons que deviner ce qu'Einstein aurait dit au sujet du climat politique actuel. Néanmoins, nous connaissons sa position sur la répression du gouvernement américain datant d'une époque antérieure et l'hystérie anticommuniste des années 1950.

    « Tout intellectuel qui est appelé à paraître devant l'une des commissions doit refuser de témoigner, » a déclaré Einstein en 1953, se référant aux enquêtes menées par le Congrès, des méthodes d'intimidation qui ruinait les carrières de nombreuses personnes innocentes.

    Cette déclaration lui aura valu des éditoriaux indignés dans les journaux à travers tout le pays, y compris le Washington Post et le New York Times. Mais c'était un jugement qu'il portait avec fierté. 

    Après son expérience directe avec la « force brutale et la peur » dont l'Europe était la proie, l'Amérique a impressionné le physicien pour « la tolérance du pays à la libre pensée, à la liberté d'expression et aux croyances non conformistes »  – des qualités qui avaient toujours animé sa science, affirme son biographe Walter Isaacson.

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