Les peuples nomades de l’Arctique
Les peuples autochtones de l’Arctique sont présents du Canada à la Russie, en passant par le Groenland et le nord de l’Europe. Ils tentent de renouer avec leurs traditions nomades, après des années d’oppression.
500 000 autochtones de l’Arctique vivent encore aujourd’hui dans le Grand Nord. Selon le Conseil de l’Arctique, où siègent six associations représentant ces peuples, ils se répartissent sur les trois continents. Une zone de 30 millions de km2 couvrant huit pays : Norvège, Suède, Finlande, Russie, Canada, États-Unis, Islande et Danemark. Traditionnellement nomades, pour la plupart, ils tentent de conserver leurs cultures : chasse, pêche, élevage de rennes, construction d’abri temporaire (igloo, tchoum, lavvùs, yourte…). Mais les différents mouvements de colonisation et les violences perpétrées à leur encontre ont bouleversé leur mode de vie. Les nombreux peuples sibériens ont connu, à partir des années 1930, la sédentarisation contrainte en Union soviétique ; les nomades de Laponie (les Sami) ont subi le même sort en Norvège, en plus d’une christianisation forcée ; les épidémies et l’introduction de l’alcool par les colons européens en Amérique du Nord, ont également fait des ravages chez les Inuits. S’ajoute à cela l’entrée dans la modernité qui transforme les coutumes : certaines populations utilisent aujourd’hui des motoneiges à la place des traditionnels traîneaux, et vivent dans des zones riches en pétrole ou en gaz, rendant plus complexe la transhumance des troupeaux. Tour d’horizon des principaux peuples qui ont su s’adapter au climat hostile du cercle polaire.
LES INUITS (« LES GENS »)
Le plus célèbre des peuples du Grand Nord est dispersé sur quatre pays, du nord-est de la Sibérie au Groenland (Danemark), en passant par l’Alaska (États-Unis) et le Canada, et regroupé en deux groupes de langue : le yupik et l’inupiak. Ils ont été appelés, à tort, « Esquimaux » par les premiers explorateurs, au XIXe siècle (le terme signifie « qui mange la viande crue » en algonquin, un dialecte parlé par des Amérindiens du Canada, qui n’ont rien à voir avec les Inuits). Aujourd’hui, on compte 160 000 Inuits, dont plus de 50 000 vivent au Groenland. Au Canada, ils sont parvenus à obtenir, en 1999, un territoire doté d’une certaine autonomie : le Nunavut (« notre terre », en langue inuite). Historiquement, les Inuits sont des chasseurs-cueilleurs nomades. Auparavant, les groupes comptaient une centaine de personnes, qui se séparaient durant l’été en plus petits groupes, d’une dizaine de membres, pour partir à la chasse au phoque, à la baleine, au renne ou pour cueillir des baies. Pendant l’hiver, les chasseurs construisaient des igloos pour s’abriter du froid polaire. Aujourd’hui, une bonne partie des Inuits sont devenus sédentaires, mais la plupart d’entre eux vivent encore de la chasse et de la pêche.
LES SAMI
Ils sont 70 0000 Sami, traditionnellement nomades, à peupler aujourd’hui le nord de l’Europe : la Suède, la Norvège, la Finlande et une petite partie de l’ouest de la Russie. Ils vivent en Laponie, une terre qu’ils nomment « Sápmi » (le nom « lapon » est issu d’un terme dépréciatif suédois). L’élevage des rennes est entré tardivement dans la culture same, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Auparavant, ils les chassaient. Les éleveurs se font appeler « boazovázzi » (littéralement, « marcheurs de rennes ») et dressent, durant leur périple, la traditionnelle lavvùt, une sorte de tipi recouvert de peaux de renne. En Norvège, où ils sont les plus nombreux (environ 20 000), les Sami ont été contraints d’abandonner leur langue durant l’époque de « norvégianisation ». Ce mouvement d’uniformatisation du territoire norvégien, avec conversion forcée au protestantisme, a été entamé vers 1800 et a perduré jusque dans les années 1980. Résultat de ces années d’oppression : seulement 10 % des Sami pratiquent encore l’élevage des rennes. Et, même pour les derniers éleveurs, les temps ont changé : ils sont désormais assignés à des parcelles précises, où pâturent les rennes durant l’année. Ce mode de vie est difficile s’ils ne possèdent pas de coûteux 4 x 4 et des motoneiges, car il leur faut entretenir les centaines de kilomètres de clôtures qui séparent les différents territoires. Les Sami travaillent aujourd’hui pour l’essentiel dans d’autres secteurs : l’agriculture, la pêche, l’industrie ou le tertiaire. En Suède, en Norvège, et en Finlande, ils sont aujourd’hui représentés par le Parlement Saami : une assemblée démocratiquement élue qui agit comme une autorité gouvernementale.
« LES PETITS PEUPLES DU NORD DE LA RUSSIE »
La Sibérie arctique abrite de nombreux peuples, souvent nomades, pratiquant la chasse et la renniculture : les Aléoutes, les Dolganes, les Énètses, les Évènes, les Tchouktches, les Nenets, les Koriaks, etc. Ils sont 45 au total ! Mais, aujourd’hui, 17 d’entre eux ne comptent plus que 10 individus — de là la terminologie de « petits peuples ». À partir de 1930, période de la collectivisation des terres en Union soviétique, la plupart ont été sédentarisés de force. Seuls les hommes étaient autorisés à vivre en nomades, durant la transhumance des troupeaux. Femmes et enfants restaient à la maison. Mais certains, comme les Nenets, ont su résister aux pressions du régime soviétique. Selon le recensement de 2002, ils sont au moins 40 000 à vivre dans le nord de la Russie.
Les Nenets de la péninsule de Iamal, en Sibérie, proche du cercle polaire, effectuent chaque année une transhumance de 1 200 km, avec l’ensemble de la communauté, et vivent dans la traditionnelle tchoum, une tente conique en peaux de rennes. Et ce, malgré l’implantation de gazoducs un peu partout dans leur région natale, qui complique la transhumance . En outre, le réchauffement climatique fait sortir de terre des agents pathogènes décimant les troupeaux (lire notre reportage). Les Nenets sont considérés par les géographes comme l’un des peuples les plus résistants d’Arctique.
LES IAKOUTES
Les Iakoutes de Sibérie arctique ne comptent pas parmi « les petits peuples du nord de la Russie », étant plus de 300 000. Ils se nomment eux-mêmes « Sakhas », et font parties des peuples turcs par la langue. Ils occupent le Iakoutie, un immense territoire allant des régions voisines de la Chine jusqu’à l’extrême nord-est de la Sibérie. À partir du XVIIIe siècle, des colonies russes migrèrent peu à peu sur leur terre natale, attirées par les mines d’or. Aujourd’hui, les Iakoutes ne représentent plus qu’un tiers des habitants de la région. Selon l’institut polaire français Paul Emile Victor, la zone est célèbre pour abriter la ville la plus froide de la terre : Verkhoïansk. Le dernier record de froid enregistré au début du XXe : - 71 ° C ! Les Iakoutes du Nord sont encore semi-nomades, dressant des yourtes, et vivent de la chasse à l’élan et au yack. Plus au sud, certains élèvent chevaux et bovins, ou sont commerçants. Comme pour les autres peuples de Sibérie, la chute du régime communiste a marqué un renouveau culturel. En 2008, l’épopée iakoute a été inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Il s’agit d’une tradition orale, sous forme de poème chanté, mettant en scène d’anciens guerriers, des dieux, des esprits, des animaux mais elle aborde aussi un sujet plus contemporain : la désintégration de la société nomade.